Les Mystères des Égyptiens, Chaldéens et Assyriens par Jamblique
Avant d’entrer dans l’étude de tout ce qui peut se rattacher à ce sujet, il faut évidemment faire une brève introduction concernant l’auteur de ce livre couramment désigné Les Mystères d’Égypte, mais qui devrait s’intituler plus exactement Les Mystères des Égyptiens, Chaldéens et Assyriens, dont l’auteur est Jamblique.
Il faut rappeler aussi dans quelles conditions il a vécu, et à quelle époque, etc. La scène se passe en Asie mineure très pénétrée par la culture Hellénique, dans les 3ème et 4ème siècle de notre ère, à un moment où le Christianisme s’implantait de plus en plus face au monde païen. Jamblique, en Grec Iámblichos (Ἰάμβλιχος), est né en Syrie vers l'an 250, et il reçut comme élève d’un certain Anatolius, un enseignement assez tendu couvrant les doctrines de Platon, de Pythagore, et celles des Chaldéens et des Égyptiens. À Apamée, il enseigna la philosophie et fonda l’école Néoplatonicienne de Syrie. Certains biographes assurent qu’avant de fonder son École, Jamblique fût l’élève de Porphyre.
Mais, sa grande ouverture à des sources proprement orientales, l'incitait à élargir considérablement ses vues par rapport simplement aux visions des néoplatoniciens. Il n'a pas rejeté son attachement au Néoplatonisme, ni à son grand pionnier Plotin, qui avait été disciple du grand maître Ammonios Saccas à Alexandrie et dont il avait suivi les cours pendant des années, avant de s’établir à Rome pour créer sa propre École à partir de l’an 244 jusqu’à sa mort vers 270. C’est d’ailleurs à Rome que le grand disciple de Plotin, Porphyre recueillit les enseignements de ce maître du néoplatonisme, et qu’il publia sous le titre d'Ennéades après la mort de son maître Plotin.
C’est un autre enfant de la grande Grèce au Moyen Orient, que fût Porphyre né à Tyr en 234. Il avait séjourné à Athènes à l’école de plusieurs maîtres, avant de se consacrer définitivement à Plotin à Rome à partir de 263, pour finalement prendre la direction de son école après la mort du fondateur et, rédiger La vie de Plotin. On ne sait pas vraiment pourquoi ni comment Porphyre et Jamblique, localisés assez loin l’un de l’autre dans le monde méditerranéen, ont pu avoir des contacts assez étroits, pour dialoguer sur des thèmes très philosophiques, mais sans doute, tout les destinait à ce genre de rencontre. En dehors du néoplatonisme, leur intérêt s’était porté sur tout ce qui touchait à la vie mystique. Tous deux ont écrit une Vie de Pythagore ; tous deux ont laissé des traités sur la pratique du retour de l’âme au divin, etc.
En ce qui concerne notre livre, Les Mystères d’Égypte, Jamblique s’est déterminé à rédiger ce livre sur les mystères des égyptiens, pour répondre à une série d’erreurs et d'allégations fausses, relevées dans une lettre adressée par Porphyre, à un maître égyptien du nom de Anébon. En réponse à cette lettre, dans le texte intitulé la Réponse de maître Abammon, Jamblique va essayer de résoudre tous les problèmes avec toute la compétence nécessaire.
Alors, quand on examine le livre des Mystères d’Égypte on s’aperçoit que la réponse de Jamblique couvre environ vingt fois plus d’espace que la lettre de Porphyre, en raison de ses abondants commentaires. En tout, on compte 10 sections chacune contenant un nombre variable de sous-sections, de 8 à 31 selon les cas, sur des thèmes très étendus et très complexes. On découvre vite les thèmes qui sous-jacents l’ouvrage quand on l’ouvre et le parcoure.
