• Le Livre « Découvrir le Maître Intérieur »

    Par Jean-Louis Siémons, scientifique de profession, intéressé par les traditions spirituelles, un spécialiste averti des problèmes de réincarnation et de survivance de la conscience.

  • L'inséparable compagnon dans la vie et la mort

    Le temps n'est plus où l'on devait choisir entre croyance en Dieu et athéisme. Le siècle passé nous a découvert l'Orient et ses richesses, mais révélé aussi des perspectives scientifiques compatibles avec une vraie démarche spirituelle.

Vasudevamanana

VASUDEVAMANANA OU LA MÉDITATION DE VASUDEVA 

Nous vous présentons ici l'ouvrage Vasudevamanana un texte de la tradition de l'Advaita.

Le Vasudevamanana - Or the Meditations of Vasudeva: A Compendium of Advaita Philosophy a été traduit de l'Anglais par Brigitte Taquin (© Brigitte Taquin). L'auteur de ce texte ancien est Parama-hamṣa Parivrājakāchārya Vasudeva Yati. La traduction du Pali (ou Sansnrit) en Anglais a été faite par K. Narayana-svami Aiyar et R. Sundaresvara Sastri.
Le 
premier éditeur était Srividya Press, Kumbaconam, 1893 – 124 pages. 

Ce texte a été publié en anglais dans les numéros de mars à septembre 1892 de la revue théosophique Lucifer. Les deux traducteurs K. Narayanaswami Aiyar et R. Sundaresvara Sastri étaient membres de la Société Théosophique de Kumbaconam en Inde (v. revue Lucifer, août 1891).

Lire le texte publié dans Lucifer de 1892 – Première partie : Introduction et Varunaka (Chapitres) I à VI.

Lire le texte publié dans Lucifer de 1892 – Deuxième partie : Varunaka (Chapitres) VII à X.

Lire le texte publié dans Lucifer de 1892 – Troisième et quatrième parties : Varunaka (Chapitres)  N°XI   et    N°XII.

Lire le texte de la seconde édition publiée en 1918 à Adyar : Vasudevamanana

 

Table des matières

 

Introduction

Le Vasudevamanana ou la méditation de Vasudeva

Tableau synoptique du développement de l’évolution

Chapitre I

L’évolution, d'Âtmâ (le Soi ou l'Esprit) à la matière grossière

Chapitre II

Les qualifications requises pour devenir un étudiant du Vedanta, ou chelâ

Chapitre III

Distinction entre Âtmâ, l'Esprit, et le Non-Esprit (ou Matière)

Chapitre IV

La genèse de la souffrance du Jîva, ou l’Esprit en nous ; détection de sa cause, à savoir la possession d'un corps ; lequel est à son tour, généré par sa cause, Karma

Chapitre V

Qu'est-ce que Karma ? Les différentes sortes de Karma

Chapitre VI

Discussion approfondie sur Râga et les autres désirs (qui sont la cause du Karma) ; Abhimâna (l'identification du Soi avec tous les objets, qui est la cause des désirs) ; Aviveka (non-discrimination, ou ignorance, de ce qui distingue l'Esprit du Non-Esprit) ; et Ajñâna, la cause de ce dernier.

Chapitre VII

L'aspect quadruple d'Âtmâ

Chapitre VIII

Âtmâ n'a pas les caractéristiques des trois corps

Chapitre IX

Âtmâ est un témoin des trois états de conscience

Chapitre X

Âtmâ est distinct des cinq Kosha (ou enveloppes)

Chapitre XI

Âtmâ a les caractéristiques de Sat (Être-té), Chit (Conscience), et Ânanda (Béatitude)

Chapitre XII

Dialogue entre le Guru et le Disciple concernant les Mystères ultimes

 

INTRODUCTION AU VASUDEVAMANANA, OU LA MÉDITATION DE VASUDEVA

Traduit par deux membres de la Société Théosophique (S.T.) de Kumbakonam (Inde).

Les balles de coton, le cuir et d'autres produits sont exportés par l'Inde vers l'Occident, pour y être travaillés, transformés et peaufinés, et ensuite renvoyés en Inde, joliment conditionnés. Les Indiens restent ébahis à la vue de ces produits ainsi métamorphosés, qu’ils achètent à prix d'or, absolument inconscients du fait que s'ils prenaient un peu la peine de valoriser leurs propres produits, ils seraient en mesure de fabriquer ces mêmes choses d'une façon beaucoup moins onéreuse dans leur propre pays, et s'ils faisaient le travail eux-mêmes, cela redonnerait de l'éclat à leur gloire nationale.

De la même manière, à moins que l'intégralité de notre connaissance spirituelle ne soit reprise par l'Occident, traduite, passé au crible de leur science, et retourné avec l’ajout d'un fini moderne, il est presque certain que nos Hindous léthargiques, à en juger par leur présente attitude, ne méditeront pas sur leur connaissance spirituelle, ni ne lui donneront une nouvelle forme, susceptible de raviver leur glorieuse spiritualité nationale.

Le Vasudevamanana est considéré par les Pandits du Sud de l'Inde comme le compendium standard de la philosophie Advaita. Son âge est incertain, et les gens disent qu'il s'agit d'un Prâchîna Grantha, c'est-à-dire d'un ouvrage archaïque. La vie de son auteur, comme c'est souvent le cas pour les écrivains vedantins de l'Inde, se perd dans l'obscurité du passé, car en rédigeant leurs ouvrages, ils étaient motivés par le désir altruiste de servir l'humanité, et non par un intérêt personnel. Cet ouvrage, bien qu'il soit appelé « Les Méditations de Vasudeva », l'Ascète, expose en réalité les méditations sur Vasudeva, ou le Soi Supérieur. Le nom de l'auteur n'aurait même pas été rendu public, si certains de ses disciples, selon toute probabilité, n'avaient inséré deux lignes dans l'ouvrage, spécifiant qu'il avait été écrit par un certain Vasudeva, dénommé l'Ascète.

En parcourant cet ouvrage, on remarquera que l'auteur ne mentionne que trois avasthâ ou états, à savoir, jagrat, la veille, svapna, le rêve, et sushupti, le sommeil sans rêve, et pas turîya, le quatrième état. L'auteur, qui fait montre d'un intellect très puissant tout au long de l'ouvrage, était-il ignorant de ce quatrième état, mentionné dans de nombreux Upanishad, ou n'a-t-il pas jugé opportun de l'inclure dans un ouvrage rudimentaire ? Nous penchons certainement pour la seconde opinion.

D'après la façon dont l'auteur traite de son sujet, il est clair qu'il a introduit toutes les propositions qui pouvaient possiblement l'être dans les trois creusets que sont la perception, la logique et le témoignage, qu'il a argumenté pour et contre ces derniers, et qu'il est ainsi parvenu à certaines conclusions.

Cet état turîya, le quatrième état, ne peut être soumis à ces trois tests (de la perception, de la logique et du témoignage), car il est une énigme pour tous, sauf pour un Illuminati. Notre auteur n'a donc, selon nous, pas été en mesure de mettre ce quatrième état à l'épreuve de la perception et de l'expérience, si bien que ce traité élémentaire ne révèle pas la distinction subtile qui différencie Paramâtmâ de Parabrahman, telle qu'elle a été traitée par feu T. Subba Row. Notre auteur utilise ces deux mots comme des synonymes d'Esprit par excellence.

T. Subba Row, dans ses remarquables conférences sur la Bhagavad-Gîtâ, a postulé qu'il y avait trois principes éternels dans ce quatrième état (turya) : Mûlaprakriti ; le Logos, Îshvara, ou encore Nârâyana ; et la Lumière du Logos, Daiviprakriti, ou Fohat. Il précise également que l'on atteint le Nirvâna, ou Moksha, en s'immergeant dans le Logos, lequel, selon lui, est séparé de Parabrahman par le voile de Mûlaprakriti.

Mais les Brâhmanes de l'Inde du Sud rejettent cette proposition, se réclamant de telle ou telle autorité, et prétendent qu'il ne peut y avoir de Mâyâ (illusion) en Nirvâna, tandis que selon T. Subba Row, Mûlaprakriti est présente dans cet état qu'ils considèrent être Mâyâ.

À cela, nous répondons que la Mâyâ n'est pas la Mûlaprakriti elle-même, mais qu'elle n'en est qu'une émanation sattvique, que les auteurs du Sânkhya appellent Mahat, lequel se trouve sur un plan inférieur à celui de Mûlaprakriti. Autrement dit, Mûlaprakriti est le noumène, et Mâyâ ou Mahat, le phénomène. Bien que le voile de Mûlaprakriti soit présent en Nirvâna, il n'est, pour ainsi dire, qu'un tremplin vers Brahman, l'Esprit pur, appelé Para-Nirvâna par les auteurs bouddhistes. Cette Mûlaprakriti, ou Ajñâna, est qualifiée, par notre auteur, d'indescriptible, n'étant ni Sat, ni Asat, ni un mélange des deux ; n'étant ni différente, ni non-différente, d'Âtmâ (l'Esprit), ni un mélange des deux, etc. L'auteur distingue cette Ajñâna de Brahman, du fait de son extinction ou sa disparition, dans une personne, au moyen de Jñâna, la Sagesse Spirituelle et uniquement ainsi, même si elle peut continuer d'exister pour les autres, et qu'elle puisse être sans commencement.

De même, comment allons-nous jeter un pont vers turîya, le quatrième état, comme indiqué dans la Mândukya, et d'autres Upanishad ? Nous pensons que l'interprétation la plus juste que l'on puisse suggérer, en ce qui concerne cet ouvrage du moins, est qu'au lieu de commencer par Brahman, l'Esprit, l'auteur commence par Daiviprakriti, la Lumière du Logos. Nous pensons, de plus, qu'il a également introduit les trois principes dans l'ouvrage par le biais de Sat, Chit et Ânanda, qui correspondent respectivement à Mûlaprakriti, au Logos et à la Lumière du Logos. Sat, Chit et Ânanda ont, chacun, les attributs des deux autres, car ils sont indivisibles. Ânanda, ou Daiviprakriti, est donc Sachchidânanda. Par suite, un autre argument se présente alors. Brahman est dit se situer au-delà de tout attribut, nom, forme, etc. S'il en est ainsi, quel est l'intérêt de le qualifier de Sachchidânanda ?

En ce qui concerne Moksha, ou Nirvâna, lui-même, nous entendons par ce terme, conformément à son étymologie, la libération des renaissances, ou de la vie mondaine. Même si le voile de Mûlaprakriti est présent dans l'état de Paramâtmâ, le quatrième état, il nous libère des renaissances, de la vie mondaine. En outre, pourquoi l'unique Parabrahman serait-il appelé de différents noms en Sanskrit, tels que Paramâtmâ, Pratyagâtmâ, Kûthastha, et d'innombrables autres, s'il n'y avait pas quelque différence dans leurs significations ? Au contraire, nous pouvons citer l'autorité de la Sarvasâra Upanishad, qui, si elle n'est pas considérée comme faisant autant autorité que les Dasha Upanishad (lesquelles, en passant, ne nous contredisent pas sur ce point), n'en demeure pas moins une autorité. Dans cette dernière, ces différents noms sont définis avec leurs diverses significations. Il existe aussi d'autres Upanishad qui confirment ce point.

N'eût été la divergence d'opinion entre T. Subba Row et les Pandits, nous ne nous serions pas engagés dans cette controverse. Enfin, les traducteurs espèrent que le public leur pardonnera toute erreur ayant pu se glisser dans leur version, et qu’il pensera qu'ils ont été uniquement motivés par le désir que leur travail profite à tous. 

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Tableau du développement de l’évolution

 

Tableau volution franais 3

 Tableau du développement de l'évolution publié dans l'édition de 1918 :

Table of The Order of Evolution

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Les mÉditations de VasuDeva, ou VasuDevaManana

OM ! Prosternations devant Srîmat Shankarâcharya, le Maître de tous les traités occultes, le connaisseur de la non-dualité d'Âtmâ (le Soi) qui est pur sattva, et le Guru qui a exposé le Vedanta.

Je salue Nârâyana, qui s'est incarné sous la forme d'un Guru spirituel (de Vedavyâsa) pour réjouir le cœur des sages de ce monde, qui est miséricordieux, et qui efface les péchés de ses dévots.

J'expose maintenant brièvement un ouvrage intitulé Manana (Méditations), transmis de manière très détaillée par le révérend sage Vasudeva, pour l'édification de l'ignorant, et pour l'amélioration de ma propre sagesse spirituelle. Puisse le Seigneur Krishna, le jeune gopala (berger[1]), se tenir maintenant à mes côtés pour me bénir et m'aider dans cette tâche !

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Chapitre I – L’évolution, d'Âtmâ (ou le Soi, l'Esprit) à la matière grossière

Om ! Des quatre buts auxquels aspirent les êtres humains, à savoir dharma (l'accomplissement du devoir), artha (l'acquisition de biens matériels), kâma (la satisfaction des désirs), et moksha (l'émancipation), c'est ce dernier qui est le plus important, car il n'est pas affecté par les trois périodes de temps, et à propos duquel la shruti (Veda) dit : « Qu’il ne renaît jamais. » Ce n'est pas le cas pour les trois autres, qui ne sont qu'éphémères. D'après la shruti : « Les choses terrestres obtenues grâce au karma sont périssables, et de même, les buts atteints dans l'autre monde (le monde supérieur) grâce à des actions méritoires le sont aussi. » Ce n'est que par le biais de Brahmajñâna (la Sagesse Divine) qu'on atteint le salut, et ici nous pouvons citer les passages suivants des shruti : « Quiconque la connaît (brahmajñâna) échappe à la mort. Il n'existe pas d'autre voie menant à l'émancipation. » Également : « Celui qui connaît Brahman atteint le but le plus élevé auquel peuvent aspirer les hommes (viz., le salut). Ce Brahman devrait être connu à l'aide d'adhyâropa (l’attribution fausse ou illusoire) et d'apavâda (l’abandon d'une telle conception erronée).

Les textes des shruti suivants s'y réfèrent : « Tattva (l'être) devrait être atteint par la connaissance d'adhyâropa et d'apavâda. » « Le salut n'est obtenu ni par karma, ni par l’hérédité, ni par la fortune ; cependant certains y sont parvenus grâce à sannyâsa (le renoncement). » Il est donc tout à fait nécessaire que les aspirants à l'émancipation spirituelle comprennent clairement la véritable nature d'adhyâropa et d'apavâda.

Que signifie adhyâropa ?

C'est l'attribution (ou placement) illusoire de l'univers à (dans) Âtmâ, lequel ne contient aucun univers en son sein, tout comme on peut prendre de la nacre pour de l'argent, une corde pour un serpent, ou une bûche pour un homme. Cette conception erronée provient de l'ignorance de la véritable nature d'Âtmâ. Cette ajñâna (manque de discernement ou ignorance) porte des noms divers : avydiâ (nescience), rajas (obscurité), moha (ignorance), mûlaprakriti, pradhâna (le chef, le premier), gunasâmya (l’état d'équilibre des guna), avyakta (le non-manifesté) et mâyâ.

Mûlaprakriti est un composé des trois guna (ou attributs), sattva, rajas et tamas, et est semblable à une corde comportant trois fils, respectivement de couleur blanche, rouge et noire. Cet état d'équilibre des trois guna est appelé le pralaya (déluge ou dissolution universelle), ou mahâ-sushupti (l'état de grand sommeil sans rêve). Dans le pralaya, avant l'émergence de notre univers, les nombreuses myriades de Jîva (Ego) restent absorbées en mûlaprakriti, avec toutes leurs affinités karmiques, telles des particules d'or collées à une boule de cire. On l'appelle mahâ-sushupti dans la mesure où cet état de l'ensemble des Ego rappelle celui expérimenté dans la vie par les individus dans leur sushupti ordinaire (l’état de sommeil sans rêve). Alors mûlaprakriti, selon le degré de mûrissement des affinités karmiques des Ego, sera qualifiée de mâyâ, d’avidyâ ou de tâmasi. Parmi ceux-ci, le premier, mâyâ, se caractérise par un excès de la guna de pure sattva. La Conscience Absolue de Brahman, qui précède l'évolution, s'étant reflétée d’elle-même dans mâyâ, prend alors le nom d'Îshvara (le Seigneur), qui est également connu sous les noms d'avyâkrita (d’inactif), et d'antaryâmin (de latent dans tout). Lui seul est la cause de l'évolution de notre univers. Puis, Îshvara s'étant mêlé à tâmasi par le biais de la Conscience Absolue plénière, il devient la cause matérielle de cet univers, de même que l'araignée[2] est la cause de la toile qu'elle tisse. Ainsi, par l'influence de cet upâdhi (véhicule), (viz., tâmasi), il devient la cause matérielle de l'univers ; et par l'influence de son propre Soi, il en devient la cause instrumentale. Puis, Îshvara créa l'univers ainsi. L'avidyâ (le second aspect de la mûlaprakriti) mentionnée précédemment est variée et multiforme : parce que les Jîva (Ego) possédant une conscience, qui sont reflétés dans avidyâ, sont innombrables (comme le un reflété dans de nombreux miroirs). Ainsi, avidyâ, qui fait une ségrégation, et mûlaprakriti (ou mâyâ), qui est collective, forment les corps kârana (corps causals) respectivement, des Jîva (les Ego immortels ou Mentaux Supérieurs), et d’Îshvara (le Seigneur). C'est dans ces corps kârana que les Jîva et Îshvara expérimentent l'état de sushupti (ou de sommeil sans rêve). C'est ce corps qui forme l'enveloppe ânandamaya (l'une des cinq enveloppes de l’Ego). Ainsi se présente l'évolution kârana (causale).

Nous poursuivrons en décrivant l'évolution de l'Univers subtil.

Sous l'influence d'Îshvara, tamoguna (ou tâmasi) s'est divisé en deux parties, viz., en âvarana shakti, la force centripète, et en vikshepa shakti, la force centrifuge. Vikshepa shakti a évolué en l'âkâsha subtil. Puis l'âkâsha a produit vâyu (l'air) ; vâyu, le feu ; le feu, l'eau, et l'eau, la terre (prithivi). Ces cinq éléments (subtils, et non grossiers comme sur terre) sont dénommés subtils, indivisibles et tanmatras (substances rudimentaires). C'est d’âjñâna (ou mûlaprakriti), qui est la cause des cinq éléments subtils précédemment mentionnés, que sont issus les trois attributs sattva, rajas et tamas (les trois divisions que l'on retrouve également dans les cinq Éléments subtils). De l'essence sattva de chacun des cinq éléments subtils, déjà mentionnés, sont respectivement issus les cinq jñânendriya (les organes des sens), que sont l'oreille, la peau, l'œil, le nez et la langue (subtils). De la totalité collective[3] de l'essence sattva de chacun des cinq éléments subtils ont jailli les antahkarana (organes internes ou mentaux inférieurs). Les aspects d’antahkarana sont au nombre de quatre. Ce sont manas, buddhi (en rapport avec le mental inférieur, et qui n’est pas la Buddhi des Sept Principes théosophiques), ahankâra et chitta. Il faut savoir que parmi ceux-ci, ahankâra devrait être classé sous buddhi, et chitta, sous manas. De la même manière, de l'essence rajas de chacun, de l'âkâsha et des cinq éléments sont respectivement produits les karmendriya (les cinq organes d'action), viz., vâk (l'organe de la parole), les mains, les jambes et les organes d'excrétion et de reproduction. Puis de la totalité synthétique de l'essence rajas de l'âkâsha, etc., sont issus les prâna (les courants vitaux). Ils sont au nombre de cinq, et se différencient en prâna, apâna, vyâna, udâna, et samâna. C'est ainsi qu'a été produit le corps subtil aussi appelé linga deha, lequel comporte dix-sept parties, à savoir, les cinq organes d'action, les cinq organes des sens, les cinq prâna, ainsi que manas et buddhi. C'est ce corps qui est l'instrument du plaisir. C'est dans ce corps que naît l'état de rêve des Jîva (Ego) et d'Îshvara. Les enveloppes vijñânamaya kosha, manomaya et prânamaya[4] appartiennent uniquement à ce corps. Tel est le processus évolutif du corps subtil.

Nous allons maintenant décrire l'évolution du corps grossier.

Les cinq éléments subtils, l'âkâsha et les autres, qui ont en eux une prépondérance de tamas (sattva et rajas ayant été distribués dans la composition subtile) sont chacun divisés en deux parties égales. La moitié d'un élément se combine à un quart de la moitié de chacun des autres éléments (c'est à dire à un-huitième des autres éléments), et on obtient ainsi une combinaison quintuple, de cinq manières différentes (lesquelles constituent les cinq éléments grossiers, de l'âkâsha, etc.). Par ce processus, on obtient la quintuplication des cinq éléments. De ces cinq éléments viennent à l'existence l'Œuf du Monde, comprenant les quatorze Mondes, ainsi que les quatre sortes de corps grossiers, ainsi que la nourriture et autres objets de plaisir. C'est dans ce corps qu'est produit l'état de veille des Jîva et d'Îshvara. Ce corps est appelé annamaya kosha (l'enveloppe de la nourriture). Tel est le processus de l'Évolution grossière. Les corps kârana (causal), subtil et grossier précédemment mentionnés sont chacun macrocosmique (collectif) et microscopique (ségrégé, ou séparé). La forêt, un village, etc., sont des collectivités, tandis qu'un arbre (de cette forêt), une maison, sont, respectivement, des entités séparées. De la même façon, tous les corps, combinés, sont macrocosmiques, tandis que pris un par un, ils sont microcosmiques. Celui qui possède le corps causal macrocosmique (ou qui s'identifie avec lui) est Îshvara ; tandis que celui qui possède le corps causal microcosmique est Jîva. Dans le premier, corps causal (macrocosmique), il est appelé Îshvara, et dans l'autre, prãjña. En relation avec son corps subtil macrocosmique, on l'appelle Hiranyagarbha, tandis que son corps subtil microcosmique lui vaut le nom de taijasa. Son corps grossier macrocosmique lui confère le nom de vishvânara, et son corps grossier microcosmique, celui de vishva. C'est ainsi qu'il y a de nombreuses différences entre les Jîva et Îshvara. Puis cet Îshvara, ayant assumé les formes de Brahmâ, Vishnu et Rudra au moyen des guna, sattva, rajas et tamas, devient, respectivement, créateur, préservateur et destructeur (de l'univers). Brahmâ est inclus dans Virât (ou Vishvavânara), Vishnu, dans Hiranyagarbha, et Rudra dans Îshvara. C'est ainsi que l'univers trouve son origine. C'est l'attribution illusoire à laquelle nous avons précédemment fait allusion. Tels sont les effets de vikshepa shakti.

Traitons maintenant des effets de l'âvarana shakti.

Il s'agit de la force qui, en entourant tous les êtres d’un épais brouillard, les empêche, à l'exception d'Îshvara et des Âtmajñâni (ceux qui détiennent la sagesse de l'Âtmâ[5], du 'Soi'), de comprendre les différences qui existent entre Âtmâ et les cinq enveloppes. Cette force est divisée en deux parties, asattva (la non-croyance en la réalité), et abhâna (l’agnosticisme). La première est la cause de la conception que (Brahman) la réalité n'existe pas, tandis que la seconde est à l'origine de la conception que la réalité est inconnaissable. Ce sont les effets de l'âvarana shakti, et non ceux de vikshepa shakti, qui forment les racines de l'arbre de l'existence mondaine. Et c'est uniquement cette âvarana shakti (l'individualité) qui est aussi la cause de l'émancipation finale. Ces deux aspects d'âvarana shakti, asattva et abhâna, sont annihilées par Tattvajñâna (la Sagesse spirituelle capable de discriminer les Tattvas). Tattvajñâna est de deux sortes, directe et indirecte. La première est la Sagesse spirituelle obtenue grâce à un Guru (un Instructeur spirituel) et aux écrits du Vedanta. C'est ce qu'on appelle shravana (l'écoute, la première étape). Elle fait disparaître asat-âvarana, qui empêche de croire en la réalité de Brahman. C'est alors que pointe la croyance en l'existence du Réel. La Sagesse directe vient, lorsqu'on a éliminé sanshya (le doute) à l'aide de shravana (l'écoute), puis asambhâvana[6] (l'incapacité de penser) par manana (la méditation), et viparîtabhâvanâ (les conceptions erronées) par nididhyâsana (la réflexion tenant compte de tous les points de vue, ou samâdhi), et de plus que la ferme conviction que Brahman est Âtmâ (l’Ego), et vice versa, est bien ancrée dans le cœur des hommes et qu’est éliminée l’erreur que le corps est Âtmâ. Cette Sagesse détruit abhâna-âvarana qui empêche de connaître l'Unique Réalité.

Ainsi, par la Sagesse spirituelle indirecte et directe, les deux Pouvoirs âvarana qui nous portent à croire que Brahman n'est pas et ne brille pas, périssent. Alors survient la cessation des souffrances du cycle des naissances, et l'acquisition de la Félicité.

Il y a donc sept stades (viz., ajñâna, âvarana, vikshepa, la Sagesse indirecte, la Sagesse directe, la cessation de la souffrance, et la Félicité totale). C'est pourquoi on dit qu'adhyâropa est l'attribution illusoire de l'univers irréel à cette intelligence (une) qui est aussi immaculée que l'Âkâsha.

Maintenant qu'est-ce que l'abhavâda ?

C'est l'abandon de l'idée que l'univers n'est pas (réellement) en Brahman, ce qui revient à prendre la nacre pour de l'argent, ou une corde pour un serpent, et la ferme conviction de la réalité de la cause, et non des effets. À en croire la signification des passages suivants des Veda : « Ce qui n'est pas est Mâyâ », et « Ce qui se fait connaître (à nous) (mais qui n'est pas) est avidyâ », il est certain que Mâyâ n'est qu'une illusion. Le Vedanta affirme que quiconque, après avoir dûment enquêté, et devenu conscient du fait qu'il n'y a pas d'autre réalité que Brahman dans l'univers et que le « Je » (l’Ego) est uniquement ce Brahman, sera libéré des affres de la naissance.

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Chapitre II – Les qualifications requises pour devenir un étudiant du Vedanta, ou chelâ

Om ! Ce deuxième chapitre décrit les quatre considérations mouvantes du Vedanta. Or quelles sont-elles ? Ce sont le sujet, l'objet, la relation, et la personne qualifiée. Qu'est-ce que le sujet du Vedanta ? C'est Brahman. Quel est son objectif ? L'émancipation. Qu'est-ce que la relation ? C'est ce qui existe entre la chose décrite et celui qui décrit, ou entre le connu et le connaisseur. Qui est la personne qualifiée ? C'est une personne capable, et qui détient les quatre qualifications énoncées ci-après. De même que seuls les Brahmanes ont compétence pour célébrer le sacrifice appelé Brihaspati Savana (Sacrifice à Jupiter), et que les kshatriya (la classe des guerriers) sont les seuls habilités à faire le sacrifice appelé Râja Sûya[7], les seuls qui soient autorisés à étudier le Vedanta sont ceux qui détiennent les quatre moyens d'obtenir le salut. Quels sont-ils ? Ce sont (1) le discernement entre le réel et l'irréel ; (2) l'indifférence aux fruits des actes ; (3) les six prescriptions, en commençant par Sama (restriction mentale) ; (4) une intense aspiration à l'émancipation. Le premier consiste à savoir que Brahman seul est réel, et que l'univers est irréel ― connaissance obtenue intuitivement, après l'étude sérieuse des shruti (Veda), smriti, Purâna et autres. Le second moyen est cette indifférence (pratique) générée en quelqu'un ― vis-à-vis des fleurs, du santal, des femmes et des autres objets de plaisir de ce monde, ainsi que vis-à-vis des nymphes célestes, et autres objets de plaisir du monde supérieur, tels que le svarga (devachan), etc. ― qui lui fait considérer tout cela comme de la vomissure de chien, ou des déjections humaines, en raison du caractère éphémère des plaisirs susmentionnés. Le troisième est constitué des six qualités, sama, dama, uparati, titikshâ, samâdhâna et shraddhâ.

(1) Qu'est-ce que sama ? C'est le fait de ne pas autoriser le mental à s'engager dans aucune action autre que shravana, etc. (l'écoute ou la lecture du discours spirituel, etc.), et la concentration du mental sur Âtmâ (le Soi), l'objet de shravana, etc.

(2) Qu'est-ce que dama ? C'est la domination (physique) des (fonctions des) organes des sens et de l'action.

(3) Qu'est-ce qu'uparati ? C'est le sannyâsa (renoncement), ou le fait d'accomplir karma sans en désirer les fruits, ou l'abstention de telles actions.

(4) Qu'est-ce que titikshâ ? C'est le fait d'endurer patiemment, ou de supporter avec indifférence, la chaleur et le froid, et les autres opposés similaires, qui résultent du karma passé et qui sont récoltés dans la vie présente.

