Un beau conte pour enfants

Une histoire un peu fantastique, qui donne à rêver. Imaginons, dans les montagnes de l'Himalaya, une assemblée d'ascètes, isolés loin du monde, sur les hauteurs enneigées que jamais mortel n'a foulées de ses pas. Nus, sous le soleil, et dans un froid hostile à toute vie animale, ils sont là, affranchis des chaînes de la mort, abîmés dans la contemplation du Seigneur universel, Père-Mère de toute créature. Bien que liés encore, de quelque manière, au monde du devenir, ils sont ici libres de la moindre obligation immédiate - tendus seulement, de tout leur être, vers une communion plus profonde avec le Divin. Mais voici que, tout en bas, dans une vallée profonde, une troupe d'enfants, poussés par on ne sait quelle destinée, dévale les sentiers et se regroupe dans ce refuge accueillant, entre les flancs de la montagne, d'où finalement ils ne pourront plus s'échapper. Par chance, ils trouveront là tout pour survivre : l'eau, la nourriture et les nécessaires moyens de protection sont à leur portée dans cette vallée souriante. Mais quel avenir pour ces jeunes êtres sans parents ? C'est alors que nos ascètes, parvenus depuis longtemps au seuil de l'Omniscience, sont avertis de cette tragédie. Reprenant conscience des conditions de la vie terrestre, leur décision est prise - par compassion. Et aussi par nécessité 10.

Et voici : ils quittent leurs sommets spirituels, pour redescendre au milieu des nuages du psychisme et du plan matériel. Et là, le miracle inespéré se réalise : chacun d'eux prend en charge un enfant, pour l'aider à accomplir sa destinée d'homme. Pour chacun de ces petits innocents, c'est comme une illumination, dans l'aura de celui qui a pris sur lui d'être son Parrain spirituel (ou son Sauveur, si vous préférez) - dans une sorte de béatitude qui nous ferait songer peut-être à celle de l'embryon baignant dans la matrice maternelle.

Retenons au passage le terme de Parrain, qui peut être encore très évocateur dans nos sociétés imprégnées de christianisme. N'était-ce pas l'homme de confiance qui portait jadis le jeune enfant sur les fonts baptismaux, afin de l'introduire dans le cercle ou l'assemblée (ekklèsia, en grec) des fidèles, qui devait veiller à son éducation religieuse, et se portait garant pour son filleul - en assumant la responsabilité de ses inconduites, au moins jusqu'à son âge de raison. Une sorte de père spirituel. Le baptême n'était-il pas comme une initiation ? Et les ascètes, dans notre beau conte, n'ont-ils pas procédé à une semblable initiation : l'accession des enfants innocents à l'assemblée des hommes, en voie d'éveil spirituel ? Mais revenons à ces débuts. La première émotion à s'imposer chez ces nouveau-nés de l'humanité ne fut-elle pas l'Amour - la Dévotion sans limites pour ce Parrain rayonnant - avec, sans doute aussi, le sentiment d'Unité, de Fraternité les unissant à toute la famille ainsi devenue consciente de son existence ? Voilà au moins une histoire qui commence bien. Et après ?

Nos ascètes, redescendus de quelque manière dans l'ambiance terrestre, n'ont pourtant rien perdu de leur nature divine, mais le lien contracté les mobilise. Ils sont maintenant astreints au rôle de Compagnons pour ceux qu'ils ont pris en charge ; ils tentent de les conduire, de les inspirer - sans interférer dans le libre arbitre dont leurs protégés font l'apprentissage. N'est-ce pas le moment de grâce idéal pour infuser dans ces âmes naissantes toutes les idées innées qui resteront ancrées dans leur tréfonds - l'émerveillement pour le Beau, le Vrai, le Juste - en même temps que l'ouverture au Don, au Sacrifice dans l'élan du Pur Amour ?