Mme Blavatsky n'a pas ignoré Jamblique. Elle a fait de nombreuses références à sa vie, et à son œuvre, comme porte-parole de la Théosophie à une époque charnière de l’histoire de la spiritualité en Occident. Ainsi, si tout cela est vrai, les grands thèmes de la Théosophie moderne devraient se trouver évoquées dans le livre de Jamblique. Pour s'en assurer, on peut chercher comment le langage de ce maître annonçait déjà l’exposé de grands thèmes théosophiques comme : les Trois Propositions Fondamentales, les Dix Points d'Isis Dévoilée, etc., ... Et on trouve beaucoup de points qui évoquent de très, très pourrait-on dire, tout ce qui est contenu dans cet enseignement moderne de la Théosophie.
Même si beaucoup d’autres traités de Jamblique ont été perdus au cours du temps, il faut bien comprendre que Les Mystères d’Égypte, n’est pas un traité de métaphysique ou de philosophie à l’usage de débutants. Il vise essentiellement à corriger des thèses fausses ou incomplètes en vigueur de son temps, et aujourd’hui encore. Il répond à des questions préoccupantes pour Porphyre ou certains de ses élèves. Il nous revient ici de donner une vue d’ensemble, de cette philosophie ou Théosophie de Jamblique, à partir des points essentiels que l’on peut recueillir tout au long du livre.
Notons en premier que l'un des mots les plus fréquemment utilisé ans le discours est [théo], dieu en grec ; ou [théos] les dieux, en grec toujours. Mais l’intention n’est pas de renvoyer à un dieu personnel comme dans beaucoup de religions exotériques, mais d’évoquer la force agissante conjuguée d’entités divines, ou de hiérarchies divines qui font du monde dans lequel nous sommes un cosmos, soumis à une loi d'ordre, un projet précis, et non pas un chaos, désordre ou hasard quelconque. Ce [théos (θεός)] qui avait déjà été salué par Pythagore dans ses Vers d’Or porte une loi d’ordre qui donne à cet univers tout son sens et sa dynamique. Cet ordre suggère de remonter par la pensée, toute l’échelle des êtres manifestés depuis les plus grossiers du plan matériel, jusqu’aux plus spirituels et lumineux, que l’on ne voit pas, mais que l'on peut imaginer au sommet de cette échelle.
Avec Jamblique, il faut dépasser le sommet de l’échelle des êtres, pour atteindre un Absolu immuable qui est sans aucun lien avec ce monde. C’est l’UN, sans second en quelque sorte ; l’Être, ou l’étant,[toon] en grec, participe présent du verbe [éinai], être. L’Étant qui n’agit pas, mais qui réunir en lui toutes les potentialités appelées à se manifester ici-bas. On pense ici bien sûr à l’En-Soph de la Cabale, « l’UN sans Limite » d’où rayonnera la Lumière ou le Pouvoir qui donnera vie à l’Arbre des Sephiroth qui sous-tend tout notre monde manifesté. Avec Jamblique, c’est par le Principe Premier qui émane de cet Absolu, que va s’imposer l’ordre et l’organisation dans tout le développement de l’univers. Le Logos qui exprime la Loi, qui est appelé à conduire les hiérarchies constructrices de ce monde dans leurs opérations. En référence à Platon, Jamblique évoque ce Principe comme le Démiurge ou l’Agent par qui toutes les créatures sont venues à l’existence afin d’accéder au devenir. Le devenir est le fait d’être en constante transformation, de la naissance à la mort, au cours de incarnations successives.
Toutes les créatures présentes sur l’échelle descendante de l’involution (par émanation), sont soumises à cette loi du devenir, en grec [génésis (γενεσιϛ)], à travers des plans où tout change, tout coule, tout se transforme comme l’avait déjà dit Héraclite. Ce pèlerinage est possible car l’homme qui possède une constitution triple : un corps physique, soma, une âme, psuché, et un intellect, le Noûs de Platon, qui doit servir de pôle directeur. On peut ainsi distinguer trois plans correspondants dans le monde où nous vivons : plan de veille, plan des rêves et plan du sommeil profond, et en coulisses de ces mondes, des hiérarchies de dieux, de demi-dieux, de démons, etc., qui opèrent dans l’ombre pour influencer les vivants selon de degrés de leur position sur l’échelle des êtres.