(5) Qu'est-ce que samâdhâna ? C'est la concentration (sereine) du mental sur des actes susceptibles de conduire à shravana, et le reste (sans le laisser dévier vers des objets de désir).

(6) Qu'est-ce que shraddhâ ? C'est la foi profonde dans les paroles de son Guru, et du Vedanta.

Le quatrième moyen (mumukshâ) est le désir intense de celui qui souhaite abandonner tous les objets de désir, afin de se libérer des souffrances de l'existence mondaine ; pour prendre une image, ce désir est aussi fort que celui d'une personne qui, au beau milieu de sa maison en flammes, essaie de s'enfuir pour sauver sa vie, laissant femme et enfants derrière lui se débrouiller tout seul.

Bien que certaines personnes en ce monde possèdent la première qualification, viz., savent distinguer le réel de l'irréel, on dit que sa conséquence pratique, la seconde qualification, viz., l'indifférence aux fruits des actes, dans ce monde et dans le suivant, leur est nécessaire. Même si l'on possède ces deux qualifications, on peut être comme certains Rishis qui se mettent en colère, etc., (la troisième, viz.), les six qualités, sama, etc., sont requises. Et, si elles possèdent ces trois qualités, si jñâna (la connaissance divine intuitive) est absente comme chez certaines personnes contemplant Îshvara avec dévotion, la dernière qualification, viz., l'intense désir d'être sauvé, doit être développée.

Une personne ainsi qualifiée, ayant pris l'huile sacrée dans sa main en signe d'allégeance (à un Guru), devrait se prosterner devant un bon instructeur spirituel, et s'adresser ainsi à lui, avec révérence et modestie : « Ô Seigneur ! Ô saint ! Ô Guru ! Qui est Jîva (l'Ego) ? Qui est Îshvara (le Seigneur) ? De quelle nature est l'Univers ? D'où proviennent ces trois ? Et comment nous libérer de cette existence mondaine ?». Dans ce contexte, on peut citer les passages suivants des shruti (Veda). Le Brâhmane, ayant examiné l'un après l'autre les mondes obtenus par karma, s'en est dégoûté. Il dit : « On ne peut se débarrasser de karma par karma. Pour comprendre cela correctement, l'on devrait s'approcher, l'huile sacrée dans la main, d'un Guru bien versé dans la connaissance des Veda, et qui soit un contemplateur de Brahman. » On peut alors également citer ce passage de la Bhagavad Gîtâ : « Apprend-le en te prosternant devant le Guru, en le questionnant et en le servant.[8] »

Le bon Guru, ainsi interrogé par son disciple, devrait être heureux de lui expliquer les différences entre Jîva, Îshvara et l'Univers, et comment ils sont différenciés au moyen des qualités de sattva, rajas et tamas ; il devrait l'initier aux mystères de la nature d'Âtmâ aussi complètement que s’il l’initiait aux mystères d’un fruit de Piluluka Euphorbia qu’il détiendrait dans la paume de sa main.

Il convient de garder à l'esprit que ces quatre moyens de parvenir au salut échoient uniquement à une personne qui a été qualifiée, après de nombreuses naissances, par la maturation d'actions vertueuses perpétrées par elle au cours de ses vies et la grâce d'Îshvara. Un Guru qui transmet ainsi à son disciple la connaissance des Vérités Spirituelles doit être considéré comme Îshvara (le Seigneur) lui-même.

Nul ne peut douter que celui qui sait, à partir des enseignements d'un tel Guru et après des recherches assidues, que le Jîva (l'Ego), et Îshvara (le Seigneur) sont identiques, soit une personne émancipée.

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Chapitre III – Distinction entre Âtmâ, l'Esprit, et le Non-Esprit (ou Matière)

De quoi cet Univers se compose-t-il ? D'Âtmâ (Esprit ou Soi), et de Non-Âtmâ (Matière). Il convient de ne pas mettre en doute qu'Âtmâ est dans l'univers, tout en étant en fait, supérieur[9] à lui. Comme l'Univers est composé (d'objets) de conscience et de non-conscience (mélangées entre elles), comme Âtmâ est la conscience elle-même, et comme sans Âtmâ l'Univers n'existerait pas, on peut en déduire que l'existence doit être subordonnée à la présence d'Âtmâ dans l'Univers.

Qu'entend-on par (objets) de conscience et de non-conscience ?

Tous les objets pouvant se mouvoir sont de la première catégorie, tandis que ceux qui sont fixés sont de la seconde. Comme ces deux sortes comprennent des objets multiples et variés, comment peut-on affirmer que l'Univers est (uniquement) duel ? Parce que le Non-Âtmâ est seulement un ; mais il se manifeste ensuite dans le multiple par ses effets. De même, Âtmâ est un ; mais il se manifeste lui-même en tant que de nombreux Jîva (Ego) et de nombreux Îshvara (Seigneurs) à travers les véhicules des effets du Non-Âtmâ. Puis se pose la question : pourquoi l'Îshvara unique apparaît-il en tant que de nombreux Jîva ? Cette conception de l'aspect multiple d'Îshvara n'est apparue qu'avec les différentes images de Shiva, Vishnu, etc. (qui étaient adorées) dans les lieux sacrés et dans les maisons. Le culte d'Îshvara peut-il être subordonné à des idoles de terre, de pierre etc. ? Oui. Sinon pourquoi les gens dépenseraient-ils de grosses sommes d'argent pour ces statues, et feraient-ils pûjâ (les adoreraient) en les oignant et en leur faisant des offrandes ? Le fait que les non-hindous n'adorent pas de telles idoles n'est pas un argument valable quant à cette question. Seul le cas des personnes qui ont foi en elles devrait être accepté comme exemple. Pour ces personnes, qui entretiennent la conception qu'Âtmâ est uniquement ce corps (qui est le réceptacle de tant de déchets des plus abjects, dégoûtants etc.), il n'y a ni mal, ni péché à confondre Îshvara et les images qui sont très pures (physiquement et magnétiquement). Ainsi, le Non-Âtmâ apparaît-il comme multiple dans ses effets, de même qu'Âtmâ, apparaît multiple à travers les véhicules formés par les effets du Non-Âtmâ. On peut en donner des exemples. Notre terre, par la modification de ses effets, apparaît sous diverses formes, telles qu’une montagne, un arbre, une tour, un mur, du gravier, une maison, un monastère, un pot et d’autres récipients de terre. L'âkâsha unique, en entrant dans les véhicules formés par les modifications de la terre (du pot, de la maison, etc.) est considéré comme l'âkâsha du pot, l'âkâsha de la maison, etc. De la même façon, le Non-Âtmâ, qui n'est autre que Mûlaprakriti (la Matière Primordiale), semble être multiple au travers des diverses modifications de ses effets. Il en est de même pour Âtmâ, qui bien qu'unique, semble pénétrer dans les différents corps, ou ses véhicules, et endosse divers noms, Deva, Râma, Krishna, Brâhman, kshatrya, vaishya, shûdra, vache, oiseaux, vers, insectes et autres. Ce sont des exemples, du point de vue d'Avachchhinna (la discontinuité)[10].

Traitons maintenant du point de vue de Prativimba (la réflexion). De même que l'eau peut paraître sous des aspects multiples, en tant qu'océan, rivières, mares, puits, dans divers contenants, etc., le Non-Âtmâ se manifeste aussi de multiples façons, dans l'océan, etc., comme le soleil unique se reflète en de multiples formes. De la même façon, Âtmâ se manifeste de manière multiple, en se reflétant dans l'organe interne (ou mental inférieur) du corps de l'ensemble des êtres. De ces deux exemples, nous pouvons inférer ceci : de même que la fraîcheur, la mobilité et les autres propriétés de l'eau n'affectent pas le soleil qui se reflète en elle, de même les modifications de l'organe interne, comme l'action et le plaisir, n'affectent pas non plus Âtmâ qui se reflète, mais uniquement la conscience qui se reflète dans l'organe interne. C'est pourquoi jîvâtmâ (l'Ego ou soi inférieur) est Paramâtmâ (le Soi Supérieur), et vice-versa. Paramâtmâ est jîvâtmâ, de la même façon que l'âkâsha présent dans un pot n'est autre que le tout-pénétrant âkâsha, et vice-versa.

Jîvâtmâ étant illusoire, et l'illusion impliquant quelque chose de factice, comment peut-on affirmer que Paramâtmâ, qui est réel, et jîvâtmâ (qui ne l'est pas), soient identiques ?

Il y a trois sortes de jîva, à savoir, paramârthika (le réel), vyavakârika (le mondain, ou phénoménal), et pratibhâsika (le reflété). Ces jîva président, respectivement, à sushupti, le sommeil sans rêve, à jagrata, l'état de veille, et à svapna, l'état de rêve. Comme l'éphémère apparence des vagues dans l'eau, et de l'écume sur les vagues, le jîva vyavakârika est émané à partir du jîva paramârthika, et le jîva pratibhâsika, à partir du jîva vyavakârika. Le goût, la fluidité et la fraîcheur, qui sont les propriétés de l'eau, se manifestent en tant que vagues, puis au moyen des vagues, en tant qu'écume. De même, les caractéristiques de Sat (Être-té), Chit (Conscience), et Ânanda (Félicité), du paramârtika indifférencié se manifestent dans vyavakârika, et au travers de vyavakârika, en pratibhâsika. De même que l'écume n'existe pas en l'absence de vagues, et qu'il n'y a pas de vagues en l'absence d'eau, et qu'en elles, seule l'eau est réelle, pratibhâsika n'existe pas en l'absence de vyavakârika, et vyavakârika n'existe pas en l'absence de paramârtika (qui est réel). C'est pourquoi, tout comme l'âkâsha dans le pot, qui n'est autre que l'âkâsha tout pénétrant, la conclusion ultime du Vedanta est que le paramârtika indifférencié n'est autre que Paramâtmâ (le Soi Supérieur).

Ainsi, celui qui, ayant séparé ― grâce aux phrases sacrées (des Veda), « Il n'est pas ceci, il n'est pas cela » ― le paramârtika non-différencié du corps composé des cinq enveloppes, et ayant identifié ce paramârtika comme étant le « Je », réalise, par intuition directe, « Je ne suis autre que ce Brahman indifférencié », à l'issue d'une étude approfondie des shruti (Veda) et des smriti, et par une conviction logique et ferme, comprend qu'il est sans aucun doute le Brahman plénier. Tous les Upanishads proclament unanimement que les karma bons et mauvais ne restent pas accrochés à une telle personne.

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Chapitre IV – La genèse de la souffrance du Jîva, ou l’Esprit en nous ; détection de sa cause, à savoir la possession d'un corps ; lequel est à son tour, généré par sa cause, karma.

Parmi les maux (ou souffrances), comme la naissance dans un corps, karma, râga et autres désirs, abhimâna[11] (fait de relier toutes les actions au soi, identification au soi), aviveka (non-discrimination entre Âtmâ et Non-Âtmâ), et ajñâna (absence de sagesse, ignorance), qui affectent les êtres humains, celui qui suit est la cause de celui qui précède. Dans ce chapitre, nous traiterons des quatre premiers.

Les souffrances sont-elles naturelles aux humains, ou sont-elles accidentelles ?

On ne devrait les considérer que comme accidentelles ; sinon, nous serions confrontés à de nombreuses absurdités. Si les souffrances étaient inhérentes aux hommes, il leur serait impossible de s'en libérer et d'être heureux. Il serait alors inutile, de leur part, d’accomplir un Karma pour se libérer de la souffrance et atteindre au bonheur et personne ne ferait l'effort de faire des actions méritoires, du yoga, de méditer (dhyâna), d'avoir une adoration et dévotion envers les déités, etc. En outre, les Vedas, Purânas et autres livres sacrés deviendraient inutiles. On pourrait objecter alors que « si l'on admet que les misères de l'existence sont naturelles aux êtres humains, ceux-ci peuvent toujours faire des efforts pour s'en libérer ». (C'est à ce stade qu'il convient de s'entendre sur la signification du mot « naturel ».) Par « naturel », on désigne ce qui est la réalité (ou l'individualité) propre à chacun. Or, qui voudrait faire des efforts pour anéantir sa propre réalité ? Et si la propre réalité d'une personne est détruite, comment pourrait-elle espérer atteindre le but qu'elle s'est fixé dans la vie, à savoir le salut ?

On peut illustrer de la manière suivante le fait que ce qui est naturel à un objet, c'est sa propre réalité. La douceur est une propriété naturelle du sucre. Si nous voulons ôter au sucre cette caractéristique de douceur, alors nous devons détruire le sucre lui-même. De même, si l'on considérait que les souffrances sont naturelles aux Ego, il s'ensuivrait qu’ôter leurs souffrances entrainerait l'annihilation d'Âtmâ. Mais les shruti (Veda) affirment qu'Âtmâ est indestructible et éternel, comme le démontrent les passages suivants :

« Âtmâ est indestructible. Il pénètre tout, comme l'âkâsha, et il est éternel. Il ne naît ni ne meurt. Il ne provient de nulle part, ni ne devient quoi que ce soit. Il est non-né, éternel, permanent et ancien, et ne périt point avec le corps. »

C'est pourquoi les misères d'Âtmâ (c’est-à-dire, de l'Ego, ou de la personne) devraient être considérées comme étant accidentelles, et non pas naturelles (ou de sa nature propre).

Surgit alors une autre objection. La réalité d'un objet ne peut-elle pas survivre à la destruction de ses caractéristiques naturelles ? Prenons l'exemple du feu. La chaleur est une de ses propriétés naturelles. On peut faire disparaître la chaleur du feu à l'aide de pierres magiques, de mantras[12] ou de plantes. Même après cette suppression (de la chaleur du corps de la personne exposée au feu), la réalité d'Agni n'est pas détruite, on n'a fait qu'induire la propriété antagoniste du froid. De même, si la souffrance était naturelle pour Âtmâ, si nous l'en libérions, il pourrait connaître un bonheur durable, par le biais d'actions transcendantales méritoires, du développement des pouvoirs d’un yogi, etc. À cela, nous rétorquons que non. Enlever la chaleur du feu à l'aide de pierres magiques, etc., ôter la souffrance d'Âtmâ par des actions transcendantales méritoires, etc., tout cela ne pourra avoir qu'un temps, ne sera pas permanent. Tout ce qui résulte d'actions (les plantes, etc.) disparaîtra avec la cessation de ces actions. Dans les exemples précédents, le feu et l'Ego perdront, respectivement, l'un sa chaleur et l'autre, sa souffrance par les pierres magiques, etc., et les actions méritoires, etc., mais dès qu'on abandonnera ces méthodes, le froid et le bonheur qu'ils ont suscité disparaîtront, et la chaleur et la souffrance inhérentes finiront par prévaloir. Il est donc évident que les Ego (les personnes) n'atteindraient qu'un salut temporaire, et non un salut définitif, mettant fin aux renaissances. Si un tel salut (temporaire) était un fait, alors il nous faudrait postuler que moksha (le salut) est impermanent. Cela ne ferait que contredire les passages des Veda qui établissent que moksha (le salut) est éternel, comme : « Il (l'Ego) ne revient jamais » (il ne renaît plus) ; et : « Il (l'Ego) est indivis, plein de félicité, sans forme et merveilleux. » De plus, si la souffrance était inhérente à l'Ego, elle devrait se manifester en sushupti (l'état de sommeil sans rêve), ou lorsqu'on a fait vœu de silence (comme le font certains yogis)[13], ou encore dans le Samâdhi. Or ce n'est pas le cas ; seul le bonheur est expérimenté dans ces trois états, et lorsque ces personnes reviennent à leur état normal, elles proclament : « J'ai fait, pendant tout ce temps, l'expérience du bonheur ». C'est pourquoi l'on devrait savoir que la souffrance n'est pas naturelle, mais uniquement un adventice greffé sur Âtmâ.

Comment la souffrance a-t-elle pu échoir à l'Ego, dont la réalité (la nature) est félicitée ? Uniquement par la connexion d'Âtmâ (le Soi) avec un corps. Tant que l'Âtmâ est dans un corps, la souffrance sera son lot. Doit-on en inférer que même les rois, etc., doivent subir des souffrances par l'entremise du corps ? Tout à fait. Ces derniers éprouvent la souffrance provoquée par l'hostilité de leurs ennemis, les soucis relatifs au gouvernement de leurs royaumes, la perte de leurs richesses et de leurs récoltes, la mort de leur chère épouse et de leurs enfants, leur propre décrépitude, etc., et leur mort. Il est tout bonnement illusoire de penser qu’il y ait des personnes, qui vivent heureuses en ce monde. Comment, à cause de l’illusion, des souffrances peuvent-elles passer pour du bonheur ? Les porteurs qui courent à grande vitesse avec leurs charges sur la tête, les cultivateurs professionnels et autres travailleurs subalternes s’illusionnent-ils quand ils travaillent en riant et chantant malgré toutes les souffrances qu'impliquent leurs activités ? On devrait donc savoir que c'est uniquement l'illusion qui donne à toutes nos misères l'apparence du bonheur. Dans ce cas, les sages (spirituellement) souffrent-ils également en raison de leur relation avec un corps ? Oui. Ils ont leurs souffrances spécifiques, la faim et la soif, la chaleur et le froid, la maladie, les serpents, les scorpions, tigres, entre autres.

Quel est donc la différence entre un véritable discriminateur (d'Âtmâ), et quelqu'un qui n'en est pas un ? Il existe une différence fondamentale entre ces deux personnes dans leurs attitudes intérieures, mais non dans leurs actions extérieures. La première, une grande âme qui s’est libérée de toutes les souffrances ‒ par la perception, l'inférence et le témoignage des Veda, et à l'issue de sérieuses investigations, il a pris clairement connaissance du fait que toutes les souffrances relèvent des organes internes (de l'Ego ou mental inférieur), et non de l'Ego supérieur, lequel est de la nature de Satchitânanda (Être-té, Conscience et Félicité). L'Ego supérieur n'est nullement asservi aux attributs de l'organe interne, lequel est irréel, inerte et rempli de souffrances. Selon les Veda : « Purusha (le Soi) est sans relations (avec quoi que ce soit). » Le raisonnement logique nous le fait appréhender comme étant la Vérité et indivisible. C’est par l'expérience des états de sommeil sans rêve, de la pratique du silence et du Samâdhi (que nous savons qu'il est ainsi). L'individu ignorant et dépravé qui ne s'enquiert pas de la réalité d'Âtmâ, identifie Âtmâ au corps et attribue à Âtmâ toutes les actions qui légitimement ne relèvent pas de lui, et qui attribue au Non-Âtmâ, les caractéristiques de satchitânanda, qui sont le propre d'Âtmâ. Par cette attribution erronée, il se permet, dans sa folie, de distinguer entre caste, secte, rang social, et emploie des expressions Egocentriques du genre : « Je suis un deva, je suis un homme, je suis un Telugu, je suis un Dravidien (natif du pays Tamil), je suis un Brahmane, un kshatriya, un vaishya, un shûdra, je suis célibataire, je suis un chef de famille, je suis un habitant des forêts, un ascète », et ainsi de suite. Il y a ainsi d'innombrables différences entre les pensées d'un discriminateur d'Âtmâ et quelqu'un qui n'en est pas un. Et un examen plus poussé, montrera des différences dans les activités extérieures de ces deux personnes. Le sage, convaincu de l'irréalité de l'univers, considère la jouissance de son prârabhda[14] (bon karma) comme irréelle, comme un bonheur vécu en rêve, tandis que l'ignorant considère l'univers, le bonheur et les souffrances d'Âtmâ comme réels. Ainsi, il est évident que la possession d'un corps est à l'origine de souffrances, même pour le sage.

Les deva (anges) eux-mêmes ont leurs souffrances, car les épithètes vajrâdhara, parandhara[15], etc., qui leur sont appliqués, nous indiquent qu'ils ont des corps. Ils doivent souffrir à cause de guerres intestines, de colères et malédictions, de conflits entre asura et râkshasa (démons), ou la peur d'être renvoyés (en incarnation), une fois leur bon karma épuisé. Si les deva sont soumis à la souffrance, comment leur est-il possible de soulager de la souffrance de celui qui se concentre sur eux (ou qui les adore) ? On peut prendre l'exemple d'un roi. Bien qu’étant soumis lui-même à la souffrance, le roi est capable de soulager ses sujets (de la souffrance) en les protégeant, etc. Le passage suivant des Vedas « les deva (anges) des mondes célestes (deva) sont dans l’état de la félicité », signifie que les deva prennent connaissance de toutes les souffrances par les effets ressentis par les organes internes, mais jouissent d'Âtmâ (leur Soi) qui est toujours dans l’état de félicité. Le passage des Veda relatant que les deva éprouvent des souffrances est le suivant : « Les deva créés tombèrent dans le vaste océan du cycle des naissances et des morts. » Ceci montre sans aucun doute que les deva eux-mêmes sont sujets à la souffrance au travers leur corps subtil. C'est pourquoi les êtres humains devraient concentrer tous leurs efforts pour s'émanciper des souffrances physiques (videha-mukti).

Si le salut quand on est dans un corps physique (videha-mukti) existe vraiment, comment se fait-il que les gens puissent dire que certains deva qu'on peut voir dans le ciel, tels des étoiles, sont émancipés ?

Il y a quatre formes de salut : salokatâ (situé dans le même monde que le suprême), samîpya (proche de lui), sârûpya (ayant la même forme ou état), et sayujyatâ (immergé en lui). Or les moyens d'y accéder sont respectivement charyâ, krîyâ, yoga et jñâna. Une incessante dévotion au Seigneur en se considérant comme Son serviteur est un charyâ. Les actes d'adoration à Shiva, Vishnu et d'autres Dieux constituent krîyâ. Les huit prescriptions commençant par Yama forment le yoga[16]. La perception (cognition) personnelle (spirituelle) que jîvâtmâ (le soi inférieur) est identique à Paramâtmâ (le Soi Supérieur) est jñâna. Dans la mesure où les trois premiers moyens impliquent une réincarnation en tant que personne dans notre monde, ils ne sont pas très importants. Tandis que jñâna (le dernier), qui nous permet d'atteindre sayujyatâ (l'immersion dans le Tout), dont on ne renaît plus, est le plus important.

Et les livres sacrés qui postulent l'accession à sayujyatâ par le biais du yoga font référence à Brahma nirguna (sans guna). Mais on pourra noter, à ce propos, que ce n'est pas parce que les personnes ayant atteint l'émancipation dans un état décorporé n'ont jamais et en aucun lieu, été rencontrées comme on pourrait rencontrer des personnes émancipées incarnées, que le salut par l'émancipation du corps physique signifie l'annihilation (ni ne un mythe). Chez les personnes émancipées désincarnées, seul le corps est réduit à néant, mais pas l’état de félicité (du Soi ou) de la Réalité. Comme la félicité de la Réalité n'a pas de corps, elle doit être expérimentée comme la féliité du sommeil sans rêve, sushupti, par l'expérience du Soi, et par aucun autre moyen. Si la félicité de l'émancipation et sushupti sont de même nature, ne peut-on pas dire que sushupti est l'émancipation elle-même ? Certainement pas. Bien que tous deux se ressemblent par l'expérience de la félicité on trouve encore de l’ajñâna (ou ignorance de la Réalité) en sushupti, et cet état est suivi d'un réveil, deux choses qui sont absentes du véritable salut. Sushupti n'est donc pas le salut, pas plus que le pralaya (repos de la réabsorption, pendant ou après le manvanta) ne peut l'être (pour les mêmes raisons). Ainsi, la félicité de l'émancipation, comme celle de sushupti, ne peut être connue que dans jouissance du Soi, ce salut n'est pas un vide, mais est une réalité.

Si le salut dans un corps et le salut sans corps sont effectifs, qu'est-ce qui les différencie ? Il faut savoir que c'est la complète libération d'âjnana et de la réincarnation qui les distingue. Nous avons ainsi prouvé, à l'aide du raisonnement et des livres sacrés, que l'émancipation désincarnée est un état de suprême félicité, tandis que la possession d'un corps est à l'origine de multiples souffrances. Nous allons maintenant démontrer ces deux doctrines, cette fois par l'expérience. Nous voyons tous les jours les hommes faire l'expérience de la béatitude en sushupti, car (l’influence) du corps est absente de cet état, et qui vivent des souffrances, dans les états de veille et de rêve, par le biais du corps. On peut donc affirmer avec certitude que quand on a un corps, c’est une cause de souffrances. Ainsi, en ce qui concerne Âtmâ, qui est de la nature de la félicité, les souffrances résutent  de la connexion à un corps, mais ne sont pas naturelles (à Âtmâ).

Quelle est donc la cause de l'existence du corps ? Elle n'est autre que le résultat d’effets sur les quintuples éléments de karma précédents, et n'est pas uniquement le produit de ces cinq éléments. Les cinq éléments pénétrant tout, on ne peut pas dire que le corps résulte uniquement de ceux-ci. Peut-on dire que la transformation des éléments par shukla (le sperme masculin) et par shonita (sperme féminin) soit à l'origine de notre corps ? Car l’union stérile de shukla et shonita ne génère aucun corps, et on ne peut donc les considérer, comme étant seuls la cause du corps. Ce sont donc les éléments associés par l’effet de la loi de karma qui produisent le corps. Or les cinq éléments, ainsi que l'espace et le temps, étant les mêmes en tout lieux (sont universels), la diversité des corps qu'on peut observer partout doit forcément résulter de la variété des différents karma. Bien que la terre soit la même partout, c'est uniquement l'habileté artistique du potier qui est à l'origine des divers objets qu’il produit : pots et récipients, etc. Dans cet exemple, la cause matérielle est la terre, et la cause instrumentale, est le potier ; de même, dans l'exemple cité, les quintuples éléments constituent la cause matérielle du corps, et les karma, sont la cause instrumentale. Donc tant que subsiste un résidu quelconque de karma pouvant entraîner une jouissance dans une incarnation suivante, dans les états de veilles ou de rêves, l'existence d'un corps est une nécessité incontournable ; mais comme aucun karma n'est (ressenti) en sushupti, aucun corps physique n'en résulte, bien évidemment. De même, même si on trouve de la terre partout, on n'obtient aucun pot sans l’instrumentalité (ou l'intermédiaire) du potier. De la même manière, bien que subsistent les cinq éléments évolués par Îshvara (le Seigneur), celui qui met fin aux karma grâce à la sagesse spirituelle d'Âtmâ, devient un Atmajñâni et n'a plus jamais de corps (dans lequel se réincarner).

Nous pouvons citer à ce propos, les passages suivants des Karma-Shâstras (livres traitant uniquement de karma) :

« Les karma, agréables et désagréables hérités du passé doivent obligatoirement être éprouvés. »

« Tant qu'on ne les a pas éprouvés, les karma ne sont pas épuisés (et restent en suspens), même après des myriades de kalpa. »

Par ailleurs, il est dit ce qui suit dans les Jñâna-Shâstras (livres traitant de la sagesse spirituelle : « Ainsi, par le feu de jñâna (la sagesse spirituelle), tous les karma sont réduits en cendres. »

Comment réconcilier ces passages apparemment contradictoires ? Dans les shastras, il y a deux types de textes, les forts et les faibles. Les premiers sont appelés (en logique) siddhânta (conclusion démontrée), et les seconds, pûrvapaksha (argument de prime abord, prima facie,). Toutes les fois que les deux se côtoient, le fort a le dessus sur le faible. Prenons par exemple ce passage des shruti : « La non-violence (à l'égard des êtres vivants) est la vertu suprême. » Ce passage se fonde sur des textes forts, mais il est toutefois dépassé par le passage suivant encore plus fort des Veda : « Dans le Yajus (sacrifice), la violence est autorisée. » De même, le texte : « Les karma doivent obligatoirement être éprouvés », est affaibli et combattu par cet autre, plus fort : « Tous les péchés sont détruits par tapas (l’ascèse religieuse, ou la sagesse divine). » Ainsi, bien que nos karma sanchita (karma passés) tenus en réserve soient nombreux, ils peuvent être détruits par la Sagesse spirituelle d'Âtmâ. Pour résumer, sans karma, pas de renaissance ; sans renaissance, pas de souffrance ; en l'absence de souffrance, apparition d'une félicité sans mélange. Telle est la conclusion ultime des Veda.

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Chapitre V – Qu'est-ce que karma ? Les différentes sortes de karma

Dans le chapitre précédent, il a été dit que les souffrances d'Âtmâ ne résultent que de son association avec un corps, et que le corps est le produit de Karma. Expliquez-nous s'il-vous-plaît ce qu'est Karma et combien de sortes de Karma existe-t-il ? (C'est la question que pose le disciple à son Guru).