Mais des enfants sont destinés à grandir. Avec le temps, cet âge d'or primitif ne peut que s'assombrir, un peu, beaucoup. Toujours sous la protection des Parrains, les filleuls prennent maintenant de l'assurance ; peu à peu, ils se sentent investis du sens d'un je séparé ; ils subissent la fascination du monde, et s'enfoncent dans l'existence matérielle pour en jouir. La désunion s'installe dans la famille. La Fraternité n'en a plus pour longtemps à garder son sens initial, universel. Avec tout cela, le Parrain ne pourra que rentrer dans l'ombre, pour disparaître même de la mémoire. À travers les cycles de l'Histoire, l'humanité marche maintenant, à grands pas dans les premiers stades de l'âge noir, ou le Kali Yuga 11 des hindous. Malgré tout, à peine sorti (probablement) de l'adolescence, l'homme garde quelque part la nostalgie du sacré, de l'âge d'or. Il rêve d'un paradis perdu, mais, pour lui, le temps presse : il faut relever les défis de l'existence. Inconscient des trésors qu'il recèle au fond de lui-même, il parcourt les années qui lui sont allouées, sans bien se demander ce que la vie attend de lui, sans s'interroger sur la mission qui devrait pourtant être la sienne. Mais nos ascètes, que font-ils pendant ce temps ? Oubliés, devenus invisibles, ils sont pourtant toujours là, au plus profond de l'être humain qu'ils ont éveillé. L'association qu'ils ont contractée avec lui ne s'est jamais démentie.

Malheureusement, le Parrain, qui s'est porté garant pour son filleul, est maintenant comme ligoté à lui : quand ce dernier souffre des résultats (karmiques) de ses erreurs, de sa surdité, qui l'empêche d'entendre le dieu intérieur quand il s'efforce de lui parler (par la voix de la conscience, et tous les autres canaux qui peuvent s'ouvrir, selon les occasions), ce dieu éprouve aussi la douleur, les tourments de l'impuissance. Un peu comme un oiseau dans une cage trop étroite. Ce n'est pas pour rien que les initiés grecs ont représenté leur Prométhée comme enchaîné, avec un rapace qui lui déchire les entrailles, jour après jour. C'est ainsi que Zeus maintenant se venge. La nuit, il est vrai que l'ascète peut regagner ses hauteurs ensoleillées, pendant le sommeil profond de l'être terrestre. Et, dans la mesure du possible, envoyer vers le cerveau de l'endormi, des rêves chargés de signification symbolique, spirituelle, ou des avertissements divers que l'homme, au réveil, aurait tout intérêt à déchiffrer, et prendre en compte. En tout état de cause, il faut désormais attendre l'heure de la mort du corps pour que se fasse connaître, en pleine lumière, le fidèle Parrain dont l'apparition plonge la conscience du mourant dans l'émerveillement et un bonheur qu'il n'avait jamais pu imaginer auparavant. Trop tard pour celui qui s'en va pour de bon. Pas trop tard pour l'être béni qui a la chance de revenir. Pour raconter son expérience. Pour alerter toute la communauté des hommes en détresse, et annoncer la bonne nouvelle qui redonne tout son sens à la vie. Et quel sens ! Avant de revenir sur les récits de NDE, il convient d'éviter tout malentendu, en tentant de préciser certains points.


10. La nécessité, qui force impérieusement l'aîné (sans qu'il y réfléchisse à deux fois) à s'élancer pour secourir le cadet qui se noie. Aussi bien celle qui impose d'honorer un engagement sacré (comme le rappelle le second des Vers d'or de Pythagore « Et respecte le Serment »).

Mieux encore, songeons à ce Serment qu'on attribue à Kuan-Yin (la forme féminine d'Avalokiteshvara qui, avec ses mille bras secourables, représente, pour les bouddhistes, le Grand Seigneur de Compassion) :

« Jamais je ne chercherai ni ne recevrai le salut séparé, individuel, Jamais je n'entrerai seule dans la paix finale.
Mais toujours et partout, je vivrai et contribuerai de toutes mes forces à l'émancipation de toutes les créatures. »

Rappelons aussi que nos ascètes n'étaient pas encore parfaitement sortis du « Cercle de Nécessité » (Karma). Ce qui les obligerait sans doute à reprendre la tâche, pour s'élever encore plus haut. [retour texte]

11. Kali, c'est le coup perdant au jeu de dés. Présage funeste pour ce cycle, ou Yuga, qui a dû commencer en février 3102 avant Jésus-Christ (avec la mort de l'Avatar Krishna) et s'est installé sur notre terre pour la bagatelle de 432000 ans. Il y a beaucoup, beaucoup à construire pour faire mentir le présage ! [retour texte]

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