Pour Jamblique le statut de l’âme humaine n’est pas quelconque. L’âme s’enracine au sommet de l’échelle au sein même du Démiurge, l'Âme Universelle qu’évoque de très près Mme Blavatsky. Donc, l’âme humaine est divine en essence. Chez Platon, elle était, spectatrice du cortège des dieux avant d’être dépêchée dans le monde par le Grand Divin, avec le projet de revenir nécessairement à sa source initiale. Malheureusement, elle subit une sorte de déchéance, essentiellement divine, qui l’attache au monde du devenir. On découvre ici évidemment, les notions de Karma et de Réincarnation.
L’âme incarnée dans une personnalité terrestre n'en n’est pas à son premier essai, et n’échappe pas aux conséquences de ses erreurs, ou de ses fautes passées. Ce qui explique bien des injustices dont on peut être témoin, en voyant des êtres, apparemment tout-à-fait innocents, subir maintes peines de la part de méchants que rien ne semble pouvoir empêcher d'agir. Comme il est écrit dans un Vers d'Or de Pythagore (le n° 54) : « Ils ont les maux qu’ils ont eux-mêmes choisis les mortels ». Ça veut dire qu’ayant mal usé de leur libre arbitre les hommes récoltent, maintenant les fruits de leurs erreurs. Certes, les mortels ne connaissent pas leurs vies antérieures, mais les dieux eux, les forces qui gèrent le destin individuel et collectif de chacun n'en sont pas ignorants. Il faut ajouter ici une précision essentielle.
En réalité, les âmes humaines envoyées dans le monde n’étaient pas démunies. Le Grand Dieu que Jamblique qualifie aussi du nom de Père, Pater en grec, a doté chaque âme naissante d'un daïmon, une entité divine par essence, chargée de maintenir le lien avec ce Père tout au long du pèlerinage de l’âme dans l’univers du devenir. Le mot daïmon a été traduit de différentes façons, comme, par génie tutélaire. Ce compagnon intime de l’âme doit jouer, un rôle essentiel pour assurer le retour de l’âme au sein du Père. Il faut noter aussi que chaque âme est dotée d’un daïmon individuel particulier, un daïmon particulier, [en grec ό ίδίος δαίμων, ho idios daïmôn] qui n’est pas celui d’une autre âme, car chaque âme a le sien propre.
En analysant avec Porphyre les pouvoirs qui interviennent dans la destinée humaine, Jamblique en vient à distinguer deux types de daïmon. Outre le daïmon divin qui préside à la destinée supérieure de l’âme, il évoque aussi un daïmon psychique, qui détermine à l’homme les conditions de son devenir terrestre. Ce daïmon plus terrestre, plus proche, plus lié à la psyché, est le « maître de maison », ou le « maître de l’horoscope » qui pour un astrologue représente le programme karmique imposé à l’âme psychique pour une incarnation donnée, en conformité avec la disposition des planètes dans le Zodiaque à l’heure de la naissance. Ceci rappelle On n’est encore pas loin de la Chaldée et de ses astrologues. Bien sûr le daïmon divin n’a rien à voir avec l’horoscope, il existe sous forme de paradigme, d’image idéale associée à l’âme pour des durées illimitées, on dirait depuis toujours. Point essentiel, c’est à ce daïmon, daïmon divin bien sûr, que chacun de nous doit d’avoir une conscience humaine, réfléchie, une intelligence créatrice, une capacité d'aimer et de se sacrifier pour une cause universelle. Lorsque le daïmon psychique s’établit intimement entre l’âme humaine et son guide intérieur, le daïmon rendu libre de s’exprimer devient l’inspirateur et le maître permanent d'un homme ou d'une femme. On pense ici bien sûr à Socrate, qui avait son daïmon qui le conduisait et qui lui donnait même des instructions et des ordres, pour vivre sa vie dans le monde athénien de l’époque.