Karma est de trois sortes, vertueux, fautif et mixte. Les corps subtils des deva (êtres célestes) et autres sont dus à des karma vertueux ; les corps des bêtes, etc., sont dus à des karma fautifs ; tandis que les corps des hommes sont dus à des karma mixtes (viz., à la fois vertueux et fautifs). Les trois sortes de karma mentionnées précédemment comportent, chacune, les trois subdivisions, transcendantale, intermédiaire et inférieure. C'est ainsi que les nombreuses variétés de karma ont occasionné toutes ces naissances différentes et multiformes. Ainsi, les corps d'Hiranyagarbha (Brahmâ dans son corps subtil) et d'autres résultent de bons karma transcendantaux, ceux d'Indra et autres, de bons Karma intermédiaires, et ceux de tous les mauvais esprits (Yaksha, Râkshasa et Pishâcha, etc.)[17], procèdent de bons karma inférieurs. Tous les objets susceptibles de blesser autrui, comme les arbres épineux, ou toxiques, etc., ainsi que  les tigres, scorpions et chouettes, etc., résultent de karma fautifs transcendantaux. Les arbres et les plantes utiles à l'humanité par les fleurs, feuilles et fruits qu'ils produisent (comme les jaquiers, manguiers, cocotiers, etc.), ainsi que les animaux domestiques tels que les cochons, buffles, ânes, chameaux, etc., résultent de karma fautifs intermédiaires. Le ficus religiosus, le basilic sacré, etc., de même que les vaches, chevaux, etc., résultent de karma fautifs ordinaires.

En ce monde, les corps humains, qui sont des instruments d'émancipation, incarnée ou désincarnée, des jîva (Ego), sont développés au cours des six étapes progressives suivantes, à savoir, dans l'ordre, (1) accomplissement de son karma en se désintéressant de ses fruits, (2) les quatre voies vers l'émancipation, (3) avoir un bon instructeur spirituel, (4) l'écoute de discussions religieuses, (5) la réflexion sur ces dernières et (6) la connaissance spirituelle d'Âtmâ ; tous ces corps humains résultent de karma mixtes transcendantaux. Les corps humains, qui sont les fruits de karma conduisant aux différents modes d’existence, résultent de karma mixtes intermédiaires. Les corps des chandâla[18], pulkasa, kirâta, yavana, entre autres, proviennent de karma mixtes inférieurs. Ainsi, selon la doctrine fermement établie du Vedanta, un véritable discriminateur d'Âtmâ devrait uniquement s'efforcer de parvenir à l'émancipation, après s'être dûment renseigné sur les mérites comparés des effets de karma ; en remplissant les fonctions propres à son rang social et sa caste, et en offrant toutes ses actions à Îshvara, sans en désirer les fruits, il pourra naître dans un corps qui soit le résultat d’un karma transcendantal mixte.

Mais alors, comment ces karma sont-ils accomplis ? On devrait savoir qu'ils sont accomplis par les trois organes que sont le mental, la parole et le corps. Nous voyons clairement, en observant les êtres humains de ce monde, qui utilisent des expressions telles que « Je fais, je suis l'auteur de ceci, » que l'Âtmâ (l'Ego), qui s'identifie lui-même au corps, est désigné par le mot « Je ».  On devrait donc attribuer l'action à Âtmâ (l'Ego) ; dans ce cas, pourquoi l'attribue-t-on aux trois organes ? Âtmâ (selon les shruti) est en lui-même inchangeable, inactif et sans différences. On ne peut donc lui imputer l'action. Mais dans ce cas, Âtmâ semble être l'agent, et on n'en trouve aucun autre. On devrait savoir qu’attribuer l'action à Âtmâ naît uniquement de l'illusion, car il n'est pas de la nature de l'action. Si l'on suppose qu'elle lui est naturelle, tous les efforts des hommes faits (parce qu'ils ont foi dans les enseignements des livres sacrés disant : « La fausse notion que je (l’Âtma) suis l'agent doit être éradiquée par l'étude des Vedas et si l'on ne s'en débarrasse pas, le cycle de naissance et mort ne cessera jamais » ― et tous les efforts seront voués à l'échec. Si l'on admet que l'action résulte d’une réalité (ou fonction) naturelle à Âtmâ, comment se fait-il que cette réalité ne disparaisse pas lorsque nous faisons d’ardents efforts ? Parce que ce qui nous est naturel implique notre propre réalité, et que nul ne s'acharne à annihiler sa propre réalité. Qui atteindrait le but que vise la vie humaine, si cette annihilation était possible ? Et si nous nions que l'émancipation corporelle soit le fruit d’une quelconque cause (instrumentale), alors toutes les pratiques établies du Vedanta, telles que la relation de maître à disciple, etc., seraient sapées à leur base. Qui plus est, on serait en conflit avec les shruti selon lesquelles « Âtmâ est sans parties, sans activité, quiescent, sans faute, sans tache, il est le témoin, le connaisseur, absolu et exempt de guna. » En sushupti (l'état de sommeil sans rêve), bien qu'Âtmâ soit présent, on ne décèle aucune activité. Si l'activité était naturelle à Âtmâ, elle devrait également se trouver en sushupti, comme on trouve la chaleur dans le feu. Or ce n'est pas le cas. L'activité n'est donc pas naturelle à Âtmâ. À ce propos, on peut également faire référence à un autre exemple, celui des charpentiers, entre autres artisans, en tant qu'agents (des ouvrages qu'ils produisent) ; or sans le témoignage de leurs réalisations, on ne peut les considérer comme des agents. Ainsi, en sushupti, on pourrait croire qu'Âtmâ puisse être réellement un agent, et cependant ne pas se manifester comme tel, en l'absence de ses organes (c'est à dire de ses œuvres). Mais il n'en est rien, car dans le cas du vœu de silence (observé par les Yogis)[19], Âtmâ ne se manifeste pas en tant qu'agent, bien qu'il soit associé aux organes internes. L'action n'est donc pas naturelle à Âtmâ.

Qu'en est-il donc ? Il ne s'agit que d'adhyâsika (une surimposition, une erreur d'imputation). Qu'est-ce qu'adhyâsika ? C''est l'attribution des propriétés d'une chose à une autre chose. À une personne naviguant en barque sur une rivière, les arbres de la rive semblent se mouvoir, ainsi, le mouvement de la barque est attribuée aux arbres, et l'immobilité des arbres, à la barque ; de la même manière, les actions des trois organes sont attribuées à Âtmâ, et l'inaction d'Âtmâ, aux trois organes. Ceci est uniquement dû à ajñâna (l'absence de sagesse, ou l’ignorance). Il faut donc savoir qu'imputer une action quelconque à Âtmâ relève de la pure illusion.

Se pose alors la question de savoir pourquoi postule-t-on que l'action est imputable aux organes, alors qu’ils sont par eux-mêmes inertes ? Si les trois organes sont des agents, ne requièrent-ils pas d'autres organes pour les rendre actifs ? De même que les éléments insensibles que sont l’air (vâyu) et l'eau sont les agents suffisants, sans l'aide d'aucun autre, pour déraciner les arbres et à les transporter au loin, ces organes sont capables d'agir sans l'aide d'aucun autre.

Venons-en maintenant aux karma (actions) accomplis par ces trois organes, à savoir, le mental, la parole (vâk) et le corps. Une pensée qui aspire au bien d'autrui, une pensée qui n’aspire ni au bien ni au mal, ou une pensée sur le monde supérieur, et une pensée de dévotion et de sagesse spirituelle, indifférente aux objets des sens, toutes ces pensées du mental sont des karma de la classe vertueuse. Les pensées qui s’attachent aux objets matériels, qui agressent autrui, qui critiquent la justesse des Veda, qui ne distinguent pas entre vertu et non-vertu, toutes ces pensées du mental sont des karma de la classe fautive. Les pensées tendant vers le bien (de tous), les pensées neutres, et celles d'actions vertueuses pratiquées par une personne qui garde encore des attachements aux objets des sens, etc., sont des karma de nature mixte.

La récitation quotidienne des Veda, l'étude des écritures sacrées, la récitation de la Bhagavad Gîta et du Sahasranâman (le livre des mille appellations de Vishnu), la prononciation de mantras comme le Panchâkshara (les « Om Sidaya Nâmah » de cinq lettres), entre autres, le fait de chanter les noms (et récits) du Seigneur, les conseils et l'aide apportés à autrui, les paroles de vérité, les paroles bienveillantes, et le fait de vouloir saluer les gens le premier (ou avec des mots de politesse), toutes ces actions verbales sont du domaine des Karma vertueux. Les moqueries concernant les Veda et les Devatâ (Déités), les mensonges, les ragots, les mots durs ou légers, toutes ces actions verbales relèvent de la classe fautive des karma. Les paroles vertueuses dites pendant la récitation des Veda et l'adoration des Déités, de la première catégorie, en parallèle avec des mots diffamatoires, mensongers, légers et vulgaires de la seconde catégorie, appartiennent aux karma mixtes de la parole.

Les bains dans les lieux sacrés, les prosternations devant le Guru et les Dieux, l'adoration des Deva (les êtres célestes), les processions dans les lieux sacrés, la visite des saints, les dons et déplacements au profit du monde, et autres actions similaires, appartiennent à la catégorie vertueuse du domaine physique. L'agression d'autrui, la promiscuité sexuelle avec la femme d'autrui, le vol, l'association avec des malfaiteurs, entre autres actions physiques, sont de la classe fautive. Causer un préjudice à quiconque, ne pas nourrir les Brâhmanes (ou d'autres personnes), dépouiller des gens de leurs biens pour avoir les moyens de construire un temple, refuser de payer leur salaire aux serviteurs affectés à la gestion de l'eau, et autres actions physiques que mêlent vertu et vice, relèvent de la classe mixte. C'est pourquoi l'on devrait bien réfléchir à ces trois sortes de karma.

Quels sont les fruits d'une telle réflexion ?

Ils sont de deux sortes, primaires et secondaires. Comme on l'a déjà dit, les trois sortes de karma sont accomplis uniquement à l'aide des trois organes. Âtmâ étant, comme l'Âkâsha, sans lien (avec quoi que ce soit), homogène, et étant de la nature de la Conscience Absolue plénière, il ne peut être (et n'est pas) l'auteur d'un karma quelconque. Le terme d'Âtmâ lui est assigné en raison de ses attributs, de « pénétrant tout, connaissant tout, jouissant de tous les objets de l'univers, et existant éternellement ». Comme c'est la signification du terme Âtmâ, aucun Karma ne peut l'affecter : « moi (Âtmâ), qui suis de la nature de Chidâkâsha (l’Âkâsha unique ou l’océan de conscience). » En ayant pris connaissance, et abandonné toute forme de doute, l'on devrait s'en tenir fermement à la soi-connaissance (d'Âtmâ). C'est ce qui constitue le fruit primaire. Même après avoir atteint Brahmajñâna (la connaissance spirituelle de Brahma), on devrait fixer fermement ses trois organes que sur les karma vertueux. Si nous n'en sommes pas capables, nous devrions au moins concentrer nos trois organes sur des karma mixtes ; mais en aucun cas, sur des karma fautifs. Une personne qui se concentre ainsi (sur des karma mixtes) récolte des fruits de la catégorie secondaire. Pour celui qui cultive un arbre à bananes plantain, ses fruits sont les résultats primaires, tandis que ses feuilles et ses fleurs ne sont que secondaires. Ainsi, il serait bon de comprendre que les deux catégories (primaire et secondaire), mentionnés ci-dessus, résultent de la discrimination des karma accomplis par les trois organes.

On pourrait cependant objecter bien qu'il soit établi de manière concluante (dans les livres) qu'un homme spirituellement sage ne soit pas affecté par karma, comme la feuille du lotus ne l'est par l'eau, et que dans son cas, aucune obligation ou interdiction ne s'applique, qu'il n'est pas l'acteur, mais que le témoin de ses actions, et qu'il a fait tout ce qu'il fallait, il est hors de propos de prescrire à une telle personne l'exécution d'actions vertueuses, comme on le ferait dans le cas pour un ajñânî (homme ordinaire). Il est vrai, sans aucun doute, qu'il a fait tout ce qu'il fallait pour devenir un homme spirituel et de sage. Et en outre, il n'est pas l'acteur ; il n'y a pas de doute à ce sujet. Mais cependant, il existe quatre degrès de tels êtres, qui sont appelés brahmavida[20], brahmavidvara, brahmavidvariya et brahmavidvarishta. Parmi ceux-ci, seul le dernier parvient à un salut désincarné. Lui seul est complètement dénué de tout karma, et pour lui, il n'existe plus aucune règle d'obligation ou d'interdiction. Bien que, dans le cas des trois autres classes de personnes, il n’y a pas de règles, prohibitive ou autre, en raison de leur très grande sagesse spirituelle, il est cependant dit qu'ils doivent encore accomplir des karma vertueux, pour le bénéfice du monde, car s’ils doivent vivre dans le monde et ne sont pas exempts de karma. Mais dans leurs cas, on ne peut pas vraiment parler d'obligation. Ainsi, ces discriminateurs des Tattvas, vivent parmi ceux qui sont soumis au karma, et doivent, comme eux, accomplir des karma. Ces personnes doivent vivre parmi les chercheurs de la Sagesse Divine, et doivent inculquer, une fois libre tout karma (mondains), que seul Brahma est réel, et que tout le reste est irréel. Si nous revenons au sujet traité, nous constatons, au vu de ce qui précède, que l'action ne devrait être imputée qu’aux trois organes, et non à Âtmâ.

Vient ensuite la question de savoir si les trois organes agissent selon leur volonté propre, ou s'ils sont mus par autre chose. Les recherches aboutissent à la conclusion qu'ils n'agissent que par l'intermédiaire de râga, ainsi des autres désirs, mais pas de leur propre gré. En effet, l'influence de râga, etc., sur les trois organes peut être établie grâce aux principes d'anvaya (la coexistence) et de vitreka (l’existence séparée). Ainsi quand râga et les autres désirs sont présents, alors les actions de karma sont présentes (par l’action du principe de coexistence, anvaya), et quand les premiers (raga) sont absents, les seconds (les désirs) le sont également (par l’action du principe de séparation, vitreka). On voit donc clairement que ce sont uniquement les râga, etc., qui animent les trois organes d'action. Mais Âtmâ ne peut-il pas en être l'agent, comme semblent le suggérer l'usage d'expressions telles que « Je suis à l'origine de la construction de cette pagode », ou « C'est moi qui ai fait creuser ce réservoir » ? Non, car Âtmâ est dénué de toute activité, et ne peut en aucun cas devenir un influenceur de kârana (causes). On ne peut donc pas affirmer qu'Âtmâ soit la cause de l'action des trois organes.

Mais ne pourrait-on cependant trouver l'origine de cette activité en Âtmâ ? (À cela, nous répondons) : de même que l'on croit qu'un cristal est rouge, alors qu'il n'est que teinté par le reflet de la fleur Athasi, les actions causées par râga, etc., sont à tort imputées à Âtmâ. De plus, si l'action causale était inhérente à Âtmâ, personne n’aspirerait annihiler sa propre réalité ; comme ce qui est naturel implique sa propre réalité, la destruction de ce qui lui est naturel entraînerait celle de sa réalité même. Si un Âtmâjñâni (connaisseur d'Âtmâ) devait influencer les organes, il rendrait nuls les enseignements védiques selon lesquels : « Âtmâ est exempt d'associations, d'activité et de causalité ». Si une causalité était générée (dans le cas d'Âtmâ), l'émancipation, qui en est le résultat, serait également générée. S'il en était ainsi, la causalité devrait également se manifester en sushupti, or ce n'est pas le cas. La causalité n'est donc pas naturelle à Âtmâ, elle n'est qu'accidentelle par rapport à lui.

Une autre objection se présente alors. Il n'est pas correct de dire que si la causalité ne se manifeste pas par Âtmâ en sushupti, Âtmâ en soit totalement absent. Par exemple, la capacité d'un enseignant à instruire ses élèves par la récitation des Veda ne se manifeste pas, en l'absence de ses élèves. De même, en sushupti, la causalité pourrait bien ne pas être détectée en Âtmâ à cause de l'absence d'interrelations entre Âtmâ et les trois organes, alors que ces trois organes existent bien ; tandis que dans les états de veille et de rêve, dans la mesure où il subsiste une connexion entre eux, la causalité peut se manifester. Cette objection ne tient pas, car alors la causalité devrait également se manifester dans l'état de veille d'un yogi ayant fait le vœu de silence [et en méditation] et qui s’est déconnecté de tous karma, même si la connexion des organes avec Âtmâ subsiste. Mais tel n'est pas le cas. C'est pourquoi on devrait considérer la causalité comme n'étant qu'accidentelle pour Âtmâ. De même que par un effet d’une surimposition (ou d'une imputation mutuelle illusoire), l'allongement ou le rétrécissement d'une barre de fer chauffée au feu, et que la chaleur et la lumière du feu soit observées dans le fer, de même, par ignorance, on croit que la causalité de râga et les autres désirs se manifeste dans Âtmâ, et que la non-causalité d'Âtmâ se manifeste dans râga et les autres désirs. Comment peut-on alors dire que la causalité est due à râga et à d'autres désirs, lesquels sont inertes ? N'est-il pas absurde de dire qu'un pot puisse faire agir un autre pot ? Certainement (mais on peut voir que des substances inertes entrent en action lorsqu'elles sont combinées à d'autres). Bien que le feu soit par lui-même inactif, cependant lorsqu'il entre en contact avec de la poudre à canon inerte (et n'est qu'un composé de poudre de charbon et de soufre), il permet de projeter de lourds obus à partir de canons, et de les projeter à une vitesse telle qu’ils soient capables de détruire une quadruple armée stationnée à une grande distance. Le cadavre d'une personne, bien qu'inerte, va obliger les proches à l'organisation de ses obsèques. De la même manière, râga et les autres désirs, bien qu'inertes, vont se manifester en tant que causes.

Quel est donc le sens de ce passage des Veda qui prétend qu'Âtmâ est latent en tout, et le maître des sens ? Âtmâ est comme le soleil, lequel, par sa présence, il conduit les hommes à commettre de bons et de mauvais karma en ce monde. Dans ce dernier exemple, bien que le soleil induise la commission de karma, il n'en est jamais affecté. Il en est de même pour Âtmâ. Tel un aimant, qui attire à lui le fer par sa seule présence, et n'est lui-même pas affecté par l'action du fer, Âtmâ n'est pas affecté par les karma des créatures. Rien ne vient donc mitiger les attributs d'immuabilité et de pureté d'Âtmâ (comme l'enseignent les écritures).

Pourtant, même chez les personnes ayant été initiées par un Guru, à la très importante réalité d'Âtmâ, un manque de ferme conviction peut s'installer, en raison des trois obstacles (de la pensée). Il s'agit de samshya-bhâvanâ (doute), d'asambhâvanâ (impossibilité de penser) et de viparîtabhâvanâ (conception erronée). Le premier obstacle (samshya-bhâvanâ) apparaît quand dans l’étude des Rig Vedas surgit dans le mental un doute quant à la nature unique ou multiple, d'Âtmâ ; par exemple que les prescriptions des Rig Veda sur le cordon sacré, le mariage et les autres cérémonies religieuses puissent être respectées de différentes manières. Un tel doute s'élimine par l’écoute (shrâvana) de la véritable signification de tous les Vedanta. Le second obstacle est l’état d'esprit de ceux qui, tout en étant convaincus, grâce à l'écoute, etc. (shrâvana) du premier stade et partager avec les autorités védiques (parmi d’autres nombreuses affirmations) la conclusion que « tous les Vedanta tendent à indiquer la nature unique et non duelle de Brahma », cependant continue de douter de l'impossibilité de sa nature non-duelle, en raison de l'aspect manifestement séparé que présentent des Ego, d’Îshvara et de l'univers. Cet obstacle est surmonté grâce à la réflexion de manana (le second mental) sur le phénomène des rêves et entre autres semblables. Le troisième obstacle est cet état du mental de celui qui, même après avoir maitrisé les pratiques de shrâvana et de manana précédemment décrites, continue de considérer comme réel l'ensemble de l'univers, alors qu’il n'a été généré que par les affinités sans commencement d'avidyâ. Cette troisième sorte de pensée peut être combattue par nidhityâsana, un courant ininterrompu de Samâdhi (trance) dans lequel le mental n’est en rapport qu’avec l'Unique Brahma. Ainsi, tant que ces trois obstacles ne sont pas levés, la sagesse en nous ne pourra pas consumer ne serait-ce qu'une infime partie d'ajñâna (ou avidyâ) et de ses effets (en nous), comme le feu qui lorsque ses fonctions sont arrêtées par des obstacles, comme des pierres magiques, des incantations, etc., sera incapable de brûler ne serait-ce qu'un brin de paille. Par contre, quand ces obstacles sont surmontés de la manière précédemment décrite, alors se manifeste immédiatement (dans le feu de la sagesse) le pouvoir de brûler avidyâ (ou ajñâna) et ses effets, tel un feu consumant de la paille.

Un passage dit également[21] : « Dans la détermination de ce qui importe vraiment (le but, l'objectif), les six signes (ou caractéristiques) suivants devraient être observés : upakrama-upasamhâra, abhyâsa, apûrvatâ, phala, atharvâda et upapatti. » Selon ce passage, ces six caractéristiques devraient être strictement observées pour pouvoir déterminer la véritable signification de Brahma.

 i. Upakrama-upasamhâra (la fin est semblable au commencement). Le sixième adhyâya (chapitre) de la Chhândogya-Upanishad commence ainsi (en parlant de Brahma) : « Au commencement, l'univers n'était que Sat (Être-té). Il était un, sans second », et il se termine dans la même essence absolue et homogène (à savoir, Brahma), ainsi : « Tout cet univers a Cela (Brahma) comme son Âtmâ (soi). Cela seul est Vérité. » Tel est le signe d'upakrama-upasamhâra (à savoir, que tout devrait se terminer dans le principe même dans lequel il a commencé).

ii. La phrase sacrée « Tattvamasi » (Tu es Cela) advient neuf fois (dans la même Upanishad). Une telle occurrence, répétée encore et encore, constitue abhyâsa (l'exercice).

iii. L’apûrvatâ (l'un sans précédent) est que l'essence absolue et homogène (Brahma), n’est pas assujettie à l’évidence de la perception, (à savoir, l'inférence et les livres védiques).

iv. En accord avec le passage védique affirmant : « Il (le salut) lui échappe tant qu'il ne s'est pas libéré (du corps), puis lorsqu'il en est libéré, il l'acquiert » ; l'émancipation du corps n’advient qu’à celui qui a atteint la sagesse de l'essence une et absolue et après la destruction du prârabhda karma (le Karma passé, récolté aujourd'hui), est appelée phala (les fruits).

v. Le cinquième signe est arthavâda (l’énonciation ou la dispensation de la substance, ou signification) est de sept sortes : shrishti (création), sthiti (préservation), pralaya (déluge ou destruction), pravesha (pénétration), sammyamana (union), tattvam-pathartha-parichothanai (discrimination entre les propriétés des tattvas) et phala (les fruits).

Le passage des Vedas : « De l'Âtmâ mentionné précédemment est issu l'Âkâsha », ainsi que d'autres, sont des exemples de la première sorte, relative à la création.

Des passages comme « Comme l'Âkâsha et le reste proviennent de Brahma, existent en Brahma et sont dissous en Brahma », étayent la doctrine de la nature sans second de Brahma, telle qu'énoncée dans les formules sacrées, et démontrent clairement le fait que seul Brahma est la cause de la création, de l'existence et de la dissolution, de même que le pot, qui provient de la terre, existe et se dissout dans la terre, est lui-même identique à la terre.

« Lui seul (Brahma), ayant pratiqué une ouverture au sommet de la pointe extrême (de l'Œuf), y a pénétré » ; « L'ayant évoluée (la matière), il (l'esprit) y est entré » ; et « Moi, l'Âtmâ, l'ayant pénétrée sous la forme des Jîva (les Ego), je suis la cause qui fait briller (manifester, ou mis en lumière) les noms et les formes. »

Ces passages des shruti démontrent clairement que c'est uniquement Brahmâ qui est entré à l'intérieur sous forme de Jîva, et que Brahmâ et les Jîva (les Ego) sont identiques, tout comme un quidam qui, venant de l'extérieur et entre dans une maison, est toujours la même personne, qu'il soit à l'intérieur ou au dehors. Ces passages des shruti font ainsi référence à pravesha (la pénétration) d'arthavâda.

« Celui qui est sur la terre, qui est (latent) dans la terre, celui qui ne peut être connu par la terre, celui dont le corps est cette terre, et celui qui de l'intérieur de la terre, donne à celle-ci l'impulsion à l'action ― celui-là seul est votre Âtmâ, lui seul est latent, lui seul est le nectar. » Ces passages majeurs, qui écartent tous les doutes, dans la mesure où ils n'établissent aucune différence entre ce qui cause et ce qui est causé, en se fondant sur le fait qu'ils sont intimement identiques, soutiennent que tous deux (Jîva et Brahmâ) sont identiques. Et ce d'autant plus en ce qui concerne la cinquième caractéristique.

« Ce Purusha est de la forme de l'essence de la nourriture » ; « Lui qui est la rougeur d'Agni » ; de tels passages, qui permettent de faire la distinction entre les diverses substances de notre monde, postulent l'identité des Jîva avec Îshvara (ou Brahmâ), après avoir éliminé toutes différence entre eux. Tels sont les shruti relatifs à la discrimination entre les substances.

« Un brahmâvida (un connaisseur de Brahmâ) atteint Brahmâ. » ; « Il devient nectar. » ; ces passages, en ce qu'ils indiquent les fruits spécifiques de la sagesse spirituelle (culminant dans l'identification du Jîva avec Îshvara, ou Brahmâ), démontrent clairement qu'ils sont identiques. Ce sont les shruti relatifs aux fruits de l'arthavâda. Ainsi, ces passages des Veda, ainsi que d'autres, moins importants, prouvent que cette essence homogène et absolue n'est autre que ce qui identifie le Jîva à Brahmâ, position qui est étayée par les sept moyens évoqués précédemment. C'est pourquoi les mahâvâkya (les formules sacrées) devraient être interprétées comme se préoccupant uniquement de cette essence homogène absolue.

vi. « Ô Toi à la douce patience, de la même façon, et avec la même terre », et d'autres passages similaires, illustrent upapatti (la naissance, la cause).

Ainsi, grâce aux six moyens précédemment mentionnés, la connaissance du but que visent les Veda constitue shrâvana.

Les investigations précédentes démontrent clairement que les trois organes accomplissent leurs fonctions de la manière énoncée ci-dessus, y étant enjoints par râga et d'autres désirs. Comme un roi triomphant qui exulte en s'exclamant « J'ai remporté cette victoire aujourd'hui », s'approprie toutes les participations à cette victoire, alors qu'en fait, elle a uniquement été remportée grâce à son armée, aux ordres de son commandant en chef ; Âtmâ fait de même en s'appropriant à tort, et par ignorance, la création de tous les karma causés par râga et d'autres désirs. C'est pourquoi il est indubitable que celui qui en vient à la conclusion qu'Âtmâ n'agit pas, pas plus qu'il ne fait agir d'autres que lui, est une personne émancipée.

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Chapitre VI – Discussion approfondie sur Râga et les autres désirs (qui sont la cause du Karma) ; Abhimâna (l'identification du Soi avec tous les objets, qui est la cause des désirs) ; Aviveka (non-discrimination, ou ignorance, de ce qui distingue l'Esprit du Non-Esprit) ; et Ajñâna, la cause de ce dernier.

Om ! Dans les sept points énumérés précédemment [Chapitre V], nous n'avons débattu que des quatre premiers, chacun étant la cause du suivant. Dans ce sixième chapitre, les différentes fonctions de râga et des autres désirs, ainsi qu'abhimâna (rattachement à soi-même de toutes les actions), aviveka (non distinction entre Âtmâ et Non-Âtmâ), et ajñâna (absence de connaissance spirituelle) seront décrites.

Râga et les autres désirs sont au nombre de seize. Ce sont : râga, dvesha, kâma, krodha, lobha, moha, mada, mâtsarya, îrshyâ, asûya, dambha, darbha, ahankâra, ichchha, bhakti et shraddhâ.

(1)    L'inclination du mental pour les femmes est râga (passion pour les femmes).

(2)    La tendance du mental à rendre le mal pour le mal est dvesha (la haine).

(3)    L'envie d'acquérir terrains, maisons, etc., constitue kâma (passion pour les objets).

(4)    La colère qui monte en quelqu'un lorsqu'il est empêché par une autre personne de satisfaire les désirs précédemment décrits s'appelle krodha (la colère).

(5)    Le fait de penser qu'on ne devrait pas consacrer la plus infime partie de son avoir à des fins humanitaires est lobha (l'avarice).

(6)    L'indifférence de celui qui, imbu de ses richesses, ne se soucie pas de savoir quelles actions devraient, ou non, être entreprises est moha (l'ignorance, ou illusion).

