Quelques réflexions... sur l'omniscience
Notre approche de l'Orient nous a familiarisés avec l'omniscience (sarvajñâtâ) déclarée « insurpassable » au niveau du Logos Îshvara. C'est elle aussi que réalise le yogi qui parvient à s'unir à ce Seigneur suprême (Gîtâ, XV, 19). Plus précisément, dans la Mundaka Upanishad (I, 1,9), cet Impérissable ou Inaltérable (Tat Aksharam), source et soutien de tout le cosmos, est, en quelque sorte, le lieu de l'omniscience dans tous les sens possibles, englobant la « connaissance transcendante » (dans sa qualité de sarvajña) et toute « science détaillée » (comme sarvavid).
Faisons ici une folle supposition : se pourrait-il que des mystiques, tendus vers l'accès à cette Réalité suprême, puissent y parvenir et en rapporter quelque chose, pour finalement transcrire, au retour, le contenu de leurs expériences dans un langage... scientifique, rationnel ? Quittes, plus tard, à en fabriquer des mythes et des allégories à l'usage des mortels? Pour rendre compte ainsi de la formation de l'Univers et de la naissance des hommes 8.
Autrement qu'en se livrant à de savantes spéculations philosophiques. N'est-ce pas le moment de songer à nouveau à nos NDE ? L'omniscience y est au menu, si j'ose dire. Pas forcément du plus haut niveau, mais quand même. Souvenons-nous :
« J'ai eu des intuitions scientifiques, je savais comment tout fonctionnait... »
« J'ai eu tout à coup la sensation déposséder la connaissance de toutes choses - de tout ce qui avait eu lieu depuis le commencement du monde et de tout ce qui allait avoir lieu indéfiniment. Il m'a semblé, pendant une seconde, que j'avais accès aux secrets de tous les temps, à la signification de l'univers, les étoiles, la lune, enfin tout...»
« Toute la connaissance était là ; pas seulement certains aspects: tout. »
On pourrait allonger beaucoup la liste de ces affirmations où les sujets prétendent avoir eu accès à des sortes de « bibliothèques », d'« instituts de hautes études », où tout le savoir désiré devenait soudain disponible, où « l'on connaît brusquement toutes les réponses ». Une profonde surprise pour nos témoins des NDE - des gens appartenant à la grande moyenne des humains, qui n'ont ramené de leur plongée dans l'omniscience qu'une forte impression de sa réalité indiscutable. Mais la question se pose : s'ils avaient été des yogis, spécialement entraînés pour accéder, en pleine conscience, à ce niveau transcendant, des initiés véritables, partis en quête des secrets de l'univers, qui paraissaient déjà à portée de nos « expérienceurs » ordinaires, n'auraient-ils pas pu en ramener une véritable connaissance, scientifiquement ordonnée ? Pour H.P.B., la réponse est dans l'affirmative. Selon toute probabilité, il y a eu de tout temps, et dans toutes les régions du monde, des voyants de ce calibre qui ont pu ainsi ramener des aperçus cohérents de l'histoire du monde, incorporés à une Sagesse ésotérique traduite dans des langues différentes, mais manifestant son unité harmonieuse avec la Theosophia perennis évoquée plus haut. Fort bien. Mais pourquoi donner la préférence à l'Orient? À en croire Mme Blavatsky, on dirait que l'Orient secret a maintenu vivants, depuis des âges, des centres initiatiques capables de conserver les clefs ésotériques des traditions qui ont vu le jour, précisément, dans cet Orient lointain 9. Des centres fréquentés par les hauts initiés, susceptibles d'accéder eux-mêmes directement à l'omniscience que nous avons mentionnée. Tout cela appartenant encore au présent, dans les années 1880. Et, plus d'une fois, H.P.B. a parlé de la sagesse « chaldéo-tibéto-aryenne », d'où sont issus des courants ésotériques toujours vivants, comme la kabbale chaldéenne, et les Écoles secrètes du Tibet et de l'Inde.
Autre point essentiel à ajouter, dans la même perspective : alors que les temples à Mystères de l'Occident grec, ou méditerranéen, ont disparu depuis longtemps, sans laisser d'autres traces que dans la pierre (lorsqu'elle a pu échapper à la destruction, aux mains de chrétiens fanatisés), les centres initiatiques de l'Orient (indien ou tibétain) ont le plus souvent perduré, plus ou moins à l'insu de tous. Chose essentielle : ces centres ont pu conserver, dans des retraites secrètes, les archives et documents accumulés par des générations d'hiérophantes et de voyants, préservant ainsi, à travers le temps, l'histoire des initiés et des peuples qu'ils ont accompagnés, mais aussi - pourquoi pas ? - des comptes-rendus d'expériences transcendantes qui restent d'actualité et peuvent servir de guides à des explorateurs ultérieurs, afin de contrôler leurs propres visions, et peut-être aussi ajouter des éléments essentiels, résultant des variations cycliques imposées à l'Évolution de notre monde au fil des siècles, voire des millénaires. De cette façon a pu s'édifier une véritable science des mystères de la vie, par les contributions successives d'innombrables initiés qui ont dû accéder successivement à la « Grande Mémoire de la Nature ». Nouvelle folie ? Si l'on veut. En tout cas, en présentant aux hommes de son époque son nouveau Magnum Opus, La Doctrine Secrète, où elle tentait de communiquer par écrit les grands thèmes de ce que nous avons appelé la Theosophia perennis, Mme Blavatsky a fait clairement référence à la « Sagesse accumulée des âges », élaborée précisément de la façon qui vient d'être suggérée.
8. Tout cela supposerait que l'Histoire complète du monde - tout au moins celle de la Terre et de l'humanité, depuis ses débuts - serait disponible dans une « Grande Mémoire de la Nature », en attendant que des chercheurs qualifiés trouvent la clef permettant d'y accéder, pour s'y instruire et en rapporter des échos essentiels pour leurs frères humains. Un rêve ? [retour texte]
9. Dans un article de 1889, publié en français par H.P.B. (« Le Phare de l'Inconnu »), on pouvait lire cette remarque attribuée au grand voyant suédois, Swedenborg : « Cherchez le Mot perdu parmi les hiérophantes, dans la grande Tartarie et le Thibet. » En somme, parmi les initiés de l'Orient lointain. [retour texte]