Maintenant dans ses écrits, Mme Blavatsky a souvent évoqué Jamblique comme un prophète du yoga. Ce qui apparaît aussi maintes fois dans l’analyse de son traité et des Mystères des Égyptiens. Tout ce qui précède jette les bases d’une connaissance ou d'une doctrine ésotérique. Tout cela expose une Sagesse, Sophia, nécessaire à une démarche spirituelle éclairée dans la vie quotidienne, en bref, on a ici dans les mains, un yoga de la connaissance, un jñana yoga, et avec cette connaissance jñana, qui répond en somme au mot grec gnosis qui veut dire sagesse-connaissance. Bien sûr, cette connaissance doit servir à éclairer une pratique. Il ne suffit pas d’avoir une gnosis, d’avoir la connaissance, il faut aussi l’appliquer dans le sens de praxis. Donc, il faut réaliser avec tout cela la destinée divine de l’homme, toujours du yoga bien entendu, mais sous des formes diverses.
Vous vous souvenez peut-être que dans la Bhagavad-Gîta, chacun des 18 chapitres contient le mot yoga, c’est-à-dire, la démarche qui va amener l’homme progressivement jusqu’à l'union avec sa racine divine. Maintenant, l’homme, enchaîné au monde du devenir et devenu profondément conscient de cette situation, va maintenant tout mettre en ordre pour atteindre la libération de toutes ses attaches, de tous ses liens, de toutes ses chaînes. La libération en sanscrit moksha, et en grec [lucis] ou bien [apolucis], il y a toujours une correspondance entre les mots grec et les mots sanscrit dans cette démarche. Porphyre qui était probablement un Initié comme Jamblique, n’ignore pas les stades préliminaires de ce yoga dans ces questions qu’il évoque brièvement.
Maintenant, Jamblique va mettre en avant les choses essentielles dans cette préparation, dans cette transformation préliminaire. Il s'agira bien sûr de la catharsis, la purification de tout l’être physique et psychique, avec le contrôle des pensées, le contrôle des émotions, etc. : catharsis, la purification. Et puis aussi il y a l’abstention, il y a le renoncement, en sanscrit samnyasa, qu’on doit s’imposer dans la consommation d'aliments, le contact avec des objets plus ou moins purs, etc., etc. Donc, se libérer, se stabiliser, assister impassible au spectacle des passions, résister à toute tentation ! C’est une première démarche, une première condition essentielle, et on peut noter ici que Pythagore a consacré plus d'un de ses Vers d’Or à ce genre d’entraînement préliminaire, à cette hygiène physique et psychique, ce contrôle de soi.
Il faut maintenant passer on pourrait dire à l’essentiel. La quête permanente du divin qui fera le salut de l’âme, qui permettra d’atteindre la béatitude finale, sanscrit ananda, et grec [endaïmonia (εύδαιμογία)], toujours des correspondances. Alors, au point où nous en sommes maintenant, qu’est-ce qui va se passer ? Jamblique va proposer une démarche mystique, qui va mobiliser tout l’être intérieur : intelligence, intuition, aspirations libres de tout sens du moi personnel, volonté sans défaillance, désir d’union inspiré par l’amour pur, et disposition à sacrifier tout obstacle rencontré sur cette voie de l’union de l’âme pure avec le divin. On devrait dire de réunion de l’âme avec sa source. C’est une véritable démarche de Raja Yoga. Mme Blavatsky a plusieurs fois employé ce terme en pensant à l’enseignement de Jamblique. Une démarche de Raja Yoga, du Yoga Royal, qui inclut toutes les formes de yoga possibles. Mais attention ! Ce que propose Jamblique n’est pas un livre de recettes qu’il suffira d’appliquer avec un mental scrupuleux, etc. Ici on entre dans la voie de la dévotion qui mobilise le cœur dans ce qu’il a de plus pur, de plus généreux, de plus ouvert. Il s’agit du cœur allié à l’intelligence éveillée, l’intelligence du cœur si vous voulez. On n'entre dans la voie du bhakti (dévotion) yoga bien connue dans la Bhagavad-Gîta en particulier. Bien sûr, les religions proposent aux fidèles des démarches pour recevoir l’aide des dieux, à condition bien sûr que le fidèle ait une dévotion pour ces dieux, ce sont les prières et les sacrifices. Avec Jamblique, les dieux ne sont pas des entités personnelles qu’il conviendrait de circonvenir, comme on peut le faire avec des personnes humaines de hauts rangs, des rois, des nobles, etc., en opérant, avec la parole, par des supplications pour apitoyer les dieux avec des discours flatteurs visant à obtenir des bénéfices à la mesure de ces pratiques, ou avec des dons, par des offrandes, ou objets de grands prix qui montrent à quel point on est prêt à sacrifier beaucoup de choses ! Ni évidemment avec des sacrifices, par la mise à mort non seulement d’animaux, mais aussi éventuellement d’enfants ou d’humains de grands prix également ! On se souvient d'Agamemnon, qui a sacrifié sa fille Iphigénie pour obtenir des dieux des vents favorables, permettant à la flotte des Grecs en partance pour Troie, en vue de récupérer la belle Hélène. Ça n’a rien à voir avec l’optique présentée par Jamblique bien entendu ! Pour Jamblique, le sacrifice, [tusίa], ne relève pas du commerce avec les dieux ; il exclut, donc, tous les sacrifices matériels pour les dieux immatériels. S’il y a offrandes, elles devraient être faites dans le sens de la libération de la matière. Le vrai sacrifice change en immatériel notre nature matérielle. En nous tournant vers les dieux, le sacrifice consacre la parenté, ou la relation intime qui nous lie aux dieux, ce que Jamblique appelle d'un nom caractéristique la [philia], un autre mot pour amour si vous voulez, [philia (φιλία)] signifie, au sens le plus simple, amitié. Mais en fait, cette [philia] est le mot adopté pour traduire le lien profond d’harmonie, qui fait de deux êtres une réalité unique, en somme, la profonde fraternité. La [philia] lie, comme le dit Jamblique, les ouvriers à leurs ouvrages, et lie tous les êtres à l’unité du Tout cosmique. C’est quelque chose de très très profond de très vaste. Cette [philia] est divine dans son essence, en somme, c'est la Fraternité Universelle. Quant à la prière, prière en Grec, c’est [eukey (εὐχἠ)], elle a plusieurs degrés toujours selon Jamblique. Ce n’est pas une demande pour obtenir des avantages, un pardon des péchés, ou quelque bénéfice personnel. Elle doit visée d’abord à rapprocher des dieux, donner un sens à la dévotion qui soutient le yogi, pour créer un lien de philia indissoluble avec le divin. Dans la prière véritable, l'orant celui qui prie, se trouve uni complètement à l’objet de sa prière. D’après Jamblique pour ainsi dire, le divin s’entretient avec lui-même dans la prière, déclaration surprenante, « le divin s’entretient avec lui-même dans la prière ». Il n’y a plus toi et moi, il n’y a plus moi et le divin, c'est une espèce de fusion. On n’est plus dans l’échange verbal, on n’est plutôt dans la contemplation expérimentée dans la méditation prévue dans le Raja Yoga.