(7)    L’état d'esprit de celui qui, en raison de l’énormité de sa fortune, pense que rien ne lui est impossible s'appelle mada (l'arrogance).

(8)    Les mauvaises pensées entretenues par une personne vis-à-vis d'une autre, tout aussi riche qu'elle, constituent mâtsarya (l'envie).

(9)    Le fait de se sentir misérable et oppressé face à la souffrance causée par l'abandon de quelqu'un est îrshyâ.

(10) Le fait de ressentir de la souffrance à l'idée que quelqu'un d'autre puisse être aussi heureux que soi-même s'appelle asûya.

(11) Les pensées de celui qui croît pouvoir atteindre la célébrité en accomplissant certaines actions constituent dambha.

(12) L'idée qu'aucun autre ne nous égale se nomme darbha.

(13) L'idée que l'on est capable de tout réaliser est ahankâra (Egoïsme).

(14) Le désir d'accomplir des actions telles que manger, excréter, etc., dont on ne peut s'abstenir constitue ichchha.

(15) L'amour excessif manifesté envers le Guru, les êtres vertueux et les Dieux est appelé bhakti (la dévotion).

(16) La croyance en l'efficacité des sacrifices (yaju) et autres rites, des Veda et d'autres écrits spirituels est appelée shraddhâ (la foi).

Ainsi, râga et les autres désirs sont au nombre de seize. Or dans notre recherche d'Âtmâ, quelle valeur accorder à la purification du mental ? L'esclavage ou l'émancipation qui échoient à l'homme en ce monde proviennent uniquement de son mental, et de rien d'autre. Le mental, pur à l'origine, est susceptible d'être asservi par son contact avec des impuretés. Le retour à son état primordial de pureté constitue l'émancipation des quatorze actions du mental, à savoir, râga et celles de la catégorie impure qui s'ensuivent, que nous venons d'énumérer, tandis que les deux dernières, bhakti et shraddhâ, appartiennent à la catégorie des actions pures. Râga et les treize autres qui le suivent apparaissent souvent dans l'homme sans aucun effort de sa part. Elles induisent en lui des comportements fautifs. Les personnes qui se vautrent ainsi dans des désirs impurs se daanvamnent et ne pourront jamais s'élever. C'est pourquoi, après avoir soigneusement scruté son propre mental, et l'avoir débarrassé de râga et des autres désirs, qui sont à l'origine de toutes les impuretés, on devrait l'ancrer fermement dans bhakti et shraddhâ, qui tendent à produire la pureté. Mais en ce qui concerne ichchha (quatorzième dans la liste précédente), il est (pour l'instant) impossible de l'avoir sous contrôle. Subjuguer ichchha [prématurément] ne pourrait entraîner que de la souffrance et ne permettrait pas d'atteindre le paradis ou l'enfer. C'est pourquoi il est nécessaire d'accomplir des actes tels que manger et respecter les besoins naturels, qui viennent sous la dénomination d'ichchha.

Râga et les autres désirs, ainsi que karma, existent, à l'état de veille comme à l'état de rêve. Mais dans l'état de sushupti, de transe, de samâdhi et de la pratique du silence volontaire (des Yogis), comme râga et les autres désirs sont absents, c'est également le cas pour karma. Il est donc certain, en vertu des processus d'anvaya (coexistence), et de vitreka (existence séparée), que ce sont râga et les autres désirs qui sont à l'origine des karma.

D'où proviennent donc ces râga, etc. ? Ils proviennent d'abhimâna (l'imputation au soi de toutes les actions). (Par exemple), aussi longtemps qu'une femme a abhimâna, qu'elle appartient à la catégorie des femmes, elle reste engagée dans les devoirs de servir son mari, surveiller la maison, faire la cuisine, etc. Tant qu'il a l'abhimâna d'un homme, un mari remplit les devoirs d'agriculteur, de commerçant, etc., par le biais de râga et d'autres désirs. De même, tout le monde, par abhimâna de caste, rang social vocation, etc., suit sa compétence respective, à laquelle le poussent râga et les autres désirs. Ainsi, la seule cause de tous ces désirs est abhimâna. Que résulte-il d’une telle enquête ? C'est qu’un aspirant à la libération devrait abandonner tout abhimâna de caste, de rang social, d'âge ou de période de la vie, et ainsi de suite. Une fois libéré d'abhimâna, on est également libre de tout attachement. Ainsi, l'existence d'abhimâna implique également celle de râga et d'autres désirs, et la cessation d'abhimâna entraîne aussi celle de râga et d'autres désirs. À l'état de veille et à l'état de rêve, comme l'abhimâna de caste et de rang social, etc., est présent, les personnes sont poussées à l'action par râga et d'autres désirs ; tandis que dans l'état de sushupti et d'autres états [de conscience supérieurs], comme l'abhimâna de caste, ou de rang social est absent, aucune action n'est provoquée par râga ou d'autres désirs.

D'où vient donc cet abhimâna ? Il résulte d'aviveka (l'incapacité à distinguer l'Âtmâ du Non-Âtmâ). Bien que toutes les personnes soient distinctes de leur corps, leur manque de discernement, l'abhimâna en elles leur fait dire : « Je suis un Brâhmane, je suis un kshatriya (guerrier), je suis un vaishya (marchand), je suis un shûdra (de la classe la plus basse), je suis célibataire, ou chef de famille, je suis un ascète, je suis un homme, je suis une femme », etc. Aviveka est donc la cause d'abhimâna. Par ailleurs, on pourrait objecter que c'est le corps, et non aviveka, qui est à l'origine d'abhimâna. Si c'était le cas, l'abhimâna d'un Brâhmane devrait survenir (s’il prenait le corps) d’un kshattriya, d’une femme, d’un célibataire, ou d'un père de famille, etc. Mais ce n'est pas le cas. Abhimâna n'est donc pas généré par le corps. Abhimâna ne peut-il donc être suscité dans le Brâhmane par la touffe de cheveux et le cordon sacré qu'il arbore, ou dans un ascète, en vertu du tissu rouge du bol, etc., qu'il porte ? Non, car la touffe de cheveux et le cordon sacré sont également présents chez les kshattriya (les guerriers), les vaishya (marchands), et le tissu rouge, le bol, etc., également chez les dévots shûdra. Chez ces personnes aussi, l'abhimâna « Je suis un Brâhmane, ou un ascète » serait suscité par le fait de les porter. Mais ce n'est pas le cas. On pourrait supposer que l'abhimâna d'être un Brâhmane pourrait apparaître d’une différenciation des organes, comme [par exemple] masculin et féminin. Comme les organes sont de même forme, ce n'est pas une différence d’organes qui en est la cause. On pourrait encore arguer qu'abhimâna est généré par certaines parties spéciales du corps, héritées par son père de puissances plus élevées, qui ferait que les cheveux, ongles, dents, ainsi que les sécrétions, etc. devraient se voir appliquer le nom de Brâhmane. Mais ce n'est pas le cas. Ainsi, le Brahmâne ne contredit pas le fait que la cause d'abhimâna n'est autre qu'aviveka.

Scrutons à nouveau soigneusement la cause d'abhimâna. Une quête méticuleuse démontre qu’en ce monde, des mots tels que festivals, mariage, armée, société, etc., sont apparus en raison des agrégats collectifs qu'ils désignent, de la même manière, les agrégats de corps et d'organes, qui sont composés de mâyâ, laquelle est au-delà de toute description par le langage, en sont venus à être désignés, dans le langage parlé, par des termes tels que Brâhmane, kshattriya, vaishya, shûdra, mâle, femelle, eunuque ; du Gujarat, du Maharashtra, Telugu, du Karnataka, Dravidien, pandit, Dhîkshita, astrologue, rédacteur de Purâna, spécialiste des Veda, adepte de Shiva, Bhâgavata (adorateur du Seigneur), paysan, commandant en chef, roi, ministre, guru, disciple, et autres. Or Âtmâ n'a ni nom, ni forme (à aucun moment) des trois périodes (passée, présente et future). L'incapacité à discerner la réalité d'Âtmâ décrite précédemment constitue aviveka. Ainsi, c'est par aviveka qu'est causée en nous l'abhimâna de caste, rang social, etc., dans Âtmâ.

Quelle est la cause de cette aviveka ? C'est l'ajñâna (non-connaissance) sans commencement, laquelle enveloppe, depuis des temps immémoriaux, notre propre réalité (d'Âtmâ) de connaissance spirituelle du soi, et qui ne peut être enlevée que par la sagesse spirituelle intuitive d'Âtmâ. Ce n'est qu'à cause d'ajñâna que les gens de ce monde déclarent « Je ne sais pas qui je suis ». Or on pourrait dire, à ce propos, que tout le monde (mis à part les demeurés ou les idiots) sait qui il est. La réponse à cela est que tous (les êtres de ce monde) ne sont que des idiots, dans la mesure où ils s'identifient à leur corps, qui est illusoire, en déclarant : « Je suis un Brâhmane, un kshattriya, un vaishya, ou un shûdra, je suis célibataire, père de famille », etc. C'est pourquoi, comme personne (en ce monde) ne sait qu'Âtmâ est autre que le corps, ce ne sont que des idiots. Certains hommes en ce monde, bien versés dans les Shâstra et les Purâna, ont su que le corps est Non-Âtmâ, et qu'Âtmâ est distinct du corps, qui est semblable à un pot, un mur, etc. Dans quelle mesure peut-on affirmer que ces derniers, eux non plus, ne connaissent pas Âtmâ ? On ne peut affirmer qu'ils connaissent la vraie nature d'Âtmâ, car ils n'ont connu d'Âtmâ que le jîvâtmâ (l'inférieur), lequel est l'agent, le bénéficiaire, de nature duelle, et assujetti aux fluctuations des mondes, qui n'est que le reflet de la conscience (d'Âtmâ), et associé aux affaires mondaines.

D'où vient cette ajñâna (non-connaissance) ? Selon les Veda, celle-ci n'a pas de commencement, et il est donc impossible de deviner sa cause. De plus, comme ajñâna n'a pas de commencement, on pourrait en inférer qu'elle n'a pas non plus de fin, ce qui aurait pour conséquence que l'émancipation n'est pas à la portée des êtres humains (leur mental étant éternellement enveloppé d'ajñâna).

Il n'en est rien. Ajñâna, bien qu'exempte de commencement, a quand-même une fin. En ce monde, certaines substances, n'ayant pas de commencement, ont cependant une fin. D'autres, bien que n'ayant pas de fin, ont pourtant eu un début. Par exemple (en logique sanskrite), prâk-abhâva[22] n'a pas de début, mais quand-même une fin. Pratvamsa-abhâva comporte un commencement, mais pas de fin. De même, nous ne sommes pas toujours en mesure de savoir quelle est la vraie cause d'une maladie, laquelle est due à un changement d'équilibre entre vayu (l'air), la bile et shlesmâ (le phlegme), dans le corps, et pourtant on peut constater au quotidien que l'on est capable de la guérir en administrant les remèdes prescrits dans les livres de médecine. De la même façon, si nous ne pouvons remonter à la source d'ajñana (ignorance), on a cependant établi que jñâna (la sagesse spirituelle) obtenue grâce aux saints enseignements des Vedantas éradique ajñana.

Or quelles sont les caractéristiques de cette ajñana ?  Il nous est impossible de la décrire, car elle n'est ni Sat, ni Asat[23], pas plus qu'un mélange des deux. Elle n'est ni homogène, ni hétérogène, ni les deux à la fois. Elle n'est ni différente d'Âtmâ, ni non-différente de lui, pas plus qu'un mélange des deux. Elle est tout simplement au-delà de Vâch (indescriptible, inénarrable, au-delà de l'expression orale). Pourquoi ajñâna n'est-elle pas Sat, etc. ? Elle n'est pas Sat, car elle est affectée (on y met un terme) par le biais de Tattvajñâna (la sagesse spirituelle obtenue grâce à la discrimination entre les Tattva), et parce qu'elle ne persiste pas pendant les trois périodes du temps. Elle n'est pas asat (c'est-à-dire irréelle), comme par exemple, les cornes d'un lapin, ou comme une personne ou un lotus qu'on verrait dans le ciel (au-dessus de nos têtes), car on peut observer que tout le monde fait cette constatation « Je suis un ajñâni » (une personne dénuée de sagesse spirituelle). Et ajñâna n'est pas non plus un mélange des deux, les deux ne pouvant coexister (comme la lumière et l'obscurité). Cet Âkâsha grossier est lui-même très subtil. Encore plus subtil est l'Âkâsha subtil non quintuple (appelé les propriétés rudimentaires), qui ont été énoncées au Chapitre I. Les guna sont encore plus subtiles (sattva, rajas et tamas de Mûlaprakriti). Ajñâna est la plus subtile de tous. Ainsi, comme ajñâna est la cause première de toutes les choses subtiles, elle ne comporte pas de parties. En même temps, on ne peut affirmer qu'elle n'est pas composite, puisqu'elle se manifeste elle-même en tant que cet univers de matière grossière. On ne peut pas non plus affirmer qu'elle est un mélange des deux, puisque des opposés ne peuvent coexister. On pourrait ensuite prétendre qu'ajñâna est différente d'Âtmâ. Ce qui serait erroné, car cela contredirait les Veda, qui enseignent la non dualité, et parce qu'à part le Sat d'Âtmâ, il n'y a pas de Sat. Elle n'est pas non plus non-différente d'Âtmâ, puisque cela reviendrait à dire qu'Âtmâ n'a aucun pouvoir. De plus, ce serait en contradiction avec les shruti affirmant : « Ses pouvoirs suprêmes (d'Âtmâ) sont diversement décrits. » On ne peut donc prétendre qu'elle soit non-différente d'Âtmâ. D'ailleurs, cette supposition ferait d'Âtmâ quelque chose d'inerte, et de mâyâ, quelque chose d'intelligent. Âtmâ se verrait qualifié d'avidyâ, etc., et tous les attributs d'avidyâ, tels que l'irréalité, l'inertie et la souffrance, seraient imputées à Âtmâ, lequel a (uniquement) les attributs de Satchitânanda (Être-té, Conscience et Béatitude). Elle ne peut être non plus un mélange des deux, car ce sont des opposés antagonistes. C'est pourquoi ajñâna est dite située au-delà de toute expression verbale (vâch). Ainsi, il conviendrait de reconnaître distinctement qu'ajñâna, sans commencement, est la cause d'aviveka, avivejka, celle d'abhimâna, et abhimâna, celle de râga et des autres désirs ; râga et les autres désirs, la cause de karma, karma, celle du corps, et le corps, celle de toutes les formes variées de souffrance de l'existence ; et qu'Âtmâ subit les souffrances à cause d'ajñana, et des autres composantes énumérées ci-dessus.

Quand serons-nous donc libérés des souffrances de l'existence mondaine ? L'annihilation du corps entraîne celle des souffrances ; l'annihilation du karma, celle du corps ; l'annihilation de râga et des autres désirs, celle de karma ; l'annihilation d'abhimâna, celle de râga et des autres désirs ; et l'annihilation d'aviveka, celle d'abhimâna, et l'annihilation d'ajñana, celle d'aviveka. Ajñâna périt également lorsque, par la ferme conviction qu'on peut obtenir à partir des passages sacrés des Veda tels que « Seul Brahmâ est Je », et « Je suis seulement Brahmâ », prend clairement connaissance du fait qu'il est lui-même Brahmâ, le Brahmâ non-duel. Il convient également de savoir qu'il n'existe aucun autre moyen permettant d'éradiquer ajñâna.

On pourrait prétendre que tout comme des péchés de haine, tel le meurtre d'un Brâhmane, etc., peuvent être rédimés par de bonnes actions de pénitence, on a facilement tendance à croire qu'une chose aussi insignifiante qu'ajñâna peut être effacée par ces mêmes karma (de pénitence). Mais cette supposition est infondée, dans la mesure où karma et ajñâna ne s'opposent pas l'un à l'autre. De même que lors de la nouvelle lune, les nuages encombrant le ciel ne servent qu'à accentuer l'obscurité, karma ne sert qu'à aggraver le brouillard d'ajñana, mais ne tend pas à le disperser. Dans ce cas, de même que le soleil disperse les ténèbres, il n'y a que jñâna (la sagesse spirituelle) qui puisse nous débarrasser d'ajñana, ce n'est pas karma.

Mais il a été dit précédemment que karma est l'action émanant des trois organes (le mental, la parole et le corps) ; jñâna (la sagesse spirituelle) est également l'action produite par les organes internes (l'un des trois, soit le mental). C'est pourquoi jñâna est dite être uniquement karma. S'il en est ainsi, comment jñâna peut-il annihiler ajñâna ? Il est vrai que l'action du mental est elle aussi karma. Semblable à l'œil, qui ne permet pas d'éliminer aucune forme dans l'obscurité, et permet de percevoir la forme, l'action du mental sert de moyen par lequel jñâna peut éliminer ajñâna (et se connaître lui-même) ; mais jñâna n'est pas capable, par elle-même, d'éliminer ajñâna. Jñâna est éternelle. Elle est de deux sortes – svarûpa-jñâna[24] (la connaissance spirituelle de la réalité, ou le Rayon atmique, étant inactif), et vritti-jñâna (la sagesse de l'action mentale). De ces deux, la jñâna qui illumine ajñâna en sushupti, l'état de sommeil sans rêve, est de la première sorte, tandis que la jñâna qui illumine les objets à l'état de veille et de rêve est, lui, de la seconde. On peut se faire une idée de la lumière de vritti-jñâna à l'état de veille et à l'état de rêve, ainsi que de celle de svarûpa-jñâna pendant le sommeil sans rêve, en les comparant, respectivement, à la lumière reflétée par différents verres sur un mur, et à celle du soleil lui-même, tombant directement sur ce même mur, et visible dans les intervalles de la lumière reflétée. Mais devons-nous alors en inférer qu'il n'y a aucune sagesse svarûpa-jñâna dans les états de veille et de rêve ? Svarûpa-jñâna existe toujours, et dans tous les états. Mais vritti-jñâna est absent dans le sommeil sans rêve. Toutes les actions mentales (ou vritti) procèdent, relèvent uniquement des organes internes (du mental inférieur), tandis que jñâna (la sagesse) est la réalité d'Âtmâ lui-même. Cette réalité de jñâna, ayant pénétré les vritti (les actions des organes internes), annihile ajñâna (non-connaissance). Les actions du simple intellect (dans le mental inférieur) ne sont pas capables d'éliminer ajñâna. C'est la raison pour laquelle l'ajñâna d'Âtmâ n'est anéanti que par le svarûpa-jñâna d'Âtmâ, et non par le développement de la seule intelligence, ni par l'accomplissement de myriades d'actions. De même que seul des karma vertueux peuvent venir à bout de karma fautifs, seul svarûpa-jñâna peut éliminer ajñâna. Bien que les rubis ne soient que des pierres, leur éclat leur vaut l'appellation de lumières rouges. De la même manière, la sagesse des vritti, bien qu'appartenant aux organes internes, est qualifiée de sagesse en raison de sa concomitance avec svarûpa-jñâna. La dénomination de sagesse est donc uniquement secondaire dans le cas de vritti-jñâna. Jñâna n'est donc absolument pas karma.

Nous découvrons ensuite que dans l'état de sushupti (le sommeil sans rêve), jñâna et ajñâna coexistent tout à fait pacifiquement. Comment la connaissance peut-elle donc éliminer la non-connaissance ? Bien qu'il n'y ait aucune opposition entre jñâna etaAjñâna en elles-mêmes, il y en a une lorsque la première est couplée avec vritti-jñâna. Comme la connaissance qui entre en vritti-jñâna est la svarûpa-jñâna elle-même, comment peut-il y avoir conflit entre elle et ajñâna (non-connaissance) ? Si les rayons du soleil ne brûlent ni le coton, ni l'herbe sèche qui y sont exposés, ils les consument quand ils sont transmis à travers une loupe ; de même, la svarûpa-jñâna, bien qu'en elle-même non-antagoniste à ajñâna (l'ignorance, non-connaissance), devient son ennemie à partir du moment où elle est mêlée à vritti-jñâna.

La difficulté suivante se présente alors : si ajñâna (la non-connaissance) et ses effets sont détruits par vritti-jñâna, demeurent alors vritti-jñâna et jñâna (pure connaissance spirituelle), qui composaient ajñâna. Comment peut-on, face à ces deux éléments, présupposer la non-dualité d'Âtmâ ? Comme dans le cas de ces noix nettoyantes (qui lorsqu'elles sont râpées dans l'eau d'un récipient, en précipitent les sédiments vers le fond et disparaissent avec eux), vritti-jñâna, après avoir détruit la non-connaissance (ajñâna) et ses effets, disparaît également. Si les vritti (les actions mentales) cessent, la connaissance, jñâna, qui se reflétait dans les vritti, parvient à son état réel, svarûpa-jñâna. Ne persiste alors que la réalité non-duelle d'Âtmâ. Ainsi, ajñâna est détruite par jñâna.

Une telle sorte de connaissance (réelle) est obtenue grâce à une recherche visant uniquement Âtmâ, et non par des karma, des austérités religieuses ou la pratique du Yoga. Jñâna, la connaissance spirituelle, relève, procède d'Âtmâ. C'est pourquoi il est impossible de lui ajouter ou de lui retirer quelque chose, ou de la transformer en autre chose. Le Yoga, les invocations, le culte des divinités, etc. sont d'origine humaine. C'est pourquoi il est possible de leur ajouter ou retrancher des éléments, ou de les transformer. Grâce à eux, une personne est capable de maintenir dans le même état (ou de concentrer en un seul point) sa chitta (sa pensée fluctuante), et d'acquérir les huit pouvoirs psychiques, par exemple animâ (le pouvoir de rapetisser), etc., mais elle ne peut obtenir jñâna par leur intermédiaire. Comme le Yoga, etc., ne sont que les actions du mental inférieur (organe interne), ils sont de la forme des karma, et ne procèdent donc pas d'Âtmâ. Ainsi, jñâna (la connaissance), qui émane d'Âtmâ, ne provient pas des karma, mais uniquement des investigations spirituelles intuitives relatives à Âtmâ. La qualité des pierres shâlagrâma[25], celle des rubis, de l'or, etc. ne peut être testée qu'en examinant leurs propriétés, et au moyen d'une pierre de touche, et non par des ablutions, des rituels quotidiens ou le prânâyâma (contrôle de la respiration), etc. De même, la connaissance (jñâna) d'Âtmâ ne peut être obtenue que par la discrimination entre Âtmâ et Non-Âtmâ, et non par le Yoga ou d'autres karma. C'est pourquoi celui qui aspire à être sauvé, après avoir abandonné tous les autres devoirs, devrait se consacrer sans cesse à la discrimination entre Âtmâ et Non-Âtmâ, par les trois méthodes de la shrâvana (écoute des Veda), etc. Quiconque poursuit ses recherches dans cette seule direction est libéré, même dans cette vie, des liens de l'existence mondaine et devient un émancipé, d'abord dans son corps, puis hors de celui-ci. C'est ce que proclament unanimement tous les Veda. Après avoir entendu et compris clairement tous ces enseignements, avec détermination, il devrait être la Conscience Absolue elle-même. Il ne devrait jamais s'arroger les fonctions d'un agent (d'un acteur).

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Chapitre VII – L'aspect quadruple d'Âtmâ

OM. Dans ce septième chapitre, nous traiterons de la véritable discrimination entre l'Âtmâ et le Non-Âtmâ, de la sagesse spirituelle qui en découle, et du kaivalya (l'isolement ou émancipation) de Brahmâ, qui résulte de cette dernière.

À ce stade, il a été dit que la sagesse spirituelle d'Âtmâ résulte de la discrimination entre Âtmâ et Non-Âtmâ. Quel est donc l'Âtmâ dont il s'agit ici ?

Âtmâ n'a pas les caractéristiques des trois corps. Il est le témoin des trois avasthâ (états). Il est distinct des cinq kosha (ou enveloppes). Il a les caractéristiques de Sachchidânanda. Le Non-Âtmâ, à l'inverse, est uniquement constitué des trois corps. Ses caractéristiques sont l'irréalité, l'inertie et la souffrance. Il se différencie en deux catégories, macrocosmique (collective), et microcosmique (séparée). Bien que ces deux divisions aient été exposées dans le premier chapitre, nous les exposons de nouveau ici (pour une meilleure compréhension du texte). Une forêt est une collectivité, tandis qu'un de ses arbres en est un élément distinct. Les deux, pris ensemble, constituent une collectivité, et chacun pris séparément est une entité distincte. De la même façon, les trois corps sont à la fois une collectivité et des entités distinctes (c'est-à-dire, macrocosmiques et microcosmiques). Il y a en tout six sortes de corps : les corps grossier, subtil et causal macrocosmiques, et les corps grossier, subtil et causal microcosmiques. L'état d'Âtmâ en tant qu'Îshvara, au travers du véhicule du macrocosme, et en tant que Jîva, au travers du véhicule du microcosme, n'est pas réel, dans la mesure où Âtmâ ne fait qu'un. Ce n'est que par le véhicule de Mâyâ (la matière) qu'Âtmâ se manifeste en tant qu'Îshvara, et par le véhicule d'avidyâ qu'Âtmâ se manifeste en tant que Jîva (Ego). Tant que nous sommes sous le coup de l'illusion que de telles manifestations sont réelles, nous restons enchaînés à l'existence mondaine. La shruti, mère de tous les hommes, enseigne ceci : « Lui-Même, en devenant Mâyâ et avidyâ, est la cause de ce qu'Il devient les Jîva (les Ego) et Îshvara. » Il n'y a pas d'abhimâna (d'identification du soi avec tous les objets) pour Îshvara dans son Corps Causal macrocosmique, dans la mesure où, dans le Mahâ-Sushupti (le Grand « Déluge »), la notion du « Je » disparaît. Cet Îshvara qui préside au Corps Causal macrocosmique est également appelé avyâkrita (inactif), et antaryanû (latent). Il est adoré par les plus grands dévots parmi les hommes. À ceux qui ne sont pas capables de se consacrer à la contemplation d'Îshvara dans cet aspect, les Veda enjoignent de l'adorer dans son Corp Subtil macrocosmique. Il est appelé dans ce cas Hiranyagarbha, Sûtrâtmâ et Mahâ-Prâna. Îshvara a-t-il alors (appelé dans ce cas Hiranyagarbha) un quelconque abhimâna dans ce Corps Subtil ? Non. Bien que la notion de « Je » soit alors présente, Îshvara n'a pas d'abhimâna dans ce Corps Subtil, car il est alors en svapna, l'état de rêve, si bien que le Corps Grossier, qui est le siège d'abhimâna, est alors inexistant. Les shruti enjoignent à ceux qui sont incapables de concentrer leur mental sur Îshvara dans son Corps Subtil, de l'adorer dans son Corps Grossier macrocosmique. Dans ce Corps Grossier, Îshvara porte divers noms, notamment Virât, Virâjat et Vishvânara. Dans ce cas, si nous nous posons la question de savoir s'il a abhimâna dans ce Corps Grossier macrocosmique, nous n'obtiendrons aucune réponse, car il est la seule incorporation des corps de tous les hommes, et parce que dans ce domaine, il n'a pas de pair.

En outre, les shruti enjoignent à ceux qui sont incapables de se consacrer à la contemplation d'Îshvara dans les corps macrocosmiques précédemment évoqués, de se consacrer à Îshvara dans son incarnation dans la forme physique du Poisson (Matsya), de la Tortue (Kûrma)[26], etc., afin d'extirper le vice et de préserver la vertu – lesquelles incarnations se sont produites par le biais des trois guna, rajas, sattva et tamas, en tant que Brahmâ, Vishnu et Rudra (les trois aspects d'Îshvara), qui sont respectivement les créateurs, préservateurs et les destructeurs (ou régénérateurs) de l'Univers. Or Îshvara, qui assume en lui les divers corps de Brahmâ, etc., a abhimâna dans les corps respectifs qu'il prend. S'il n'avait aucun abhimâna dans ces corps, il ne pourrait assumer les fonctions de création, etc., dans ceux-ci. Abhimâna existe donc bien pour Îshvara dans ces trois corps (Causal, etc.).

Or comment distinguer entre l'abhimâna des Jîva, et celui d'Îshvara, si l'on peut le trouver chez les deux ? La différence est la suivante. Dans le cas des hommes, le concept de « Je » et de « mien » est toujours présent dans leur corps, alors que dans celui d'Îshvara, ce dernier assume abhimâna de sa propre volonté, chaque fois qu'il est nécessaire à la préservation du monde, à la manière d'un danseur d'opéra qui choisit son costume. Il y a donc une grande différence entre l'abhimâna d'Îshvara et celui des Jîva (Egos).

À ceux qui seraient encore incapables de se concentrer ainsi, il est demandé de l'adorer dans sa forme incorporée dans des idoles en cuivre ou en d'autres métaux. Ainsi, ceux qui rendent un culte aux idoles le font en pensant qu'elles sont Îshvara lui-même. Ce Seigneur unique et suprême (Îshvara), latent dans toutes les formes et idoles, répand ses fruits sur tous les dévots (selon leurs mérites). Pourtant certaines personnes ignorantes qui ne savent pas qu'Îshvara peut se manifester lui-même sous toutes les formes, se lancent dans des débats passionnés[27], comme s'il y avait de nombreux Îshvara, en des lieux divers. Îshvara, latent en tout, est unique.

Si Îshvara est un et seulement un, comment rendre compte des différences de formes et de cultes d'Îshvara, tels qu'ils sont prescrits dans les Shâstra (et qu'on peut trouver dans le monde) ? Ces distinctions sont faites simplement dans le but d'entraîner lentement le mental des gens par petites étapes, en partant de la vision extérieure (des idoles, etc.), pour arriver à la vision intérieure (d'Âtmâ), ce qui peut finalement les conduire à connaître le Jivâtmâ et le Paramâtmâ (le soi inférieur et le Soi supérieur). C'est pour cette raison que les écritures religieuses hindoues, reconnaissant dès le départ qu'il existe différentes formes dans le mental des hommes depuis des temps très reculés, leur enjoignent différentes formes de culte, en fonction de leurs capacités, et non pas pour qu'ils s'y maintiennent à tout jamais.

Ainsi ont été décrites les manières dont Îshvara[28], le Paramâtmâ, attint les trois états grâce aux véhicules des trois corps.

Nous allons maintenant décrire comment l'unique Paramâtmâ atteint l'état de Jîva (d'Ego), au moyen des trois corps microscopiques. Paramâtmâ associé au Corps Causal (Kârana) est appelé Prajña ou Paramârthika (le réel), Avidyâ et Avachchhinna (lit., le séparé). Quand il (Paramâtmâ) est associé au Corps Subtil microcosmique, il est appelé Taijasa, Svapna-Kalpita (faiseur de rêves), et Pratibhâsika (le reflété, ou l'irréel). Lorsqu'il est associé au Corps Grossier microcosmique, il est appelé Visva, Vyavakâraka (le mondain), et Chidabhâsa (la conscience réfléchie).

De quelle utilité sont ces trois corps pour le Jîva (l'Ego) ? D'une grande utilité. Ce qui se reflète dans l'Antahkarana (les organes internes du mental inférieur) est uniquement le Jîva. C'est pourquoi il est tout à fait nécessaire que le Jîva possède d'abord un Corps Subtil. Ensuite, des actions (physiques) doivent être faites pour satisfaire aux désirs émanant du Corps Subtil. D'où la nécessité d'un Corps Grossier avec lequel agir. Et comme ces deux corps produisant des effets doivent avoir leur cause, le Corps Causal (Kârana) est inévitable. C'est pourquoi il est nécessaire que le Jîva possède ces trois corps.

Alors se pose la question de savoir si le Jîva possède un abhimâna dans ces trois corps microcosmiques ? Après enquête, nous découvrons que oui. (Comme nous l'avons démontré précédemment), si le Jîva n'a pas d'abhimâna pour que le corps puisse accomplir des actions, il n'a aucun moyen d'action ; si aucune action, ou aucun moyen d'agir n'est généré, alors il ne peut y avoir aucune formation d'un corps ; et sans un corps, l'état de Jîva est impossible. Le Jîva a donc un abhimâna. Ainsi, nous voyons que le Paramâtmâ se manifeste en tant que Jîva (les Egos, ou les hommes), et Îshvara, à travers les véhicules du macrocosme et du microcosme, respectivement.

Par exemple, une même personne, nommée Devadatta, est appelée père et grand-père par le fait qu'il a engendré des enfants et des petits-enfants ; de même, Âtmâ, au moyen des véhicules de Mâyâ et d'avidyâ, atteint les états d'Îshvara et de Jîva. Cet exemple ne fait qu'illustrer le fait qu'une entité peut traverser de nombreuses formes.

Nous allons maintenant donner un exemple illustrant l'intelligence universelle d'Îshvara et la vision limitée du jîva. Une grande quantité d'eau dans un lac permet de préserver les habitants de tout un village, tandis que la même eau, bien qu'en moins grande quantité, contenue dans un récipient, ne peut préserver qu’une famille. De même, la lumière d'une grande torche peut éclairer une vaste surface, tandis que celle de la petite mèche d'une lampe ne peut illuminer qu'une maison. De la même manière, la sagesse universelle d'Îshvara est apparue grâce au véhicule de Mâyâ, la grande cause, et la vision limitée du jîva, grâce au véhicule d'avidyâ, l'effet moindre. On ne doit cependant pas supposer pour autant qu'il existe en réalité deux Âtmâ, l'un d'une sagesse universelle, et l'autre d'une sagesse limitée. C'est pourquoi les livres du Vedanta affirment la nature unique (l'identité) des termes 'Tat' (Cela, ou Îshvara), et 'Tvam', (Toi ou Jîva), au moyen des trois sortes de relation. Les trois sortes de relation (de la logique sanskrite) sont celle d'identité (ou d'égalité) de deux mots ou objets dans une phrase, la relation spécifiant un qualificateur et un qualifié à propos de deux substances, et enfin la relation de lakshya (ce qui est visé) et de lakshana (les caractéristiques) de Brahma par rapport à deux mots ou substances. Ainsi, il existe trois sortes de relation.

Prenons pour exemple « Soyam Devadattah ». L'analyse de cette phrase donne sa signification : « Ceci (est) ce Devadatta ». Ici, un objet identique est rendu par les deux termes « ceci » et « ce », à savoir, le corps de Devadatta (un certain personnage). Cette phrase présente donc un type de relation d'identité, entre deux mots qui désignent un même objet. De même, dans la phrase sacrée « Tat-tvam-asi », ou « Tu es Cela », comme une seule conscience est commune aux termes « Tu » et « Cela », il y a une relation d'identité entre les deux mots. Pour en venir à la deuxième sorte de relation, on trouve dans cette même phrase « Ceci (est) ce Devadatta », qu'un contraste est introduit entre la signification de « ceci », qui désigne Devadatta vu en un lieu et à un moment donnés, et « ce », qui désigne Devadatta vu en un lieu et un moment différents. On a donc ici une relation de qualifiant à qualifié. De même, dans « Tat-tvam-asi », lorsqu'on met en relief la différence qu'il y a entre « Tat » (Cela), qui désigne la conscience ayant une sagesse universelle et une cognition directe, et « tvam » (tu), qui désigne la conscience ayant une connaissance limitée et une cognition indirecte, on a une relation de qualifiant à qualifié. En ce qui concerne la troisième sorte de relation, on voit qu'il nous faut prendre uniquement en considération l'ensemble de la masse Devadatta, qui représente les deux mots « ceci » et « ce » dans la phrase, ou la signification de ces mots, et rejeter tout ce qui lui est différent (ou contraire) dans cette même phrase. Le fait de viser exclusivement Devadatta, l'unique objet [ou personne] considéré, appartient à la troisième sorte. Cette troisième sorte existe également dans la phrase « Tat-tvam-asi ». Lorsqu'on ne considère que l'unique Sachchidânanda (de Brahma [Brahmâ ?]), qui représente les deux termes « cela » et « tu », ou la signification de ces deux mots, la conscience une est seule considérée, et non les différences (ou les contraires) entre « cela » et « tu », dans cette phrase sacrée. La troisième sorte de relation est également appelée Bhãga-tyâga-Lakshanâ[29] ou Jaha-ajaha-Lakshanâ.

(Nous allons maintenant approfondir cette question plus en détails). En logique sanskrit, si l'on veut vraiment comprendre le sens d'une phrase, il existe trois méthodes (vritti) : la méthode Primaire, la méthode guna (des qualités), et la méthode lakshana (des caractéristiques). Pour illustrer les deux premières, prenons la phrase « Le roi s'en va. »  Dans ce cas, lorsqu'on voit passer des éléphants, des soldats, des drapeaux, etc., on peut demander à quelqu'un : « Que se passe-t-il ? ». La personne nous répond alors : « Le Roi s'en va ». Comme le Roi est le chef de toutes ces personnes et qu’il les représente toutes, il est le facteur (vritti) primordial, le plus important dans cette phrase. Pour ce qui est du second, nous pouvons prendre l'exemple du « nîlotpala » (un lotus bleu) et de agni-mãnavaka (un garçon brillant). Ici nîlotpala se décompose en « nîla » et « utpala », désignant une fleur bleue. Au lieu de cette signification générale, ce terme devrait être compris uniquement comme désignant un genre particulier de fleur bleue, à savoir, le lotus bleu, si l'on prend la guna (qualité) en considération. De même, agni-mãnavaka signifie seulement le garçon (qui est) le feu lui-même. Au lieu de ce sens, nous devrions comprendre le feu comme étant sa qualité (guna), et donner à cette expression le sens de « garçon qui brille comme le feu ». La troisième sorte de relation se subdivise à nouveau en trois, jaha (abandon), ajaha (non-abandon), et jaha-ajaha (un mélange des deux). Un exemple de ces trois occurrences peut être donné, dans les trois phrases suivantes, respectivement. « Il y a un hameau sur le Gange » ; « c'est la rouge qui court » ; « C'est ce (lui) Devadatta ». Dans le premier cas, le hameau ne peut se situer sur le fleuve même du Gange, mais seulement sur la rive près de laquelle il coule. Donc le premier lakshana (caractéristique) abandonne la notion de courant (dans le fleuve) lorsqu'il s'agit de la position réelle du hameau. Dans le second exemple, lorsque quelqu'un demande si c'est une vache rouge ou un cheval noir qui court, on lui répond que « la rouge court ». Le mot rouge désignant ici uniquement la vache, le lakshana n'est pas abandonné. Dans le troisième cas, on a à la fois abandon et non-abandon. Tout d'abord, nous ne faisons pas la différence entre « cette » personne, que nous avons déjà vue en d'autres moment et lieu, et « cette » personne que nous voyons maintenant, en un autre lieu, puis comme il est impossible d'identifier ces deux-là comme étant cet unique Devadatta sans abandonner la notion de différence entre les deux, nous parvenons, par cet abandon, à la notion que c’est une seule et même personne. Si l'on applique ces tests (à la phrase que nous considérons), puisqu'il y aura une contradiction si l'on ne prend que la signification primaire (viz. le premier sens), il nous faudra adopter uniquement le dernier sens (à savoir, lakshana).

Or quelles sont la signification exprimée (vâchyartha), et la signification indiquée (lakshyartha), par les mots « Cela » et « tu » dans la formule sacrée précédemment citée ? Mâyâ, ce qui se reflète en lui (Îshvara), et Brahmâ le siège de Mâyâ, sont toutes deux les significations exprimées par le mot « Cela », tandis que la seule signification indiquée est Brahmâ. Avidyâ, ce qui se reflète en lui (le jîva), et l'intelligence témoin (Âtmâ) qui est le siège d'avidyâ, est la signification exprimée par le mot « tu », tandis que seule l'intelligence témoin (sâkshî) d’Âtmâ est la signification indiquée. Donc, quand on comprend correctement la signification des mots « Cela » et « tu », la formule sacrée « Tatvamasi » enseigne que Brahmâ et Kûtastha[30] (Âtmâ dans l'homme et dans les autres) sont identiques, d'après la signification indiquée de l'unicité de leur conscience à tous deux, qui laisse de côté toute idée de différence entre eux qui pourrait découler de leur signification exprimée. De même qu'une personne, une fois libérée du véhicule (ou de sa relation avec) de son fils et de son petit-fils, cesse d'être appelée père ou grand-père, et redevient le pur Devadatta (la personne qu'il était à sa naissance) ; de même que l'eau, une fois libérée de son véhicule (ou environnement), qu'il s'agisse d'un grand lac ou d'un pot, redevient l'eau pure ayant les qualités de fraîcheur, de goût et de volatilité ; de même que le feu, lorsqu'il est libéré du véhicule d'une grande torche, ou d'une petite mèche, est toujours ce feu pur, rouge, chaud et brillant ; de la même façon, lorsqu'on est libéré du véhicule de Mâyâ, d'avidyâ, on devient ce pur Âtmâ, qui est Sachchidânanda. La personne exaltée en qui pointe la reconnaissance que « le Pratyagâtma plénier (le Soi Supérieur) est de ma (viz. de sa) propre nature ; je suis seul Brahmâ ; Brahmâ seul est moi-même » – cette personne est émancipée. Elle seule a effectué le travail à effectuer. Elle seule est un Brâhman. C'est ce que proclament tous les Vedas, comme avec une trompette.

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Chapitre VIII – Âtmâ n'a pas les caractéristiques des trois corps

OM. Les quatre attributs de Paramâtmâ, mentionnés au chapitre précédent, à savoir, qu'il n'a pas les caractéristiques des trois corps, qu'il est uniquement un témoin des trois avasthâ, ou états, qu'il diffère des cinq kosha (enveloppes), et qu'il a les attributs de Sachchidânanda, vont être étudiés dans les quatre chapitres suivants, à commencer par celui-ci. Parmi ces quatre caractéristiques, la première et la troisième font partie de la catégorie atadhvya vritti (le procédé qui consiste à connaître la vérité par une chose qui lui est opposée). La seconde appartient à la catégorie appelée tatastha (procédé pour connaître la vérité grâce à une chose qui en diffère, et qui est la seule par laquelle la vérité devrait être connue). La quatrième est de la catégorie svarûpa (procédé permettant d'arriver à la vérité grâce à la vérité elle-même). La première caractéristique est ce procédé consistant à s'approcher de la connaissance d'Âtmâ après avoir rejeté toutes choses, en partant de l'Âkâsha, et jusqu'au corps physique, à l'aide de la formule sacrée : « Ceci n'est pas Âtmâ ; il n'est pas ceci... », et ainsi de suite. La seconde caractéristique consiste à connaître Âtmâ en tant que soutien de l'univers. La troisième est le procédé pour connaître Âtmâ en sa qualité de Sachchidânanda (Être-té, Conscience et Béatitude), tout-englobant et inconditionné.

Dans ce huitième chapitre, nous démontrerons qu'Âtmâ n'a pas les caractéristiques des trois corps. Nous décrirons d'abord les trois corps eux-mêmes, car si on ne sait pas ce qu'ils sont, la phrase « Âtmâ n'a pas leurs caractéristiques » serait incompréhensible. Or il y a trois corps : le corps grossier, le corps subtil, et le corps Kârana (causal). Bien entendu, les gens n'ont nul besoin qu'on leur parle du corps grossier, dont ils sont capables de voir les mains, les jambes, etc., comme ils sont capables de voir un pilier. Le corps subtil se compose de dix-sept organes[31]. Le troisième corps, le kârana sharîra (corps), est uniquement constitué d'ajñâna (ou d'avidyâ). Le terme sharîra est appliqué au corps, car il dérive du terme « shîryathe », signifiant « périssable ». Le corps grossier meurt si on ne le nourrit pas. Même nourri, il finit par mourir de maladie ou de vieillesse. Le corps subtil se développe et meurt comme une tendre feuille. Le corps subtil grandit également lorsqu'augmentent les désirs et les activités des organes internes ; il cesse également de vivre lors de leur contraction (ou de leur diminution). Quant au kârana sharîra, il se développe lorsqu'on pense « Je suis jîva (l'Ego) » ; mais lorsque ce « Je » s’identifie à Brahmâ, alors ce corps se contracte et périt. Les actions, telles que décrites ici, de croissance incessante des corps subtil et causal, n’affectent que les ignorants, mais pas les personnes spirituellement évoluées. Comme les trois corps décrits précédemment sont sujets à la dissolution, on leur applique le terme de sharîra.

Le mot sanskrit « deha » désigne également le corps, car il dérive de la racine « deh », signifiant « brûler ». Il se trouve que les corps grossiers sont (en général) consumés dans le feu. Mais peut-on appliquer ce terme aux deux autres corps, qui ne peuvent être brûlés par le feu ? Oui, car ils sont consumés par les trois sortes de souffrance qui consument le cœur[32], lesquelles sont bien plus destructrices que le feu. Ainsi, les trois corps sont donc tous bien brûlés. Le terme de « deha » peut donc leur être appliqué. Le corps physique, semblable à un pilier et composé des cinq éléments, est dit grossier. Comme le corps subtil est composé des éléments subtils, et non grossiers, comme le corps physique, on le dit subtil. Il est également appelé linga sharîra[33], car il permet d'entendre les sons, mots, etc., subtils, qui sont donc absorbés (au niveau de l'oreille grossière). On dit que la cause des corps subtil et grossier est le corps causal (kârana).

Nous avons dit précédemment que les corps grossier et subtil provenaient des cinq éléments. Nous affirmons maintenant qu'ils ont pour origine le corps causal (kârana). Comment concilier ces deux affirmations ? On peut considérer Âtmâ de deux points de vue : (1) de celui de l'évolution adhyâropa, où la matière est évoluée par divers stades successifs, et est encore appelée Mâyâ, ou illusoire ; (2) de celui de l'évolution ugapat, où Âtmâ est considéré comme étant assujetti aux limitations de la matière. Selon la théorie de l'évolution adhyâropa (aussi appelée évolution ordinaire), il a été dit que les corps grossier et subtil étaient formés des cinq éléments. C'est vrai (de ce point de vue). Du point de vue de la théorie de l'évolution ugapat[34] (littéralement, 'conjointe'), tous les corps et l'univers sont dits provenir d'ajñâna. Donc de ce point de vue, il nous faut concevoir qu'ajñâna (ou avidyâ, qui forme le revêtement du corps causal) est la cause des deux corps (grossier et subtil). La première évolution, dite ordinaire, est la suivante : mûlaprakriti, mâyâ, avidyâ, âvarana (force centripète), vikshepa (force centrifuge), âkâsha, vâyu, agni (feu), l'Eau et la Terre. Selon l'autre théorie, l'ensemble de l'univers a surgi uniquement du fait que nous ne connaissons pas Âtmâ (c'est à dire des limitations de la matière).

Or (en ce qui concerne les corps), le corps physique (grossier) ne soulève aucun doute, car nous en jouissons de manière perceptible. Mais le corps subtil n'est pas aussi perceptible. Comment pouvons-nous postuler son existence ? Son existence pourrait être connue (ou inférée) à partir des effets produits par les dix-sept organes[35]. Mais ces effets ne sont pas produits par le corps grossier, dans la mesure où, comme dans le sommeil sans rêve, la transe et la mort, les effets (ou fonctions) des dix-sept organes ne sont pas perçus (ou manifestés) via le corps grossier, bien qu'ils existent, et dans la mesure où ces effets ne se trouvent que dans l'état de veille et dans l'état de rêve. On devrait donc savoir qu'un corps subtil, qui comporte les dix-sept organes, existe bien, indépendamment du corps grossier.

Ne pourrait-on objecter que comme les corps subtil et grossier ne sont pas vus agissant séparément, ils assument conjointement les fonctions d'entendre, de voir, etc. ? Une enquête approfondie démontre qu'il n'en est rien. Seul le corps assume ces fonctions, et non pas les deux corps conjointement. Prenons l'exemple du feu. Ce n'est qu'avec l'aide d'un carburant qu'il peut cuire les aliments, entre autres activités ; sans carburant, il ne peut accomplir aucune action par lui-même. Et pourtant, des opérations telles que bouillir, etc., sont dues au feu, et non au carburant. De même, les fonctions de la vue, de l'ouïe, etc., assumées par le corps subtil, qui dépend du corps grossier (pour se manifester), sont dues au corps subtil, et non au corps grossier. On peut donc présumer qu'un corps appelé subtil existe, et comporte les dix-sept organes. Les dix-sept organes sont les cinq organes des sens, les cinq organes d'action, les cinq prâna (airs vitaux), manas et buddhi. Ce qui est constitué par ces organes est appelé corps subtil. Les oreilles, la peau, les yeux, la langue et le nez sont les cinq organes des sens. Leurs objets sont le son, le toucher, la forme, le goût et l'odorat. Ils sont appelés jnânendriya, car ils permettent d'obtenir la sagesse spirituelle. La bouche, les mains, les jambes, l'anus et les organes génitaux sont les cinq organes d'action. Leurs fonctions sont de parler, lever, marcher, excréter et jouir. Comme ils sont destinés à l'accomplissement d'actions physiques, ils sont appelés karmendriya. Comme rajoguna [la guna rajas] produit des perturbations et des impuretés, les organes d'action qui en sont formés ont pour but la performance de karma. Les prâna sont au nombre de cinq : prâna, apâna, vyâna, udâna et samâna. Ils sont appelés prâna parce qu'ils soutiennent et renforcent le corps par des actions telles que l'inspiration et l'expiration. Ils sont capables d'accomplir ces fonctions uniquement à l'aide de la qualité (guna) rajas, qui les constitue. L'action de l'organe interne (ou mental inférieur), dévolue à l'étude (des choses) est manas, celle qui détermine est buddhi. Ainsi, le corps subtil compte dix-sept organes.

Dans ce monde, pour comprendre un objet [ou sujet] (de manière approfondie), il existe trois tests (ou moyens), à savoir, celui de l'approximation, celui de ses caractéristiques, et celui de l'étude sérieuse de ses caractéristiques. Par le premier moyen, nous ne connaissons que le nom de l'objet que nous cherchons à connaître ; avec le second, nous comprenons sa nature réelle ; avec le troisième, nous nous renseignons sur lesdites caractéristiques. Or en ce qui concerne le corps subtil, le premier moyen, à savoir les noms des divers organes du corps subtil, a déjà été exposé. Nous appliquerons maintenant les deux autres tests au corps subtil. Selon le second test, les caractéristiques d'un objet ne devraient pas faire l'objet des erreurs d'avyâpti (non-inclusion ou exclusion d'une partie de la chose définie), d'adhivyâpti (redondance), ni d'asambhâva (d'impossibilité), et ne devraient pas être celles d'un autre objet.

Avyâpti se présente lorsque les caractéristiques ne concernent qu'une partie de l'objet, et pas les autres. Exemple : la vache est de couleur fauve. Dans ce cas, l'objet 'vache' est entaché d'avyâpti, car la couleur fauve ne concerne qu'une catégorie de vaches, et non leur ensemble. Ainsi la vache ne peut être connue correctement par cette seule description.

Adhivyâpti apparaît lorsque les caractéristiques désignées sont aussi celles trouvées dans (ou sont communes à) d'autres d'objets. Par exemple : les vaches quadripèdes. (Il n'y a pas que les vaches qui aient quatre pattes, d'autres animaux aussi. Il y a donc redondance dans ce cas).

Il y a asambhâva lorsque les caractéristiques données ne sont (pas du tout) celles des objets désignés. Exemple : la vache unicorne. (Toutes les vaches ont deux cornes, et non une seule. D'où l'impossibilité.)

Ce qui échappe à ces erreurs n'a pas de propriétés communes à d'autres choses. Par exemple : une vache présentant les caractéristiques du cou, des fanons, du dos et de la bosse. (Ces caractéristiques sont uniquement présentes dans la race bovine).

En appliquant ces tests au corps subtil, ses caractéristiques seront décrites dans l'ordre prescrit.

L'organe du son est celui qui, localisé dans l'âkâsha, présent dans l'orifice de l'oreille, et obéissant aux directives des devatâ (dieux) présidant aux dikh (quartiers, directions cardinales ?), entend les dix-huit langages et sons. Si on étudie les caractéristiques de cet organe, nous devons conclure qu'une telle perception par le biais de l'âkâsha ne se situe pas dans l'orifice de l'oreille, mais grâce à autre chose, dans la mesure où l'on constate que dans le sommeil sans rêve, l'évanouissement et d'autres états, on n'a pas la perception du son, malgré la présence d'âkâsha dans l’orifice de l'oreille.

L'organe du toucher est celui qui, imprégnant la peau sur tout le corps, et agissant sous la direction des devatâ présidant à vayu (air), ressent la chaleur ou le froid, les surfaces lisses ou rugueuses, et ainsi de suite. L'étude de ses caractéristiques nous oblige à conclure qu'une telle perception ne se produit pas par la peau, car dans le sommeil sans rêve, etc., on n'a pas la perception du toucher, bien que la peau soit présente.

L'organe de la vue est celui qui, localisé dans la pupille de l'œil, et agissant sous la direction de sa déité tutélaire, le soleil, est capable de percevoir les formes, longues, larges, grossières, subtiles, etc., et les couleurs, le bleu, le blanc, le rouge, le jaune, le vert, etc. Mais ce n'est pas grâce à la pupille qu'une telle perception se produit, car même en sa présence, cette perception est absente pendant le sommeil sans rêve, etc.

L'organe du goût est ce qui, agissant sous la direction de sa déité tutélaire, Varuna, et se situant sur la pointe de la langue, perçoit les six espèces de goût – doux, amer, astringent, salé, acide et piquant. Mais ce n'est pas la langue qui assure la perception du goût, car bien qu'elle soit présente pendant le sommeil sans rêve et dans d'autres états, elle n'a pas alors la sensation du goût.

L'organe de l'odorat est celui qui, agissant sous la direction de sa déité tutélaire, appelée les ashvin, et focalisée à la pointe du nez, est capable de sentir les odeurs agréables et désagréables. Ce n'est pourtant pas le nez qui a cette sensation, car bien qu'il soit présent dans le sommeil sans rêve et dans d'autres états, il n'y remplit pas cette fonction.

C'est ainsi que se présentent les caractéristiques des organes des sens. Passons maintenant aux organes de l'action.

L'organe de vâch (la parole) est celui qui, agissant sous la direction d'Agni (le feu), sa déité tutélaire, et centralisé à la base du palais, aux lèvres supérieure et inférieure, dans les dents, le cou, le cœur, l'ombilic et en d'autres endroits, permet l'articulation de divers sons. Mais ce ne sont pas la base du palais, etc., qui sont à l'origine de la prononciation des mots, puisqu'ils ne produisent pas cette articulation dans le sommeil profond, etc.

L'organe de la préhension est celui qui, agissant sous la direction d'Indra, sa déité tutélaire, et concentré dans les mains, accomplit les actions de lever, etc. Ces fonctions ne peuvent toutefois pas être assumées par la main elle-même, puisque malgré sa présence pendant le sommeil profond et d'autres états, elles n'y sont pas assurées.

L'organe de la marche est celui qui, ayant Upendra pour déité tutélaire, et centralisé dans les jambes, accomplit l'action de marcher. Cette fonction ne peut toutefois pas dépendre de la jambe elle-même, car bien que celle-ci soit présente dans le sommeil sans rêve et dans d'autres états, elle n'y est pas capable de marcher.

L'organe de l'excrétion est celui qui, ayant pour déité tutélaire Mrityu (le dieu de la mort), et centré dans l'anus, accomplit les fonctions d'excrétion, etc. ; mais de telles actions ne peuvent être accomplies par le seul anus, car bien que présent dans le sommeil sans rêve et d'autres états, il n'en est alors pas capable.

L'organe de la génération est celui qui, agissant sous la direction de Prajâpati, sa déité tutélaire, et localisé dans les organes sexuels mâle ou femelle, accomplit les fonctions de sécrétion de shukla (le sperme mâle) et de shonita le sperme féminin), ainsi que de l'urine ; mais ces fonctions ne peuvent être remplies par les organes sexuels eux-mêmes, car bien qu'ils soient présents pendant le sommeil sans rêve et dans d'autres états, ils en sont alors incapables.

Telles sont les caractéristiques des organes d'action. Passons maintenant à celles des cinq prâna (courants vitaux).

Prâna est celui qui, agissant sous la direction de Vishishta, sa déité tutélaire, et situé dans le cœur, accomplit les fonctions d'inhalation.

Apâna est celui qui, agissant sous la direction de Vishvashrishtha, sa déité tutélaire, et se situant dans l'anus, assume les fonctions d'expiration.

Vyâna est celui qui, agissant sous la direction de Vishvayoni, et situé à l'intérieur et à l'extérieur du corps, communique la force (ou vitalité) au corps.

Udâna est celui qui, agissant sous la direction d'Aja, sa déité tutélaire, et situé dans la gorge, immerge les organes dans leurs sièges d'origine respectifs pendant le sommeil profond, et les fait se manifester à nouveau dans leurs centres externes, et transmet ces organes aux mondes supérieurs après la mort.

Samâna est celui qui, agissant sous la direction de Jaya, sa déité tutélaire, et situé dans le nombril, digère dans le feu gastrique les quatre sortes de nourriture, celle qui est croquée, avalée, sucée et léchée, et nourrit ainsi le corps.

Ainsi devraient être connus les cinq prâna.

En plus de ceux-ci, on dit qu'il existe cinq sous-prâna dénommés nâga, kûrma, krikara, devadatta et hhananjaya. Ces cinq sous-prâna sont (sans aucun doute) dans les cinq prâna précédemment mentionnés.