Alors, Jamblique va passer à un degré supérieur, à la théurgie. La théurgie, quand on pense à ce que dit le grec, c’est la réunion du mot [theós] et [érgun], c’est une opération divine, surnaturelle pourrait-on dire, du fait que cette fois, les liens avec le terrestre sont coupés. L’âme libérée de sa prison par la puissance du rite théurgique dont Jamblique garde évidemment tout le secret, s'efforce d’attendre l'union avec son principe divin : arché, ou principe divin. Une véritable métamorphose initiatique, dirait-on, où dans la contemplation de la vérité suprême, l’âme atteint le but de toute démarche de yoga. Le Yoga, union, c’est atteindre l’union avec son Soi divin, le terme grec c’est l’unification, c’est [énosis (ένωση)] ; le fait d’être un, [ena] grec, c’est-à-dire, devenir un avec sa racine essentielle. Pour Jamblique cette démarche est essentielle. Cette union va s’accompagner si elle est réussie d’une félicité indescriptible, ici encore on retrouve l’enseignement des textes du yoga. C’est le vrai bonheur que rien d’autre sur la terre ne peut donner aux humains. Cette félicité extraordinaire, indescriptible, atteinte par le yogi qui accède au but de sa démarche. En s’élevant jusqu’au Père, principe essentiel de l’âme, cette âme se libère des liens du karma, c’est un point sur lequel Jamblique insiste. Comme l'indique encore Pythagore dans le dernier de ses Vers d’Or, « l’âme devient immortelle semblable à un dieu ».
Ceci nous oblige à réfléchir beaucoup pour essayer de comprendre ce que veulent dire tous ces textes. Bien sûr, il y a d’autres sujets qui mobilisent Jamblique dans ses explications à Porphyre. Il traite par exemple de la mantique, la divination qui sera parfaite pour l’homme libéré qui tient ainsi en lui une sorte d’omniscience. Cette mantique sera moins parfaite et moins complète chez un homme qui n’a pas encore atteint le but de sa démarche, mais elle sera déjà efficace chez celui qui pratique vraiment le type de yoga décrit. Et alors, avertissement ! N’allez pas confondre cette divination d’inspiration divine, avec les pressentiments d’évènements comme des orages, des tremblements de terre, que certains hommes ont, et qu’on observe même chez des animaux. Dans tout ce texte évidemment, il n’est pas question de magie dans ses rapports avec les entités inférieures du monde voisins de la terre.
Plotin et Porphyre voyait dans la théurgie au contraire, des pratiques condamnables, assimilables à la magie noire, jusqu’à ce qu’heureusement, Jamblique saisisse l’occasion de cette correspondance avec Porphyre pour légitimer et expliquer cette pratique sublime. Ce fut d’ailleurs un prêtre égyptien qui pratiquait cette théurgie dans un temple d’Isis à Rome, qui a réussi à évoquer le daïmon intime de Plotin, lequel apparu rayonnant de lumière comme un véritable dieu.
On retrouve Jamblique à propos du daïmon à travers l’explication qu'en a donné Mme Blavatsky dans Isis Dévoilé, dans son introduction page xlii, où évoquant cette apparition, elle écrit : « cette manifestation divine, c'est le daïmon familier de Plotin », ou en langage moderne, l’ange gardien de ce philosophe.
Tout un programme ! Merci.
Citation de Jamblique publiée par H.P. Blavatsky dans la revue Lucifer d'avril 1889, sous le titre de Parole d’Or.
« Il existe une faculté dans le mental humain qui est supérieure à tout ce qui est né ou créé. Par elle nous pouvons atteindre à l’union avec les intelligences supérieures, nous pouvons nous transporter au-delà des scènes et des incidents de ce monde, et prendre part à la vie supérieure et aux pouvoirs particuliers des êtres célestes.
« Par cette faculté, nous sommes libérés de la domination du sort (karma), et devenons, pour ainsi dire, les arbitres de notre propre destinée. Car lorsque le meilleur de nous-mêmes s’imprègne d’énergie, et lorsque l’âme s’élève vers des natures plus nobles que la sienne, elle se sépare des conditions qui la maintenaient sous le joug de la vie quotidienne actuelle du monde ; elle échange sa vie présente contre une autre, et abandonne les habitudes conventionnelles appartenant à l’ordre extérieur des choses, pour se donner et se mêler à cet ordre qui appartient à la vie supérieur. » (Jamblique)