Nâga fait vomir, kûrma ouvre et ferme les paupières et la bouche, krikara fait éternuer, devadatta fait bailler, et dhananjaya fait enfler le corps.

Nous allons maintenant décrire les organes internes (antahkarana), le mental inférieur, qui se subdivisent en quatre - manas, buddhi, chitta et ahankâra.

Parmi eux, manas[36], ayant pour déité tutélaire la lune, et situé dans la gorge, accomplit les fonctions de la pensée et de l'imagination.

Buddhi, ayant pour déité tutélaire le Brahmâ aux quatre faces, et localisé sur le visage, produit la certitude de la connaissance.

Ahankâra, ayant Rudra pour déité tutélaire, et situé dans le cœur, produit l'Égoïsme.

Chitta, ayant Vishnu pour déité tutélaire, le seigneur du corps (kshetra-yajna), et localisé dans le nombril, est à l'origine de la mémoire.

Certains textes védiques affirment que le corps subtil que nous venons de décrire se compose de seize organes, et d'autres, dix-sept. Dans le premier cas, les organes internes devraient compter pour un, tandis que dans le second, ils comptent pour deux, manas et buddhi, lesquels devraient inclure chitta et ahankâra. Chaque fois que le corps subtil est dit comporter dix-neuf organes, les organes internes doivent compter pour quatre.

C'est ainsi qu'on devrait comprendre les caractéristiques du corps subtil. Passons maintenant à celles du corps causal (kârana).

Ajñâna (ou avidyâ) est lui-même le corps kârana (causal). Comme ce corps est la cause des deux corps, grossier et subtil, on le qualifie de causal. Ce corps causal étant le premier corps emprunté par les jîva (Egos) et par Îshvara (le Seigneur), il devient la cause des deux autres. Quant à ce point, les preuves suivantes sont avancées :

Les Veda disent : « Ajñâna seul est le corps causal ». La logique exige que l'on infère la cause de ses effets. Dans la vie courante, on peut rencontrer des personnes qui disent : « Je suis quelqu'un d'ajñâna (je suis dépourvu de sagesse) ».

Pour prouver qu'Âtmâ n'a pas les caractéristiques des trois corps, les caractéristiques des trois corps ont été jusqu'à présent étudiées. Nous allons maintenant procéder à l'exposition des caractéristiques d'Âtmâ lui-même.

Tous les Upanishad affirment que Brahma est plénier et tout-pénétrant, et que chaque Âtmâ individualisé (dans un être humain) n'est autre que Brahmâ lui-même. Ainsi, Âtmâ devrait être considéré comme ayant les caractéristiques de Sachchidânanda (Sat, Chit et Ânanda).

Que sont donc Sat, Chit et Ânanda ? Ce qui n'est affecté par aucune chose pendant les trois périodes du temps est Sat (Être-té). La lumière du Soi (ou illumination) est Chit (la conscience). La jouissance du Soi (ou béatitude) est Ânanda. Ainsi, Âtmâ est de la nature de Sachchidânanda.

Le Non-Âtmâ est de la nature de la non-réalité, de l'inertie et de la souffrance. On peut distinguer les caractéristiques d'Âtmâ et du Non-Âtmâ comme suit.

De même que les caractéristiques du mâle ne sont pas celles de la femelle, et vice-versa, les caractéristiques de Sat ne sont pas trouvées dans Asat (non-réalité), et vice-versa. De même que les caractéristiques de la lumière ne sont pas celles de l'obscurité, et vice-versa, les caractéristiques de Chit ne sont pas celles de jada (l'inertie), et vice-versa. De même que les caractéristiques du clair de l'une sont absentes dans la chaleur (du soleil), et vice-versa, de même, les caractéristiques de la béatitude ne sont pas celles de la souffrance, et vice-versa.

Nous allons ensuite expliciter les caractéristiques de Sat, Chit et Ânanda, et de leurs antithèses, la non-réalité, l'inertie et la souffrance.

Sat est cette réalité qui n'est affectée par rien au cours des trois périodes du temps, alors qu'Asat est ce qui paraît réel, bien qu'il ne le soit pas au cours de ces trois périodes, et dont on s'aperçoit, après enquête sérieuse, qu'il est affecté.

On pourrait l'illustrer ainsi. Dans l'obscurité, une personne prend une corde sur le sol pour un serpent, une guirlande, un dénivelé ou un tuyau. La corde maintient son état réel pendant les trois périodes du temps de cette méprise, après et avant celle-ci. L'idée fausse (ou illusion) du serpent, etc., paraît alors réelle à la personne qui voit la corde, aussi erronée et irréelle que puisse être cette idée. Mais dès l'instant où elle reconnaît, dans son mental, ce qu'il en est vraiment, à savoir que c'est une corde, l'idée fausse est affectée (elle disparaît). Les attributs du serpent, etc., ne sont plus trouvés dans la corde, et vice-versa. De même que les objets (de ce monde) diffèrent entre eux par leur sonorité, signification, qualités, apparence et actions dans l'environnement, les caractéristiques de Sat sont totalement différentes de celles du corps et de l'univers, et les caractéristiques d'Asat sont absentes de l'Âtmâ individuel (qui n'est autre que Sat, à savoir, Brahmâ). On devrait distinguer entre Sat et Asat grâce à ces différences de caractéristiques.

Nous allons maintenant procéder à établir la distinction qu'il y a entre chit (la conscience) et l'inertie. Chit (la conscience), brille de sa propre lumière sans l'aide du soleil, ni d'autres lumières, et illumine toute matière inerte qui lui est faussement attribuée. C'est pourquoi chit est cette lumière (de la conscience) qui illumine le soleil et d'autres objets lumineux, ainsi que la terre et d'autres objets non-lumineux. L'inertie est ce qui n'a pas de lumière propre, et qui est incapable d'illuminer d'autres objets.

Voici des exemples de ces deux cas. Le soleil (tel que nous le voyons avec nos yeux physiques) s'illumine lui-même, sans avoir besoin d'aucune autre lumière, ainsi que le pot ou d'autres objets sur lesquels il brille. C'est ainsi qu'on devrait concevoir la lumière (de la conscience) de chit. L’or et les autres objets sont incapables de s'illuminer eux-mêmes, ni d'autres objets ; c'est à cela qu'on devrait reconnaître l'inertie. Donc, comme le soleil et le pot diffèrent l'un de l'autre des cinq façons précédemment décrites, à savoir, la sonorité, etc., c'est ainsi qu'on devrait reconnaître la différence entre les caractéristiques de chit et de l'inertie.

Le résultat de ces investigations convaincra toute personne que tous les changements affectant les objets illuminés de ce monde n'affectent, à aucune des périodes du temps, l'unique substratum (à savoir l'Esprit) qui les illumine tous. Le soleil n'encourt aucune perte, ni ne gagne rien du fait que ses rayons pénètrent par l'ouverture d'un pot, ou éclairent le pot lui-même. Il n'est ni pollué, ni purifié par son contact avec des objets impurs ou purs. Il n'est ni heureux, ni désolé par la beauté ou la difformité d'une chose. Pas plus qu'il n'est surpris, ou non, par la particularité ou la conformité d'une chose. Aucun changement des objets n'affecte le moins du monde le soleil.

De même, les noms, la forme, la caste, la raison sociale, l'aliénation ou la libération des attachements mondains, les interdictions ou les obligations, les six sortes de changement (croissance, etc.), les six infirmités (la faim, la soif, etc.), les six enveloppes, la cécité, la surdité, l'idiotie, l'activité, etc., tous ces changements du corps ou des organes n'affichent aucunement Âtmâ, à aucune des trois périodes du temps. On devrait savoir que cette sagesse spirituelle sera (rapidement et) aisément atteinte si on se montre persévérant.

Telle est la différence entre chit (la conscience) et l'inertie. Passons maintenant à la béatitude et à la souffrance.

La béatitude (ânanda, spirituelle), est ce bonheur qui est sans véhicule, sans surprises et éternel.

La souffrance est de trois sortes : adhiâtmika (ayant le corps pour origine), adhibautika (provenant des éléments), adhidaivika (provenant des Deva, etc.).

La première catégorie comprend les maladies et autres souffrances physiques générées chez les humains par les fluctuations de Vâyu, de la bile et du phlegme dans le corps grossier, et amenées par la gratification des sens.

Adhibautika comprend les souffrances affectant les hommes qui proviennent des éléments, ainsi que des serpents, tigres, etc., composés de ces éléments.

Adhidaivika comprend les souffrances qu'apportent les inondations, sécheresses, la foudre qui s'abat, etc., produites par les Dieux. Nous allons maintenant illustrer la béatitude et la souffrance.

Le nectar, étant toujours dans son état inhérent de béatitude, commun que cette béatitude à ceux qui l'absorbent. Tandis que le poison mortel, qui est toujours dans son état naturel de combustion (générateur de souffrance) produit une sensation de brûlure en ceux qui l'absorbent. De même que le nectar et le poison différent par leurs caractéristiques, des cinq manières différentes décrites précédemment, à commencer par le son, etc., ainsi, on ne devrait pas retrouver les caractéristiques de la béatitude dans les trois sortes de souffrance, et vice versa, d'après les cinq méthodes décrites précédemment, à savoir, le son, etc.

Toutes ces investigations nous mènent à la conclusion suivante : La nature de Sat est semblable à la corde (la réalité) ; la nature de Chit est semblable au soleil, qui brille de lui-même ; la nature de la béatitude est semblable au nectar.

La véritable signification du 'je' est uniquement Âtmâ. Quiconque connaît par l'intermédiaire de son instructeur spirituel, Âtmâ, lequel n'a pas les attributs du corps, des organes ni des autres objets de l'univers, qui sont aussi illusoires que la corde, aussi inertes qu'un pot, et aussi générateurs de souffrance que du poison, celui-là est devenu une personne libérée de tous les attachements mondains ; elle a fait tout ce qui Devait être fait. La conclusion incontournable du Vedanta est qu'elle seule est émancipée.

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Chapitre IX – Âtmâ est un témoin des trois états de conscience

Le chapitre précédent était consacré à l'exposition de la doctrine selon laquelle, parmi les quatre attributs d'Âtmâ, on ne trouve pas les caractéristiques des trois corps. Le présent chapitre exposera la doctrine selon laquelle Âtmâ est le témoin des trois avasthâ (états de conscience). Manas (le mental inférieur ou Ego), présente une prédominance de la guna (qualité) sattva, bien qu'il se compose des trois guna, sattva, rajas et tamas. C'est uniquement par la pure guna sattva que le mental peut connaître Âtmâ, et non par rajas ou tamas. Parmi ces guna, sattva est très subtile, rajas, toujours en perturbation, et tamas, très grossier. Ainsi, de même qu'il est impossible à un gros pilier d'entrer dans une petite fente (ou un trou) à travers laquelle seule la fumée peut passer, de même qu'il est impossible à quelqu'un de déchiffrer des petits caractères à la lumière d'une flamme vacillant dans le vent, de la même façon, il est impossible à un mental grossièrement tamasique, ou à un mental perturbé par rajas, de connaître la nature réelle d'Âtmâ ; seul le pur mental sattvique en est capable. Après ces prémices sur la composition du mental, et sur la façon dont il peut connaître Âtmâ, poursuivons l'étude du sujet traité, à savoir qu'Âtmâ est le témoin des trois états de conscience.

Il y a trois états de conscience, qui sont jagrata (la veille), svapna (le rêve), et sushupti (le sommeil sans rêve). L'état de veille est celui où il y a perception de toutes les choses extérieures du monde, au moyen des organes grossiers (physiques). L'état de rêve est celui où, au moyen des affinités de l'état de veille, l'antahkarana (organe interne) se manifeste lui-même comme le jouisseur et comme ce dont on jouit. L'état de sommeil sans rêve est celui où, après que les mondes grossier et subtil se sont fondus dans leur cause, ajñâna (non-connaissance), il ne reste plus qu'ajñâna qui puisse être discerné par le témoin (Âtmâ, le Soi Supérieur). De ces trois états, Âtmâ est le témoin. Un témoin est une personne qui en observe une autre, ou ses états, ou ses actions dans ses états, sans qu'elle-même en soit affectée. Le témoin peut être comparé à un ascète qui aurait renoncé à toutes les affaires mondaines, et plongé dans un état de silence habituel, regarde sans se sentir concerné un de ses visiteurs, ou ses états, ou ses actions dans ces états. De la même manière, Âtmâ, bien qu'observant les trois états des hommes, ou leurs actions dans ces trois états, ou ceux qui jouissent de ces trois états, n'est pas affecté par ceux-ci.

Nous allions illustrer un tel état de témoin. L'état de veille peut être comparé à une grande ville ; l'état de rêve, aux remparts de cette ville, et l'état de sommeil sans rêve, à son palais central. Le jîva qui préside à ces trois états peut être comparé au roi régnant sur ces trois lieux. Le roi, après être sorti de son palais, avoir franchi les remparts du fort, et expérimenté toutes les choses plaisantes ou déplaisantes de cette ville, se sent heureux, ou malheureux. Il traverse alors à nouveau les remparts du fort pour rentrer dans son palais (central), où, délaissant toute activité (royale), il passe tranquillement le temps à se divertir avec sa reine. Il en va de même pour le Jivâtmâ (l'Ego). Présidant au Corps Grossier à l'état de veille, et y accomplissant ses fonctions au moyen des trois organes, il s'appelle alors vishva ; puis ce même Ego, présidant au Corps Subtil, et jouant des affinités de l'état de veille des trois organes (subtils), le mental inférieur, etc., dans l'état de rêve, porte alors le nom de taijasa ; puis à nouveau, ce même Ego, présidant au Corps Causal, dans l'état de sommeil sans rêve, et supprimant toutes les manifestations des trois organes, s'appelle alors prajña, et jouit d'une béatitude inconditionnelle. Ainsi, cet Âtmâ devrait être connu par l'expérience, l'inférence et le témoignage, en tant que Kûtastha (le Brâhman [Brahmâ]), comme n'étant pas affecté, comme l'âkâsha, et comme l'unique conscience individualisée, qui est le témoin des trois états. Selon les Veda : « Cela (Âtmâ) est le témoin, la Conscience Absolue, et le Un sans guna (qualités). » Les exemples concernant la preuve (de l'existence des trois états) par inférence sont la ville, l'âkâsha, etc., précédemment mentionnés.

Passons maintenant à la preuve (de l'existence des trois états) par l'expérience. Tous les jours, nous nous rappelons des trois états que nous avons traversés la veille. C'est un fait évident (certifié par les Veda), que qu'on ne peut se souvenir que de ce que l'on a déjà expérimenté. De plus, il est certain que nous expérimentons les trois états tous les jours. Ainsi, comme l'Ego expérimente régulièrement les états passés et futurs, il nous faut postuler l'éternité de l'Ego (Âtmâ) qui les vit. C'est ainsi qu'on explique qu'Âtmâ (l'Ego) est le témoin des trois états.

En ce monde, on voit qu'une personne qui est témoin de ces états en fait également l'expérience. Ceci étant posé, comment le témoin (le Soi Supérieur, Brahmâ) de ces trois états pourrait-il être tout à fait différent de celui qui en fait l'expérience ? Celui qui se manifeste dans ces trois états n'est que la conscience qui est reflétée dans les organes internes. Il est irréel. Il se nomme Jîva. Comme il disparaît dans le sommeil sans rêve, en raison de l'absorption des organes internes (qui devraient le refléter), comment peut-il être le témoin de de cet état ? Comme le veut la règle (établie dans les Vedas) selon laquelle il n'y a qu'un seul témoin pour chacun des trois états, Âtmâ, qui se reflète dans les organes internes, devrait être reconnu comme étant le seul témoin de l'état de sommeil sans rêve. Mais il est évident qu'Âtmâ est le témoin des états de veille et de rêve. L'Ego (Jîva), qui subit des changements, ne peut être considéré comme un témoin, tandis que ce terme convient parfaitement pour Âtmâ, qui est immuable. Que le Jîva, l'Ego, est sujet aux changements, cela est évident, comme le démontrent des expressions telles que : « Je suis heureux, je suis malheureux », puisque qu'il (le Jîva) assume des fonctions qui ne sont pas légitimement les siennes, mais relèvent des organes internes. Puisque le Jîva (l'Ego) subit des changements, qui est ce témoin, cet Âtmâ, qui est distinct de l'Ego ? Quelles sont ses caractéristiques ? Quelle est la preuve de son existence ? Quels sont les moyens de le connaître ?

Ce un, inchangeable et indivisible, est le seul témoin. Lui seul est Âtmâ. Il pénètre tout, comme l'âkâsha. Il est de la nature de Sachchidânanda. Lui seul, ayant pénétré dans les organes internes sous forme d'un Jîva, est assujetti à l'existence mondaine. Tous les Veda attestent de l'existence réelle d'un tel Âtmâ Paramârthika (réel). La conscience réfléchie de l'Ego qui préside aux (divers) états (de conscience) est désormais éveillée ; désormais, elle rêve ; elle est maintenant illusionnée par ajñâna dans l'état de sommeil sans rêve ; elle se sent dès lors heureuse ou malheureuse, puis indifférente. Cette personne intelligente qui connait (en tant que témoin) ces différents états (de conscience) de l'Ego, est la seule qui soit Âtmâ. Elle seule devrait être considérée comme le témoin des trois états.

Mais alors, comment Âtmâ sait-il qu'il est immuable ? Bien que l'on soit incapable de voir par soi-même la beauté de son visage, on peut la voir dans un miroir. De même, Âtmâ peut connaître son état immuable à l'aide du miroir des organes internes. Ni le miroir, ni l'image reflétée (dans le verre) n'est capable de distinguer l'image d'origine, et de la même façon, ni les organes internes, ni l'image (le Jîva) qui y est reflétée n'est capable de connaître l'Âtmâ qui s'y reflète. Alors par qui l'Âtmâ est-il connu ? Par aucun d'eux, car Âtmâ brille de lui-même, toutes les choses de l'univers étant de la nature du vu, tandis qu'Âtmâ est celui qui voit. Il ne peut être connu par autre chose que lui-même. Pour l'illustrer, prenons l'exemple d'un pot, qui est visible sur terre : il n'est pas capable de connaître la personne qui le voit, tandis que la personne qui le voit est capable (aussi) de se connaître elle-même, étant la lumière du soi (l'intelligence). Suite à la mort de neuf personnes, une dixième, supposée morte elle aussi (mais vivante en réalité) se connait elle-même, mais ne peut être connue des neuf personnes (décédées auparavant)[37]. (1) De même, Âtmâ (supposé inexistant) devrait être connu comme étant celui qui jouit, et non comme ce dont on jouit, à l'aide des quatre sortes de preuve. Ces preuves sont pratyaksha (perception), anumâna (inférence), upamâna (similitude), et shabda (les textes, l'autorité). Il existe quatre autres sortes de preuve, qui sont arthâpatti (un genre d'inférence), sambhâva (équivalence), idhikya (preuve des Purâna), et anupalabdhi (connaissance de l'existence du non-existant, ou négatif), mais on a considéré que ces quatre dernières sortes sont en général comprises dans les quatre mentionnées ci-dessus avant elles. Certains Vedantins prétendent cependant qu'elles sont au nombre de six.

Cela prendrait beaucoup d'espace si nous devions les étudier ici à fond. Aussi n'expliquerons-nous que ce qui est nécessaire pour traiter le présent sujet. Dans le mot pratyaksha, 'aksha' désigne les organes. Ainsi, la preuve pratyaksha est celle qu'on peut obtenir à partir des organes. L'inférence dérivée de la fumée (qui implique le feu), entre autres exemples, est classée dans la catégorie des preuves par inférence. Celle qu'on obtient par la comparaison est la preuve de la similitude. Seuls les textes sacrés constituent les preuves de type shabda. Comme Âtmâ ne peut être perçu à l'aide des organes, il n'est pas soumis à la preuve de la perception. Il n'est pas non plus assujetti à la preuve par inférence, car il ne se compose pas de parties. Il ne peut être soumis à la preuve de la similitude, car il est sans second. C'est pourquoi, dans le cas d'Âtmâ, la seule preuve est de type shabda (les textes faisant autorité). Les seuls textes (faisant autorité) sont les Âpta Vâkya (les Écritures Sacrées) ; car celui qui dit la Vérité est appelé un Âpta. Comme Îshvara (le Seigneur) est le seul qui dit la Vérité, les Vedas, qui sont les seuls textes rendant compte de ses paroles, sont appelés le Mot. Ainsi, seules les Écritures Sacrées constituent la preuve, dans le cas d'Âtmâ.

Comme dans l'exemple précédent où l'ascète (pratiquant le silence total), tout comme lui, est simplement un témoin, non affecté par le visiteur qu'il voit, ni par ses états, ni par ses actions, de même Âtmâ n'est qu'un témoin, non affecté par Ahankâra (Egoïté) ou par ses états, ses actions ou ses défauts. Quiconque est assez chanceux pour connaître Âtmâ au moyen des Vedas, comme un témoin, non affecté par l'Egoïté, et en tant que Conscience Absolue, celui-là est une personne émancipée. C'est ce qu'affirment les textes védiques. « O homme sage, dans le cas d'Âtmâ, ce sont les textes sacrés qui constituent la (véritable) preuve. Plaçant en eux sa confiance, on devrait savoir qu'Âtmâ est le témoin des trois états qui y sont mentionnés.

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Chapitre X – Âtmâ est distinct des cinq Kosha (ou enveloppes).

Le présent chapitre traitera de la (troisième) caractéristique d'Âtmâ, à savoir, qu'il est autre que les cinq kosha (ou enveloppes). Il y a cinq enveloppes, qui sont annamaya (pleine de nourriture), prânamâyâ (pleine de prâna), manomaya (pleine de manas), vijñânamaya (pleine de buddhi), et ânandamaya (pleine de béatitude). La première enveloppe est le corps grossier, lequel, étant généré par la combinaison de shukla et shonita (les spermes mâle et femelle), puis transformé à partir de la nourriture ingérée, est alimenté par la nourriture, et assujetti aux six sortes de changement (croissance, etc.). La seconde enveloppe est composée des prâna (courants vitaux), associés aux organes d'action. La troisième enveloppe est constituée de manas, associé aux organes des sens. La quatrième enveloppe se compose de buddhi, et des organes des sens. La cinquième enveloppe est associée à la sagesse divine, et a priya (bonheur anticipé), moda (le bonheur provenant de l'acquisition d'un objet) et pramoda (le bonheur provenant de la jouissance de cet objet). Peut à est le bonheur qu'une personne éprouve à la seule vue de l'objet désiré. Moda est le bonheur que procure l'acquisition de cet objet. Pramoda est le bonheur que procure la jouissance de cet objet. C'est ainsi qu'on décrit ces cinq enveloppes.

Elles sont appelées enveloppes (kosha) parce qu'elles enveloppent toutes les cinq Âtmâ, comme le fourreau ou l'étui d'une épée, ou le réceptacle de shiva-linga (la forme pentagonale de Shiva qu'on peut voir dans les temples), ou d'autres idoles, l'écorce extérieure de la mangue, ou le manteau d'une personne. C'est la raison de cette appellation.

À ce stade surgit une difficulté. L'épée d'une part et son fourreau d'autre part (ou tout autre exemple similaire) peuvent exister séparément. Comme les cinq enveloppes n'ont pas d'existence en l'absence d'Âtmâ, et comme il y a donc une différence entre le fourreau d'une épée (ou tout autre exemple similaire) et les cinq enveloppes (de l'homme), comment se fait-il que ces cinq enveloppes puissent masquer Âtmâ ? Les nuages qui proviennent de la transformation des rayons du soleil n'ont pas d'existence véritable séparée des rayons du soleil, et pourtant, ces mêmes nuages voilent le soleil. La fumée qui émane du feu doit son existence au feu lui-même, et pourtant, elle masque le feu. De la même façon, les enveloppes, qui doivent uniquement leur existence à Âtmâ, enveloppent Âtmâ. Or l'épée et son fourreau, bien qu'ils semblent ne faire qu'un, sont en fait différents. De même, Âtmâ et les cinq enveloppes sont différents, tout en semblant ne faire qu'un. Cependant, comme Âtmâ et les cinq enveloppes sont décrits comme agissant ensemble, il nous faut présumer qu'un certain type de relation doit exister entre eux. Et si c'est le cas, comment le terme de niranjana (immaculé) peut-il être appliqué à Âtmâ (dans les Veda), qui est décrit comme n'ayant aucune relation avec quoi que ce soit ?

Il existe différentes sortes de relations. Dans le domaine de la logique sanskrite, il existe deux types de relation, samavâya (association avec, inséparabilité de), et samayoga (relation dissociée). Le premier type de relation est celui qui existe, par exemple, entre une personne et ses membres, ou une personne et ses qualités, entre l'acteur et ses actions, le corps et la caste, ou entre les substances éternelles et leurs propriétés spécifiques. Mais on ne trouve pas ce genre de relation entre Âtmâ et les cinq enveloppes. La relation entre Âtmâ et les cinq enveloppes n'est donc pas du premier type. Le second type de relation est celui qui existe entre le tambour et les baguettes (servant à en battre) ne peut exister entre Âtmâ et les cinq enveloppes, car Âtmâ n'est pas une substance (composée des éléments). Mais la relation entre Âtmâ et les cinq enveloppes est uniquement de type adhiâsa (illusoire, ou surimposée), comme celle qui existe entre la corde et le serpent (pour lequel elle est prise), entre la nacre et l'argent, entre une poutre dans l'obscurité et un voleur, ou entre le ciel et la couleur bleue.

Se pose alors la question suivante : dans cette relation illusoire, l'un est-il dans l'autre, ou sont-ils tous deux à l'intérieur de l'autre (en d'autres termes, l'illusion est-elle causée par l'un sur l'autre, ou est-elle réciproque) ? Il ne peut s'agir que de la deuxième explication, appuyée par le fait qu'Âtmâ et Ahankâra (l'Egoïté étant l'attribut des enveloppes) fonctionnent de concert (et sont pris réciproquement l'un pour l'autre dans le langage courant).

La relation mutuelle illusoire existant entre Âtmâ et l'enveloppe annamaya (de la nourriture) peut être illustrée comme suit. Les gens disent : Je suis un homme, je suis un deva, je suis un mâle, je suis une femelle, je suis né, je vis, je me développe, je change, je dépéris, et ensuite je vais mourir. Et aussi : Je suis un enfant, ou un vieil homme, un brâhmane, je suis un kshatriya (de la caste des guerriers), un vaishya (de la caste des marchands), je suis un shûdra (de la caste la plus basse), je suis célibataire, je suis un père de familles, je vis dans la forêt, je suis un ascète, je suis du pays d'Andhra, de Drâvida ou de  Karnâta, je fais partie des gotra (clan) de Vatsa ou de Kaushika (Rishi Vishvâmitra), je suis Râma, je suis Krishna, je suis Shankara, je suis Mahâdeva, je suis quelqu'un qui a fait un vœu, je suis un pandit, un guerrier ou un glouton. Ici, toutes les propriétés des changements de l'enveloppe annamaya (de la nourriture) sont attribués de manière illusoire à Âtmâ (le 'je'). À l'inverse, les caractéristiques de Sachchidânanda d'Âtmâ sont faussement attribuées à l'enveloppe de la nourriture, comme l'indiquent les exemples suivants : Mon corps existe, mon corps brille, mon corps m'est cher (il me procure du bonheur, ce qui est un attribut d'Âtmâ). Il existe donc une relation mutuelle illusoire entre Âtmâ et l'enveloppe de la nourriture.

Passons maintenant à la relation entre Âtmâ et l'enveloppe prânamaya. Ici-bas, les gens disent : j'ai faim, j'ai soif, je suis fort, je suis brave, je suis l'auteur des actions, je suis celui qui parle, qui marche, celui qui donne et rend heureux, je suis muet, je n'ai pas de mains ou de jambes, je suis un eunuque. Dans ces exemples, les fonctions de l'enveloppe prânamaya sont erronément attribuées à Âtmâ (le « Je »). À l'inverse, les caractéristiques Sachchidânanda d'Âtmâ sont illusoirement imputées à l'enveloppe prânamaya, comme dans les exemples suivants : mon prâna est, mon prâna brille, mon prâna m'est cher. Telle est la relation mutuelle illusoire entre Âtmâ et l'enveloppe prânamaya.

Pour ce qui est de la relation entre Âtmâ et l'enveloppe manamaya (du manas), les expressions suivantes : Je suis quelqu'un qui pense, qui imagine, celui qui souffre, je suis trompé, je désire, je suis un avare, je suis celui qui entend, touche, voit, goûte et sens, je suis sourd, aveugle, etc., montrent que les fonctions de l'enveloppe manamaya sont erronément attribuées à Âtmâ. À l'inverse, on voit que les caractéristiques de Sachchidânanda d'Âtmâ sont faussement attribuées à l'enveloppe manamaya dans les exemples suivants : mon manas est pur, mon manas brille, et mon manas m'est cher. Il y a donc une relation mutuelle illusoire entre Âtmâ et l'enveloppe manamaya.

Passons maintenant à la relation entre Âtmâ et l'enveloppe vijñanamaya (de buddhi). Dans les affirmations suivantes : je suis l'agent, je suis intelligent, j'ai une intelligence aiguë, j'écarte les doutes, je suis quelqu'un qui comprend tout de suite (à la première lecture), j'ai accès aux mondes supérieurs, je suis affecté par râga et par d'autres désirs, je connais les Veda, je suis une personne éduquée, je suis indifférent aux plaisirs des sens, je suis un dévot, je suis un sage, etc., on voit que les fonctions de l'enveloppe vijñanamaya sont à tort attribuées à Âtmâ. À l'inverse, les caractéristiques Sachchidânanda d'Âtmâ sont faussement attribuées à l'enveloppe vijñanamaya, comme le prouvent les exemples suivants : ma buddhi existe, ma buddhi brille, ma buddhi m'est chère. Il existe donc une relation mutuelle illusoire entre Âtmâ et l'enveloppe vijñanamaya.

Au tour de la relation entre Âtmâ et l'enveloppe ânandamaya (de béatitude). Dans ce cas également, on trouve une relation mutuelle illusoire entre Âtmâ et l'enveloppe ânandamaya dans les exemples suivants : Je suis le bénéficiaire, je suis heureux, je suis content, je suis de la nature de sattva, rajas ou tamas, je suis un idiot, je suis un ignorant, une personne vicieuse, je suis seul, je manque de discrimination, je suis victime de l'illusion, etc. À l'inverse, les caractéristiques Sachchidânanda d'Âtmâ sont à tort attribuées à l'enveloppe ânandamaya, comme on peut le voir dans des expressions telles que : ma sagesse est un fait, ma sagesse rayonne, ma sagesse m'est chère (elle me procure du bonheur). Il y a donc une relation mutuelle illusoire entre Âtmâ et l'enveloppe ânandamaya. Nous voyons donc qu'une relation mutuelle illusoire existe entre Âtmâ et chacune des cinq enveloppes.

Toutes ces illusions ont fait leur apparition dans l'homme à cause de son manque de sagesse divine, son manque de discrimination entre Âtmâ et les cinq enveloppes. Un véritable discernement ne peut être obtenu qu'en reconnaissant clairement le fait que dans les phrases : ceci est mon corps, ceci est mon prâna, ceci est mon manas, ceci est ma buddhi, ceci mon âjñâna – comme les mots « ceci » et « mon » ne sont que des créations de l'intellect (buddhi) dues à l'ignorance (âjñâna), les cinq enveloppes qui ont la forme du corps, etc., ne peuvent être Âtmâ, de la même façon que nos vaches, notre fils, nos amis, notre femme, notre maison ou nos biens sont clairement distincts de nous-mêmes. Si l'on poursuit la comparaison, de même que les vaches, etc., sont Non-Âtmâ (différents d'Âtmâ, du « Je »), nous pouvons également en déduire par inférence qu'Âtmâ diffère des cinq enveloppes. Les textes védiques affirment qu'Âtmâ est achârîrika (i.e. sans corps). De même que tous les changements affectant les vaches, comme la croissance, la vieillesse, etc., n'affectent pas leur propriétaire, celui qui les voit, les changements qui se produisent dans les cinq enveloppes n'affectent pas non plus leur témoin, « Âtmâ, le Soi ». Ceci constitue la preuve par l'expérience de la position précédemment adoptée.

Par ailleurs, on pourrait objecter que dans l'exemple précédent des vaches, etc., comme il s'agit d'objets de perception extérieure, nous pouvons aisément les reconnaître, tandis que les principes qui représentent (Âtmâ et les cinq enveloppes), ne se manifestent qu'intérieurement et ne peuvent être reconnus (correctement) par l'intelligence. De plus, contrairement aux vaches, etc., que nous pouvons percevoir comme effectivement séparés, les cinq enveloppes semblent ne faire qu'un avec Âtmâ, comme l’incandescence et la chaleur interne d’un boulet de canon. Il y a donc une grande différence entre les choses représentées et les exemples proposés. Ainsi, comment peut-on savoir si les cinq enveloppes sont différentes d'Âtmâ ? La vision extérieure fait appel à l'œil, tandis que la vision intérieure se sert de buddhi [discernement]. Même les objets qui ne peuvent être appréhendés par la vision extérieure peuvent être connus au moyen de la vision intérieure. De même que nous sommes incapables de faire la distinction, uniquement à l'aide de l'œil, entre le violon que nous pouvons voir et le son qui en émane, ou entre l'eau que nous voyons et la chaleur qu'elle renferme, ou entre les fleurs et leur parfum, la différence entre le violon et sa tonalité, etc., peut être aisément discernée par quelqu'un d'intelligent à l'aide des autres organes comme l'oreille, etc. Un Hamsa (cygne)[38] peut facilement séparer l'eau du lait, bien que ce soit impossible pour d'autres. Bien qu'il soit impossible pour des personnes à l'intelligence grossière de distinguer entre Âtmâ et les cinq enveloppes, c'est chose facile pour des gens à l'intelligence subtile, spirituelle.

La conclusion à laquelle parviennent les passages védiques est la suivante : jusqu'à présent, l'existence des cinq enveloppes et une appréhension correcte de celles-ci (à partir d'Âtmâ) ont été étudiées, en assumant que cet univers (présumé réel), existe (uniquement) dans le mental de ceux qui sont les (produits des) affinités du temps (viz., des précédents manvantara, ou des précédentes naissances). Une enquête sérieuse sur l'exacte vérité nous montre que les cinq enveloppes ne sont pas (réellement) dans Âtmâ. Prendre un serpent pour une corde, de la nacre pour de l'argent, ou une poutre de bois pour un voleur, tout cela n'est dû qu'à une apparence trompeuse, mais n'a pas d'existence réelle au cours des trois périodes du temps de la Réalité (Une). Les cinq enveloppes, comme le serpent, l'argent, etc., sont des attributs illusoires d'Âtmâ, et ne sont donc pas réelles. Dans ce monde, il est certain que ce qui se surimpose à quelque chose n'a pas de réalité. Comme le fait d'attribuer deux lunes (qui n'existent pas) à la terre, etc., on attribue faussement les cinq enveloppes à Âtmâ, or elles sont fausses. Lorsqu'on en vient ensuite à réaliser la vérité que la chose qu'on prenait auparavant pour un serpent est une corde, l'illusion du serpent disparaît ; il en va de même pour la connaissance de la réalité d'Âtmâ, l'illusion des cinq enveloppes et de l'univers disparaît.

Or, même lorsqu'apparaît la véritable connaissance d'Âtmâ, les cinq enveloppes ne périssent pas entièrement, mais elles continuent de se manifester, comment peut-on donc affirmer qu'elles sont illusoires ?  En ce monde, Sat est de trois sortes, prâtibhâsika (reflétée), vyavakarika (mondaine) et paramârthika (réelle). D'autre part, la Création (ou l’Évolution) est de deux sortes, jîva (microcosmique) et Îshvara (macrocosmique). De celles-ci, la création jîva, qui est aussi illusoire que la confusion entre la nacre et l'argent, se range dans la catégorie Sat prâtibhâsika. Âkâsha et autres, sièges de la création jîva, sont de type Sat vyavakarika, et c'est dans cette catégorie que vient se ranger la création Îshvara. Ce Brahmâ, qui est aussi le siège d'Îshvara, est appelé Sat paramârthika (réel). C'est lui qui est éternel. Tant que des actions seront perpétrées en ce monde, Sat vyavarika (l'univers) perdurera ; tant que survivra prâtibhâsika (les Ego), Sat prâtibhâsika se maintiendra. Bien que prâtibhâsika et vyavarika se ressemblent en ce qu'ils sont tous deux illusoires, ils diffèrent pourtant l'un de l'autre par la durée de leur existence (le second survivant au premier). Si vyavarika devait également périr, comme prâtibhâsika, grâce à la sagesse d'Âtmâ (sagesse atmique), il n'y aurait plus personne qui détienne la sagesse atmique, ni de jîvanmukta (personnes émancipées). Le système d'initiation (à la sagesse spirituelle) du disciple par un guru, et la longue lignée des maîtres et des disciples cesserait d'exister, dans la mesure où il serait alors impossible aux sages d'initier, sans actions, les ignorants.

Un pot, avec son col, son réservoir, etc., bien qu'étant seulement une apparence trompeuse en terre, continue d'exister en tant que tel tant que son col, etc., façonnés par le potier, perdurent. De même, les cinq enveloppes, qui ne sont qu'une apparence illusoire d'Âtmâ, malgré le fait qu'on les sache illusoires, paraissent réelles, comme un morceau d'étoffe qu'on brûle, tant que prârabdha (le Karma passé récolté actuellement) perdure. Que dire de plus les concernant ? (Je conclurai donc ainsi ce sujet) : La conclusion finale et indubitable du Vedanta est que, comme la terre subsiste seule au nom et à la forme du pot, qui ne sont que des apparences trompeuses, de même, seul le Sachchidânanda d'Âtmâ survit vraiment quand les cinq enveloppes, attributs illusoires d'Âtmâ, ont été annihilés par la sagesse atmique. Quiconque connaît ainsi, connaît Âtmâ, il est un connaisseur de Brahmâ, lui seul sera émancipé dans son état désincarné. C'est ce que proclament unanimement tous les Upanishad.

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Chapitre XI – Âtmâ a les caractéristiques de Sat (Être-té), Chit (Conscience), et Ânanda (Béatitude).

OM ! Dans ce onzième chapitre, nous allons maintenant traiter de la quatrième caractéristique d'Âtmâ, à savoir celle de Sachchidânanda. Quelle est la nature du Sat d'Âtmâ ? Qu'est-ce que son Chit ? Et qu'est-ce que son Ânanda ?

La caractéristique de Sat est de garder la même nature, sans être affecté par quoi que ce soit, au cours des trois phases du temps. On la trouve en Âtmâ. Sur ce point, les autorités affirment que « Seul Sat a précédé l'évolution de cet univers », « d'Âtmâ fut produit l'Âkâsha », et autres passages similaires du Vedanta. L'expérience de tous les hommes constitue également une preuve. Cette expérience est la suivante. Toutes les personnes, qu'elles soient riches ou pauvres, accomplissant du karma, dévotes ou aspirant à l'émancipation, décrivent ainsi leur expérience[39].

L'expérience de l'homme riche est la suivante : « Dans ma précédente incarnation, j'ai investi au moins une partie de ma richesse dans des personnes et des objets qui en valaient la peine, et c'est pourquoi je jouis aujourd'hui d'une telle fortune. Si dans cette vie j'agis de même, je serai riche dans la prochaine. »

L'expérience du pauvre est ainsi décrite : « Comme dans ma précédente incarnation je n'ai consacré aucune partie de mes biens à des objets ou des personnes qui le méritaient, je suis pauvre aujourd'hui. C'est pourquoi je donnerai dans cette vie à ceux qui le méritent, afin de ne plus souffrir de la pauvreté dans la prochaine. »

L'expérience de celui qui accomplit des actes (religieux) est la suivante : « En raison du bon karma (des rites religieux) accompli précédemment, mes tendances actuelles me poussent, par affinité, vers ces mêmes activités. Ainsi, à force de persévérance dans la même direction, je serai un deva (un ange céleste) dans ma prochaine vie. »

L'expérience du dévot est la suivante : « Grâce aux affinités que j'ai générées dans ma vie précédente, où je me suis engagé dans l'adoration de Dieu, je continue aujourd'hui sur la même voie ; ainsi, par cette même dévotion à Dieu dans cette vie, je parviendrai, dans la prochaine, à l'émancipation de salokatâ[40] (dans le même monde que Vishnu, le Seigneur), dans le monde de Vikuntha, entre autres. »

Un aspirant à l'émancipation spirituelle décrirait ainsi son expérience : « Dans de nombreuses vies antérieures, j'ai accompli des actes sans me préoccuper de leurs fruits, les offrant à Îshvara, le Seigneur. Grâce à cela, j'ai pu accéder dans cette vie aux quatre moyens de rédemption[41], un guru spirituel parfait, la sagesse atmique, grâce à l'écoute, etc., des Vedanta. Je ne renaîtrai plus désormais. J'ai fait tout ce qu'il fallait pour cela. »

Ainsi, l'expérience humaine nous montre que le « Je » (ou Ego) persiste au cours des trois phases du temps, tandis que le corps, erronément imputé à Âtmâ, subit la destruction et le Non-Âtmâ. Comme Âtmâ reste de la même nature immuable au cours des trois phases du temps, il présente la caractéristique de Sat.

Même quand on lui applique le test de la preuve par inférence, on découvre qu'Âtmâ a la nature de Sat. Quand on pose la question de savoir si les hommes sont ou non dans ce monde, tous répondent : « Je suis ici ». Force-nous est bien de reconnaître que nous sommes dans ce monde. Mais dans ce cas, ce corps nous appartient-il, ou pas ? Comme le corps existe, nous en avons tous un, aucun n'en est privé. D'où ce corps provient-il ? Après enquête, nous voyons que ce corps provient certainement de karma. Ce karma à l'origine du corps nous appartient-il, ou appartient-il à d'autres ? De toute évidence, il n'appartient qu'à nous-mêmes, car personne ne peut jouir du svarga (devachan) grâce au karma de quelqu'un d'autre. Sinon, nous devrions accéder au ciel par le karma de quelqu'un d'autre. Il en résulterait, par exemple, qu'un shûdra irait au ciel grâce au sacrifice fait par un brâhmane. Tous devraient être sauvés par le samâdhi (la transe spirituelle) d’un sukha, un Rishi de Brahmâ (fils de Veda-Vyâsa). Or ce n'est pas le cas. Il faut donc reconnaître que seul notre propre karma donne naissance au corps, le karma qui a généré ce corps ayant été produit dans une vie antérieure, au moyen d'un autre corps ; le karma qui a généré le corps de cette vie précédente ayant été produit dans une autre vie antérieure précédant celle-là, et ainsi de suite. Après investigation, nous constatons que karma et le corps sont sans commencement, et de la nature d'un flux (incessant), dont l'origine est inconnue. Il est donc certain qu'Âtmâ, qui présente un karma et un corps est, de par sa nature, sans commencement, comme l'Âkâsha. Nous avons donc démontré par inférence qu'Âtmâ est Sat dans les périodes passées et présentes.

Nous allons maintenant démontrer par inférence que l'état d'Âtmâ est également Sat dans le futur. Cette naissance, et le corps que nous y possédons aujourd'hui, sont dus au karma généré par shrâvana (l'écoute), etc., dans nos vies passées, où nous croyions que seuls ces karma étaient essentiels. De même, le karma que nous produisons actuellement entraînera notre prochaine naissance, et celui produit dans la vie suivante en génèrera encore une autre. Si nous poursuivons nos investigations, nous découvrons que le courant de karma, ainsi que celui du corps, ne cesseront pas dans l'avenir. Cependant, il est possible de mettre un terme à karma, grâce à tattva-jñâna[42]. Le corps cesse alors d'exister. Ceci étant, tant qu'on n'a pas atteint la sagesse brahmique, Âtmâ, qui est lié à ces deux entités (que sont le karma et le corps), expérimente la naissance et la mort du corps, et également ses plaisirs et ses souffrances, au cours de son existence, et il est toujours trompé, depuis les états de Brahm [Brahmâ] jusqu'à ceux des objets inanimés, mais il ne périt jamais. Puis, lorsqu'apparaît tattva-jñâna, comme le karma de la nature d'avidyâ disparaît, ainsi que toutes les causes de souffrance, il (Âtmâ) jouit de la félicité de sa propre réalité et baigne dans le bonheur, ayant atteint le salut à l'état désincarné. Il est donc clair qu'il n'existe rien de tel qu'une négation d'Âtmâ, pas même dans le futur. Nous avons donc démontré par inférence qu'Âtmâ persiste à jamais. Puisqu'il existe pendant les trois phases du temps, et qu'il garde vraiment la même nature, sans être affecté par quoi que ce soit, il est certain qu'il persiste toujours. Ainsi, la conclusion qu'il nous faut tirer (des procédés mentionnés plus haut) des Écritures, de l'expérience et de l'inférence, c'est que, tandis que les mondes vont et viennent, subissent des déluges (par le feu et par l'eau), seul Âtmâ demeure à jamais immuable, et la création, la préservation et la destruction ne peuvent concerner que le cosmos, et non Âtmâ. Ce qui précède démontre amplement qu'Âtmâ seul est Sat.

Nous allons maintenant expliquer la seconde caractéristique d'Âtmâ, à savoir, chit (la conscience). Chit a pour caractéristique de briller de sa propre lumière, sans nul besoin d'autres objets lumineux tels que le soleil, etc., et d'illuminer tous les objets inertes, qui sont uniquement attribués à Âtmâ par erreur. C'est cette caractéristique que l'on trouve en Âtmâ, qui émet sa propre lumière, même dans l'obscurité la plus complète, sans l'aide de rien d'autre. Sans l'aide d'aucun autre, il distingue clairement les trois états du corps, à savoir, la croissance, la maturité et la vieillesse, ainsi que ses fonctions, qu'on lui (à Âtmâ) attribue à tort. Il est donc certain qu'Âtmâ présente la caractéristique de chit.

La question suivante se pose alors : n'étant pas omniscients, comment pouvons-nous affirmer que nous sommes capables de mettre en lumière (ou de connaître) tous les objets ? L'univers est de deux sortes, interne et externe. Ces deux sortes sont uniquement illuminées par nous, mais ne peuvent en aucun cas nous illuminer. L'univers externe est à l'origine de nombreux noms, formes, qualités, propriétés et actions, tels que (les cinq éléments) la Terre, l'Eau, le Feu, vâyu et l'âkâsha ; (leurs propriétés) le son, le toucher, la forme, le goût et l'odeur ; les éléments quintuplées, l'Œuf de Brahma, les quatorze mondes, et les quatre sortes de corps grossier (ceux nés de l'œuf, ceux nés de la sueur, ceux nés d'une semence et ceux nés d'une matrice). Cet univers externe est encore plus diversifié, de nombreuses autres façons, comme en rendent compte les livres ; mais il n'a jamais conscience de nous. Si nous pratiquions l'introspection pour mener notre enquête, nous verrions que nous sommes les seuls à illuminer cet univers (externe).

L'univers interne comprend l'ensemble des divers états, de celui de l'enveloppe de la nourriture, jusqu'au stade de la libération de l'Ego. L'univers interne comprend donc les différences des cinq enveloppes – celle de la nourriture, celle du prâna, du manas, de vijñana, et celle d'ânandamaya ; les trois corps - grossier, subtil et causal ; les six changements, les six Enveloppes, les six États (croissance, etc.), la surdité, l'inertie, l'activité, le désir et la haine ; les trois organes, les organes internes ; les trois avasthâ (ou états) – la veille, le rêve et le sommeil sans rêve ; les cinq organes des sens, les cinq organes d'action, les cinq prâna ainsi que les cinq sous-prâna, manas, buddhi, chitta et ahankâra, ainsi que leurs fonctions, qui sont le doute, la certitude, la versatilité et l'Egoïsme, vishva, taijasa et prajña, et leurs différents avasthâ (états), pratubhâsika, vyavakarika et paramârthika ; sattva, rajas et tamas ; le bonheur et la souffrance, la sagesse et son absence, l'amour et son absence, l'indifférence ; les quatre moyens de rédemption, les quatre débuts de l'amitié, etc. ; le Yoga et ses huit parties, l'écoute, etc., la contemplation et la réflexion, Samâdhi, la preuve et l'absence de preuve, la certitude produite par la preuve, les trois sortes de souffrance, la maladie mentale, le plaisir, la dévotion, l'indifférence, le mutisme, l'ardeur, l'ardeur excessive, la contemplation avec et sans forme ; la destruction du mental inférieur et de ses affinités, et la libération, dans les états incarnés et désincarnés. Ayant différencié tous ces états dans l'univers interne, qui est la source des changements de nom, de forme et de qualités, nous devrions les connaître, mais eux ne peuvent nous connaître. Après avoir ainsi bien approfondi notre recherche, nous connaissons l'univers interne. Ainsi, puisqu'Âtmâ présente aussi les caractéristiques de chit, il est de la nature de chit.

On a insisté précédemment sur le fait qu'Âtmâ est de la nature de chit, et ne peut être connu par aucun autre. Est-ce que manas (le mental inférieur), qui connaît tout, peut également connaître Âtmâ ? Manas est soumis à la naissance et la vieillesse, il est de de la forme de sankalpa (la pensée), il est limité, se compose des cinq éléments, comme un pot, il subit des fluctuations sous l'action des désirs, etc., il mémorise et il oublie. Avec une telle constitution, manas devrait être considéré comme inerte, et n'ayant pas de lumière propre. Et ce manas est également connu de chit. Donc comment ce manas, inerte, pourrait-il connaître l'Âtmâ de la conscience, qui brille de lui-même ? On doit donc savoir qu'il ne le peut jamais.

Comment peut-on alors harmoniser cela avec le passage suivant des shruti : « Il (Âtmâ) devrait être connu uniquement par le manas. » ? Une splendeur (jaune) émane de l'or jeté dans un creuset pour être purifié. D'où vient cette lumière ? Est-elle inhérente à l'or lui-même, ou a-t-elle été produite par le feu ? Nous voyons clairement qu'elle est due à l'éclat naturel de l'or, le feu n'étant que le moyen utilisé pour le nettoyer de ses impuretés. Aucun éclat supplémentaire ne lui est donné, il brille de par sa nature réelle. Si cet éclat était dû au feu, des pots placés dans un foyer produiraient le même effet, or ce n'est pas le cas. De la même manière, le mental qui a assumé la nature d'Âtmâ et qui s'est mélangé à la réflexion d'Âtmâ, libère Âtmâ de la fausseté d'ajñâna sans commencement, qui le masque. Lorsqu'ajñâna est éliminée, notre Âtmâ brille de lui-même (dans son état véritable). C'est ce que signifie le passage des shruti cité précédemment : « C'est uniquement par manas (le mental inférieur) qu'Âtmâ devrait être connu. » C'est donc Âtmâ qui connait le mental, et non le mental qui connaît Âtmâ.

L'analogie suivante illustrera mieux notre position. Une pièce dont l'obscurité est chassée par la lumière d'une lampe ne pourrait être éclairée par la lampe seule, l'huile seule, ou la mèche seule, il faut qu'elles agissent de concert. De même Agni (le feu), latent partout (en tant que luminosité), est incapable à lui seul, sans l'aide des trois choses précédemment mentionnées, de chasser l'obscurité. Ce n'est que lorsque le feu et ces trois objets sont réunis qu'on peut parler de la « lumière de la lampe », laquelle vient à bout de l'obscurité. De la même manière, dans la lampe du Corps siège Âtmâ, qui est de la nature d'Agni, et qui ne fait qu'un avec manas, qui a la forme de la mèche, laquelle est nourrie par l'huile du Karma - lequel réside dans la lampe du corps. Âtmâ, s'étant identifié avec le mental de tous les êtres, éloigne l'obscurité d'ajñâna, qui masque toute chose, et il illumine tous les objets externes et internes, comme une lampe éclaire les pots et autres objets. Ainsi, une lampe, par sa propre lumière, s'éclaire elle-même, mais également tous les objets placés dans son champ. De même Âtmâ, chevauchant l'antahkarana (les organes internes, ou mental inférieur) illumine non seulement lui-même, en vertu de sa propre conscience, mais également tous les objets externes et internes qui lui sont associés. Nous avons donc ainsi amplement démontré qu'Âtmâ est de la nature de chit.

Passons maintenant à la caractéristique ânanda (béatitude). Ãnanda est cette béatitude éternelle, sans upâdhi (véhicule), et sans surprise (sans à-coups). C'est la nature réelle d'Âtmâ. Mais le bonheur qui provient d'objets tels que les fleurs, le santal, les femmes etc., étant temporaire et dépendant d'un véhicule (upâdhi), et d'à-coups, ne peut être appelé la béatitude d'Âtmâ. C'est donc la béatitude mentionnée en premier lieu qui est celle d'Âtmâ. Dans le sommeil sans rêve, où l'on trouve la caractéristique de la béatitude, on devrait la considérer comme étant (ou relevant du) uniquement le « Je ». Mais on pourrait alors objecter que dans cet état, on est seulement libéré des souffrances, et qu'on ne jouit pas de la félicité. Après avoir dûment enquêté, on s'aperçoit que la béatitude caractérise cet état, car au réveil, certaines personnes déclarent avoir dormi « comme des bienheureux », démontrant ainsi l'existence de la béatitude dans cet état. Il est donc évident que les hommes font l'expérience de la béatitude dans leur état de sommeil sans rêve. Si l'on pose la question de savoir si, dans le sommeil sans rêve, la béatitude présente les trois caractéristiques de l'inconditionnalité, de l'absence de véhicule et d'irrégularités, nous devons répondre par l'affirmative.

Étudions d'abord l'absence de véhicule de cette béatitude. Les fleurs, le santal, les femmes, entre autres, sont des upâdhi (ou moyens) de jouissance. D'où la qualification d'aupâdika (procurée par un moyen) qui est appliquée à la félicité obtenue par leur entremise. Aucun de ces moyens de jouissance ne s'observe dans le sommeil sans rêve, et pourtant cette félicité est ressentie par tous. On peut donc considérer que la béatitude éprouvée dans le sommeil sans rêve est dépourvue de véhicule.

Passons à l'absence d'à-coups dans la félicité. (D'après l'Upanishad Taittirîya) Il existe onze degrés de félicité, en partant de celle des hommes, jusqu'à celle d'hiranyagarbha (Brahmâ). Chacun de ces degrés vaut cent fois celui qui le précède. Ces sortes de bonheur (qui sont susceptibles de varier) peuvent donc nous surprendre. Mais cette béatitude suprême de Brahmâ est sans surprise (absolue), parce qu'elle est illimitée, et que rien ne la surpasse. Cette béatitude de Brahmâ n'est autre que celle dont on jouit dans l'état de sommeil sans rêve. Il est donc certain que ce dernier est également sans à-coups. En ce monde, toutes les personnes qui pensent que le bonheur éprouvé dans l'état de sommeil sans rêve est le seul véritable, par rapport à celui que procurent les objets des sens, jouissent de la félicité de cet état en s'allongeant sur des lits moelleux, etc., au prix de grands efforts, après avoir même renoncé au bonheur que leur procurent leur femme, leurs fils, etc. Quelqu'un éprouvant cette félicité, et qui serait dérangé dans cet état, même par sa femme, aussi séduisante et fascinante fût-elle, pourrait aller jusqu'à la frapper. Dans cet état, il n'a besoin de rien. Et une personne réveillée de cet état se remettra même au lit, afin de pouvoir en jouir à nouveau. On devrait donc considérer que la béatitude dans l'état de sommeil sans rêve est sans à-coups.

Étudions à présent l'aspect éternel de cette béatitude. Comme différents degrés de bonheur sont éprouvés à l'état de veille et à l'état de rêve au moyen de divers objets, ces derniers sont conditionnés, car distincts (à cause du bonheur et de la souffrance). Tandis que le bonheur de l'état de sommeil sans rêve est absolument continuel, c'est une plénitude qui n'a point besoin d'être recréée. Or si cette félicité est éternelle, on devrait également la retrouver dans les états de veille et de rêve. Mais ce n'est pas le cas. À cela, nous répondons : cette félicité existe aussi à l'état de veille et à l'état de rêve. Mais on n'en jouit pas dans ces états, car elle est masquée par les actions (des organes internes). Comment les actions des organes internes, qui ne sont que des effets, peuvent-elles donc envelopper leur cause, à savoir la félicité ? Comme les nuages qui entourent le soleil (qui est leur cause), ou la fumée, le feu, ou le serpent, la corde, les actions des organes internes enveloppent leur cause, la béatitude de Brahmâ, bien qu'elles n'en soient que des effets. Bien que les ignorants, ou les jeunes, ne voient (dans les apparences extérieures) que la cendre (fumante) contenant du feu à l'état latent, ou le gel qui masque le soleil situé derrière lui, une personne capable d'un véritable discernement distingue, au-delà de ces apparences (la cendre, le gel), le feu et le soleil. De même, à ceux qui ne disposent que de la vision extérieure, la béatitude de l'état de sommeil sans rêve, ou Brahmâ, sera voilée par les états de veille et de rêve, tandis que ce ne sera pas le cas pour les sages ayant développé leur vision intérieure. On observe que les personnes introspectives, étant de la nature de la béatitude, présentent cette nature pendant les trois phases du temps. Il est donc évident que la béatitude de Brahmâ et celle de l'état de sommeil sans rêve, qui n'est autre que la première, sont éternelles.

Ainsi, les trois caractéristiques de la béatitude de Brahmâ, à savoir, l'éternité, l'absence de véhicule et l'absence d'à-coups sont également des jouissances pour nous, nous sommes également de la nature de la béatitude. Comme la caractéristique de Sachchidânanda (Sat, Chit et Ânanda) existe également en nous, selon l'autorité, la logique et l'expérience, on doit donc considérer que nous détenons également le Sachchidânanda de Brahmâ.

Comment peut-on donc avoir personnellement conscience de n'être rien d'autre que Sachchidânanda ? Après avoir entendu de manière certaine, de la bouche d'un guru, les véritables passages des shâstras du Vedanta, et les avoir vérifiées au moyen des six méthodes (mentionnées à la fin du chapitre cinq), après en avoir fait le matériau de son cerveau, y avoir réfléchi à partir de différents points de vue, et être resté dans cet état d'esprit pendant longtemps, on obtient la sagesse spirituelle dans laquelle on réalise qu'on est uniquement le Sachchidânanda de Brahmâ. C'est ce qu'on appelle la sagesse indirecte. Cessant alors de se livrer même aux actions relatives à cette sagesse indirecte, et abandonnant tout abhimâna, comme le fait d'affirmer « Je suis celui qui agit, c'est mon karma ; je suis de telle caste, rang social, etc. », par exemple, et ayant abandonné ne serait-ce que la pensée de se réjouir en disant « Je suis Brahmâ », et « Brahmâ est moi », ainsi que tout effort dans cette direction, et toute (pensée d') intervention en ce sens, on se retrouve dans cet état de silence permanent, sans aucune envie pour les objets, tel que celui rencontré dans le sommeil sans rêve, quand les organes internes se retrouvent immergés en Brahmâ, comme le sel dissout dans l'eau ; alors, dans ce mahâtmâ (grande âme), dans cet état supra-excellent, survient d'elle-même cette Divine Sagesse supra-excellente. Il s'agit de la connaissance de la sagesse directe. Ce n'est que lorsque survient cette connaissance de soi que l'on connaît sa propre réalité. Alors seulement on est de la nature de la béatitude elle-même. Lui seul, et personne d'autre, peut connaître la gloire de cette béatitude. Le Vedanta, qui traite de cette félicité, est incapable de la connaître ou de la décrire. Même si cette personne exaltée qui l'expérimente peut en jouir, elle ne sera jamais capable de la décrire à quelqu'un d'autre, ou d'y penser avec son mental, car elle est semblable au bonheur vécu pendant le sommeil sans rêve (les trois distinctions entre connaisseur, connu et connaissance ne faisant plus qu'un). Il n'est plus alors capable que de vivre cette béatitude. Même Îshvara (le Seigneur), qui nous vient par sa grâce déguisé en instructeur, pour initier les êtres au sentier supérieur, n'est pas capable de décrire cette béatitude de Brahmâ. Un tel grand personnage, possédant cette connaissance de soi, peut parfaitement errer sur terre sous l'apparence d'un pauvre ignorant.

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Chapitre XII – Dialogue entre le guru et le disciple concernant les mystères ultimes

OM ! Dans ce douzième chapitre, le guru initie par sa grâce son disciple aux mystères de ce Un sans parties.

Le disciple : Ô Maître, sous l'effet des instructions que vous m'avez communiquées dans les onze chapitres précédents, l'identification du « Je » et du « mien » avec les cinq enveloppes, à commencer par le corps (grossier), etc., a disparu. J'ai également atteint cette conscience atmique selon laquelle je ne suis autre que Brahm, c'est à dire de la nature de Sachchidânanda, qui illumine notre intelligence. Tous les doutes concernant cela ont été écartés. Mais un doute s'attarde encore dans mon mental. Il a été dit qu'Âtmâ est de la nature de sat, de celle de chit, et de celle d'ânanda (béatitude). Ces trois mots, qui désignent trois caractéristiques différentes, semblent avoir trois significations différentes. Dans ces conditions, comment peuvent-ils s'appliquer à l'Un sans parties ?

Le guru : Ô Fils[43], sachez que le Un sans parties est-ce Un indivisible, qui n'est pas soumis aux limitations de lieu (de l'espace), de temps ni de substance[44] (c'est à dire infini, éternel et absolu). Ces trois caractéristiques doivent nécessairement être postulées quant à ce Un sans parties (Brahm). Comme l'élément de l'âkâsha pénètre tout, ce dernier n'est pas soumis aux limitations de l'espace. C'est pourquoi nous devons attribuer l'infinité à Brahm, afin d'éviter l'erreur de redondance (d'ativyâpti), (et faire la distinction entre Brahm et l'âkâsha). Comme l'âkâsha a une origine et peut être détruit, il est soumis aux limitations du temps. Ainsi, il n'y a pas de redondance avec l'âkâsha, quand on dit que Brahm est indépendant du temps et de l'espace. Si l'on dit seulement que Brahm n'est pas soumis au temps ni à l'espace, une redondance se présente aussi en ce qui concerne le temps. Le temps n'est pas soumis aux limitations de l'espace, pas plus qu'il n'est dépendant du temps (de lui-même), car il est impossible qu'il se circonscrive lui-même. C'est pourquoi il est dit que Brahm n'est pas soumis aux limitations d'une substance (elle lui est indifférente). Comme en dehors du temps, d'autres choses existent, il est limité par la substance (donc il n'est pas absolu). Ainsi (en attribuant les trois à Brahm), toute redondance est évitée. C'est pourquoi Âtmâ (Brahm) n'est pas soumis à ces trois limitations. C'est la raison pour laquelle ces trois caractéristiques lui sont attribuées (à Brahm, ou Âtmâ). On devrait concevoir Âtmâ uniquement par elles.

Le disciple : Démontrez-moi, s'il-vous-plaît, que ces trois caractéristiques (mentionnées précédemment) ne font qu'un en Âtmâ, Âtmâ n'étant pas composite. Pourtant on ne les trouve pas en Âtmâ, ainsi, tout le monde dit : « Je ne suis pas dans ce pays ; je n'étais pas dans ce pays. » Dans cette expérience (des gens), Âtmâ n'est pas indépendant des limitations de l'espace. Dans le vécu des gens qui disent : « Je suis né en telle année », ou « Je vais mourir dans dix ans », etc., Âtmâ ne semble pas indépendant des limitations du temps. Et lorsqu'on affirme : « Je ne suis pas un brahmane, je ne suis pas un kshattriya, etc., ... », on pourrait penser qu'Âtmâ n'est pas indépendant de la substance (d'une personne). Comment se fait-il donc que l'on dise qu'Âtmâ n'est pas soumis à ces trois limitations ?

Le guru : Dans le onzième chapitre, lorsqu'on vous a expliqué les caractéristiques d'Âtmâ et du Non-Âtmâ, ne vous avons-nous pas dit qu'Âtmâ est plénier (non composite), que le Non-Âtmâ est divisible, et que toutes les choses autres (qu'Âtmâ) ne sont que des illusions ? Malgré cela, vous nous questionnez maintenant sur les caractéristiques d'Âtmâ. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes demandé si vous étiez un disciple bona fide (de bonne foi), ou simplement un contestateur querelleur. Si vous êtes un disciple, nous allons vous l'expliquer à nouveau. Si vous êtes un accusateur, il ne nous reste plus qu'à nous taire patiemment, ou à vous maudire, sous l'emprise de la colère. Il est certain qu'en matière d'initiation, notre bénédiction a des effets sur un disciple, et il s'ensuit, a fortiori, qu'une imprécation aura également un impact sur un accusateur. Sachez aussi qu'il n'y a pas, en ce monde, de réelle différence entre un brahmajñâni (un connaisseur de Brahm) et Îshvara (le Seigneur) en ce qui concerne leurs pouvoirs de bénir ou de maudire quelqu'un.

Le disciple : Ô le plus sage des Maîtres, qui êtes un dieu, traitez-moi seulement comme un fidèle disciple, digne de votre grâce. Je vous pose la question uniquement en raison du doute, et non par impertinence.

Le guru : Nous allons donc vous l'expliquer à nouveau. Les trois limitations de l'espace, du temps et de la substance ne s'appliquent qu'au corps, et non à l'Âtmâ plénier. Nous illustrerons d'abord le fait que les limitations de l'espace ne concernent pas le cas du pratyagâtmâ (le soi), le Brahm plénier. Comme on peut le déduire des expressions suivantes : « le pot existe, le mur existe, l'image existe, le grain, la terre, l'eau existe, tejas (le feu) existe, vâyu existe, l'âkâsha existe... », cet univers composé des éléments est éprouvé en tant que Sat ; c'est pourquoi Âtmâ (dont l'univers est issu) est infini. Ainsi, Âtmâ, pénétrant tout, n'est pas soumis aux limitations de l'espace. De même, on peut inférer des précédents exemples qu'Âtmâ n'a pas de commencement. Comme il est éternel, il n'est pas soumis aux limitations du futur. Étant le même dans le passé et dans le futur, Âtmâ n'est donc pas non plus soumis aux limitations du présent. Comme Âtmâ est l'Âtmâ (ou Soi) de tous les objets, il n'est pas soumis aux limitations de la substance (il est absolu).

Le disciple : Mais comment ces substances sont-elles divisées ?

Le guru : Il existe trois sortes de différences entre les substances : les différences au sein d'un même genre de substance, les différences entre différentes sortes de substances, et les différences au sein de la substance d'un seul objet. Un exemple de la première sorte nous est donné par un arbre, quand on le distingue d'un autre arbre. En distinguant une pierre d'un arbre, on illustre la seconde sorte. Si par contre on distingue entre un arbre et ses propres feuilles, fleurs et fruits, si ses fruits sont mûrs ou non, etc., on a un exemple de la troisième sorte.

Le disciple : (Pour autant que je comprenne), on ne peut pas dire que les trois sortes de différences précédemment mentionnées ne s'appliquent pas à Âtmâ. La conscience Une semble être celle de Brahm, d'Îshvara (le Seigneur), de Kûtastha (le Soi Supérieur), et de Jîva (l'Ego). Par conséquent, il y a une différence de la première sorte (en Âtmâ). Comme la véritable nature d'Âtmâ est Brahm, et la nature réelle du Non-Âtmâ, l'univers, il y a une différence entre diverses sortes. Il y a aussi une différence au sein de la chose elle-même. Brahm ayant les trois attributs de Sat, Chit et Ânanda (la béatitude), comment, alors que ces trois distinctions existent (en Âtmâ), peut-on affirmer qu'il ne présente pas ces différences ?

Le guru : Il n'y a pas de différences au sein du même genre. Bien que l'âkâsha tout-pénétrant soit en réalité un, il assume différentes appellations en fonction de son environnement, telles que le grand âkâsha, le nuage d'âkâsha, le pot d'âkâsha, l'âkâsha reflété dans l'eau, le pot et ainsi de suite. De même, bien que la conscience soit une, elle se manifeste en tant que Brahm et Îshvara, par l'entremise de mâyâ, et en tant que Kûtastha[45] et Jîva, par le biais d'avidyâ. Une étude sérieuse révèle qu'il ne s'agit pas de différences au sein d'un même genre en ce qui les concerne (mais qu'ils sont identiques). Passons maintenant aux différences entre genres différents. Sans corde, il n'y a pas moyen de la confondre avec un serpent ; sans âkâsha, la couleur bleue ne peut s'y présenter. Ainsi, sans Âtmâ, il ne peut y avoir de Non-Âtmâ. Mis à part le siège (ou la cause) originel, tout le reste n'est qu'illusion. Ce qui est illusoire est ce qui n'existe pas au cours des trois phases du temps, comme par exemple, le fils d'une femme stérile, les cornes d'un lièvre, etc. Comme aucune réalité d'existence ne peut être assignée au Non-Âtmâ, Âtmâ ne présente pas de différence entre genres différents. Maintenant, passons à la dernière sorte de différence. Des noms positifs d'Âtmâ tels que Sâkshî (le témoin), Kûtastha (le Soi Supérieur), Paramârthika, Prajñâ, Brahm, Sachchidânanda, l'éternel, l'unique, le plénier ; et des termes négatifs relatifs à Âtmâ tels que non-grossier, sans atome, sans second, sans changement, indestructible, inactif, n'incitant pas à l'action, tous n'indiquent qu'une connaissance correcte d'Âtmâ, qui est sans attributs, mais n'impliquent pas de différences de réalité, car Âtmâ est l'un suprême et sans parties. On n'a donc pas de différence au sein d'une même substance.

Le disciple : Comme les mots Sat, Chit et Ânanda ont trois significations différentes, et ne sont pas des synonymes, comme dans le cas de hastha, pâni et kara (qui désignent tous trois la main), il y a en Âtmâ une différence du troisième type, dénotée par ces mots (Sat), de même qu'on peut distinguer entre les feuilles, les fruits, etc., de l'arbre dont ils sont issus.

Le guru : De même que la couleur rouge, la chaleur et l'éclat d'une lumière ne peuvent être dissociés de cette lumière, Sat, Chit et Ânanda ne sont pas différents d'Âtmâ. Il n'y a donc pas de différence du troisième type. Mais on ne peut pas dire qu'il n'y ait pas ce type de différence dans le cas des feuilles et des fleurs, vis-à-vis de leur arbre. L'arbre entier n'est pas ses feuilles ou ses fleurs ; mais il est dans certaines de ses parties qui ont la forme de feuilles, dans d'autres qui ont la forme de fleurs, et dans d'autres encore, sous de nombreuses autres formes. C'est pourquoi dans ce cas, on n'a pas de différence du troisième type. Quand on dit qu'Âtmâ est de la nature de Sachchidânanda, on veut signifier qu'Âtmâ est, dans tous ses aspects, de la nature de Sachchidânanda, tout comme la lumière présentant la couleur rouge, la chaleur et l'éclat est, dans tous ses aspects, de la nature du rouge, de la chaleur et de l'éclat. Il n'y a donc pas de différence du troisième type en Âtmâ.

Le disciple : Alors pourquoi les shruti nous répètent-ils encore et encore qu'Âtmâ est de la nature de Sat, de la nature de Chit et de la nature d'Ânanda ? Âtmâ ne peut-il être connu par une seule caractéristique ?

Le guru : Écoutez s'il-vous-plaît le raisonnement relatif à ces instructions qu'on trouve dans les shruti. Les gens de ce monde commettent les erreurs les plus monstrueuses parce qu'ils pensent que cet univers est lui-même la réalité (sat) d'Âtmâ, que notre terne intelligence (inférieure) est la conscience (chit) proprement dite, et que les plaisirs que procurent femme, enfants, etc., sont ânanda (la béatitude) elle-même. À l'inverse, ils considèrent que le Sachchidânanda d'Âtmâ n'est autre que l'irréalité de l'univers, l'inertie de l'intelligence et les plaisirs que procurent femme, enfants, etc. Par conséquent, tous sont dans l'illusion lorsqu'ils déclarent : « Je suis impermanent, je suis uniquement cette inertie (matérielle), je suis rempli de souffrance... », sous le coup de la fausse impression que cet univers est réel, que manas, etc., (relatif au mental inférieur), est la conscience per se, et que femme, enfants, etc. sont de la forme de la béatitude. C'est uniquement pour venir à bout de cette illusion que les shruti enseignent à tous ceci : « Ô hommes de ce monde, afin de vous inculquer que vous n'êtes autres que Sachchidânanda, j'affirme (dans les textes) qu'Âtmâ est sat (la réalité), et non l'irréalité, qu'il est chit (la conscience), et non l'inertie, et qu'il est ânanda (la béatitude), et non la souffrance. » On devrait donc savoir que les shruti donnent un tel enseignement afin de dissiper leurs illusions. De plus les shruti, en employant le mot composé Sachchidânanda, indiquent l'unicité d'Âtmâ. Cependant certains contestataires en ce monde prétendent que sat, chit et ânanda ne sont que des attributs d'Âtmâ, et qu'Âtmâ n'est pas lui-même Sachchidânanda. C'est pour écarter également cette conception que les shruti affirment qu'Âtmâ est Sachchidânanda.

Le disciple : D'où tenez-vous que ce soit là le seul courant des shruti (concernant l'interprétation de Sachchidânanda) ?

Le guru : Sachez que la véritable signification de la nature non-composite (de Brahm) devrait être déterminée, d'après les shruti, à l'aide des six méthodes, upakrama, etc. (telles qu'elles sont décrites au cinquième chapitre du présent ouvrage).

Le disciple : Ô Dieu, maintenant que la nature non-composite de Sachchidânanda a été démontrée par l'autorité des shruti, j'espère que vous serez disposé à donner la preuve de cette nature au moyen de l'inférence.

Le guru : Sat devrait donc être soit auto-lumineux, soit briller de la lumière d'un autre. Dans le premier cas, sat serait uniquement chit. Mais s'il brillait grâce à un autre, cet autre est-il d'une nature différente de sat, ou s'agit-il d'un autre sat ? S'il est autre que sat, il doit s'agir d'asat (d'irréalité), qui est aussi irréel que les cornes d'un lièvre. Par conséquent, cet autre, qui est irréel (asat), ne peut être en mesure d'illuminer sat. Mais s'il existe un autre sat, on est en droit de se demander si cet autre sat brille de lui-même, ou s'il est illuminé par un autre. Dans le premier cas, sat ne pourrait être que chit. Dans le second cas, il produirait encore et encore des irréalités sans fin. Ce processus ferait émerger les nombreuses vicissitudes (ou impuretés)[46], comme celles relatives à Âtmâ, celles qui dépendraient les unes des autres, et celles qui seraient récurrentes, et celles qui découleraient d'une absence de fin, de conclusion. Sat brille donc de sa propre lumière. Il a été dit précédemment que ce qui brille de soi-même est certainement chit. C'est pourquoi seul chit est sat, et seul sat est chit. Les deux ne font qu'un. De plus, il n'est mentionné nulle part dans les Veda qu'il existe un autre sat. Par conséquent, il est certain que sat brille également par lui-même.

Se pose alors une autre question. Comment se fait-il que la béatitude (Ânanda) soit attribuée à sat, qui brille de lui-même ? Comme sat est sans second, il comprend une félicité plénière. Dans une petite partie, il ne peut y avoir de plénitude complète. Cette plénitude complète caractérise, est spécifique de la non-dualité, et non de la dualité.

Dans quelle mesure sat est-il non-duel ? Ô Fils, s'il s'agit de savoir si le pouvoir d'association de sat avec un autre sat est dû à un autre sat, ou à quelque autre chose qui s'en distingue par ses caractéristiques (il se trouve que ces deux cas sont impossibles), nous répondons qu'il n'est pas dû à un autre. Étant donné qu'au moyen des preuves des Écritures Sacrées, de l'inférence et de l'expérience, on ne peut démontrer qu'il existe un autre sat, la première hypothèse doit être rejetée. La seconde hypothèse ne tient pas non plus, puisque quelque chose qui diffère de sat n'a pas de réalité, pas plus que les cornes d'un lièvre. En dehors de ces deux irréalités, il ne peut y avoir d'autre irréalité. Comme l'unique sat est sans second, il est certain qu'il est également toute-plénitude. Il en découle qu'il est également certain que seul l'unique sat auto-lumineux est ânanda (béatitude). Ainsi, on devrait donc reconnaître, par inférence, la nature homogène des mots sat, chit et ânanda.

Nous démontrerons maintenant par l'expérience que la nature de Sachchidânanda est homogène. Bien que ce sujet ait été traité au onzième chapitre (de cet ouvrage), nous allons nous y attarder afin de mieux vous convaincre. Il existe dans le sommeil sans rêve un bonheur dont tous les êtres humains font l'expérience. Cette félicité n'est pas composite (elle est homogène), à la différence de celle des états de veille et de rêve. C'est un bonheur qui ne nécessite aucun moyen pour se manifester. Cette félicité ne fait donc qu'un. Comme la félicité de l'état de sommeil sans rêve illumine (est expérimentée) sans l'aide du soleil, ni d'autres lumières, c'est chit (la conscience qui brille d'elle-même) qui est présent dans cet état. Or la preuve que le chit auto-lumineux est présent dans la félicité de cet état réside dans le fait qu'au réveil, l'homme a la réminiscence d'avoir dormi profondément jusque-là. Comme c'est une loi incontournable que chaque pensée est générée par une expérience antérieure, nous devons postuler que la félicité du sommeil sans rêve a été précédée par une expérience passée. Mais dans la mesure où aucun organe des sens, etc., n'existe alors pour produire une expérience, sachez que la jouissance de la félicité ne peut émaner que de l'auto-lumineux (chit). Dans l'état de sommeil sans rêve, la béatitude (ânanda) brille également autant qu'âjñâna (non-sagesse). Laquelle des deux est la lumière émanant d'elle-même ? Une étude approfondie révèle que c'est Ânanda qui est la lumière brillante d'elle-même. Comme Ajñâna est revêtu de l'enveloppe avanara (la force centripète, ou individualité), il n'est pas auto-lumineux. C'est donc uniquement Âtmâ qui resplendit en tant que béatitude dans le sommeil sans rêve, et qui illumine également ajñâna, qui lui est à tort attribué. La béatitude est donc la lumière qui brille d'elle-même (ou chit). Par conséquent, on démontre également de manière certaine par l'expérience que le Sachchidânanda (d'Âtmâ) est de nature homogène. On a donc démontré par les écritures sacrées, par l'inférence et par l'expérience, qu'Âtmâ ne présente aucune différence en lui-même.

Il est donc clair qu'Âtmâ est complète plénitude, et qu'il ne comporte aucune des distinctions précédemment mentionnées. Il est donc également évident qu'Âtmâ ne comporte pas de parties, qu'il est non-dualité, et qu'il est l'essence. Ô Fils, pour cet Âtmâ qui est toute plénitude et béatitude, les souffrances ne sont que des accrétions. Reconnaissant que les souffrances ne sont générées que par le corps, que le corps est produit par karma, que karma résulte de râga et des autres désirs, que râga, etc., résultent d'abhimâna (l'attribution de tous les objets au soi), et qu'abhimâna résulte d'ajñâna (non-sagesse) ; ayant compris que seul Jñâna élimine Ajñâna, au moyen de Vichâra (la méditation spirituelle intuitive), et ayant, sur le plan pratique, reconnu, après enquête approfondie, qu'Âtmâ est Sachchidânanda, que le corps et l'univers ne sont qu'inertie et de la forme de la souffrance, et que cet Univers n'est qu'une illusion, on devrait connaître cette Sagesse la plus transcendantale par la connaissance directe obtenue par des phrases sacrées telles que «Je suis Brahm.» La personne exaltée qui est dans la cognition directe de cette Sagesse Suprême est véritablement un guru, qu'il soit un chandâla (personne d'une caste inférieure) ou un brâhmane. C'est l'opinion irréfragable du très saint Shankarâchârya, comme en attestent certains versets de l'un de ses ouvrages. Puissiez-vous – vous étant convaincu que ce personnage n'est autre qu'un ascète Paramahamsa[47] qu'on devrait bien plus révérer que les ascètes Behuthaka, Kutichaka et Hamsa, et après avoir médité et contemplé Âtmâ conformément à mes instructions – devenir ce Brahm non-duel, qui est l''inconditionné, l'immaculé, l'intelligentsia, l'émancipateur et la véritable et suprême félicité. Après cela, je n'ai plus rien d'autre à vous enseigner.

Ainsi se clôt le dernier chapitre des méditations de Vâsudeva, un ascète Paramahamsa. OM -TAT-SAT.

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NOTES

[1] Le passage précédent montre que cet ouvrage a été donné sous la forme d’un livre non pas par Vasudeva, l’Ascète, lui-même, mais par quelqu’un d’autre, peut-être un de ses disciples. Krishna est le Soi Supérieur qui est en nous tous, et veille sur tous, comme le fait un berger.

[2] Bien que l’araignée produise sa toile d’elle-même et vit en elle, cependant elle en est distincte. Ainsi « en s’unissant à tâmasi », il est signifié qu’à travers Îshvara, comme une araignée, produit tâmasi (duquel l’univers s’est développé) en en émanant de lui-même et en se mêlant à lui.

[3] Selon les Upanishad, il y a une manière différente de diviser sattva et rajas, comme on peut le remarquer dans le tableau en annexe.

[4] Prânamaya : ce que sont les cinq enveloppes est expliqué plus loin, dans le chapitre X de ce livre.

[5] Il peut être nécessaire de dire, une fois pour toutes, que les mots Brahman, Âtma, Paramâtmâ, Kûtastha, Soi, etc., sont utilisés dans cet ouvrage comme synonymes et signifient l’Esprit. Mais Îshvara est la réflexion de l’Esprit dans Mâyâ, et il est l’Agent ou la Cause de l’Univers ou Macocosme, etc., Selon T. Subba Row, il est le Sûtrâtmâ et non Paramâtmâ.

[6] Ces trois termes [sanshya  shravana et asambhâvana] seront expliqués complètement dans le Vème chapitre de ce livre. Ce sont les trois degrés du doute : en premier celui en rapport à la non-dualité de Brahman ; en second celui sur la possibilité d’identifier les Ego et l’Univers avec Brahman ; et troisièmement sur la connaissance par soi-même de cette identité même quand on est déjà convaincu de sa possibilité.

[7] Ce sacrifice est célébré par les rois pour marquer leur souveraineté indiscutable sur tous.

[8] [Bhagavad-Gîtâ, VI, v. 35].

[9] « Supérieur » n’est pas en référence à une localité, mais à un état.

[10] De manière logique cela signifie « Différent ou exclusive de tout autres choses par les propriétés propres à une chose » (Dictionnaire d’Apte).  

[11] Abhimâna n'est pas l'égoïsme, qui est ahankâra. Râga et d'autres désirs sont expliqués plus loin dans le sixième chapitre.

[12] Même aujourd’hui on peut voir un Yogi près de Mannargui, dans le district de Tanjore (District administratif de Madras), qui immerge son corps dans les flammes pendant cinq à six heures par jour.   

[13] De tels Yogi peuvent être trouvés à Kumbakonam.

[14] Une jouissance qui résulte d’un karma passé.

[15] Vajrâdhara, parandhara : ces deux mots sont des qualificatifs du Dieu Indra. Le premier signifie le porteur de l’arme du tonnerre, formé à partir des os du Rishi Dadhîcha, et le second signifie le destructeur de la citée. En ce qui concerne la renaissance des Deva beaucoup, beaucoup, pourront ne pas être d’accord avec l’auteur.

[16] [Voir par exemple l’Aphorisme 29 du Livre Ii, des Aphorismes du Yoga de Patanjali].

[17] Ces considérations et d’autres de l’auteur en rapport avec la naissance, etc., pourront ne pas être partagé par certains.

[18] Les chandâla sont des hommes de basse caste, engendrés par une mère Brahmane et un père shûdra. Pulkasa est aussi un homme de basse caste. Kirâta est un montagnard de basse caste. Yavana est un étranger, comme un Européen, etc.

[19] Nous avons des exemples de tels Yogis dans cette ville même de Kumbakonam (District administratif de Madras).

[20] Brahmavida est un connaisseur de Brahma. Varishta est parfait, variya est meilleur, et vara est bon.

[21] La science traitant de ces six sujets est considérée comme faisant partie des Veda.

[22] Dans la logique du sanscrit, abhâva (situation négative) est considérée comme existant au même titre que bhâva (situation positive), comme quand on prétend que la lumière et les ténèbres sont des entités différentes, et que l'obscurité n’est pas qu’une simple absence de lumière. Toutes les choses qu’on peut nommer sont divisées en bhâva (prédicat positive) et abhâva (prédicat négatif). Abhâva a deux attributs principaux, samsarga et anyonya (ou mutuelle). Le premier est divisé en trois, appelés prâk (fortuit), atyanta (accessoire) et pratvamsa (ultérieur). Le premier et le troisième sont mentionnés dans le texte. Le premier peut s’illustrer ainsi. Supposons qu'un pot soit créé maintenant. Avant sa création, le pot était dans un état d'abhâva ou de non-existence. Cet abhâva n'a pas eu de début, mais a une fin lorsque le pot est créé. C'est prâkabhâva. De même, lorsqu'un pot est détruit son abhâva ou non-existence commence au moment de la destruction du pot, mais n'aura pas de fin par la suite.

[23] Cette définition d'ajñâna, ou mûlaprakriti, montre que toute tentative ultérieure de trouver l’origine de mûlaprakriti comme provenant du sein de Parabrahman est impossible.

[24] Selon le contexte qui suit svarûpa-jñâna peut être comprise comme la sagesse spirituelle non souillée, et vritti-jñâna la sagesse spirituelle souillée.

[25] Il s'agit de pierres rondes que l'on trouve dans la rivière Gandaki, dont émane un magnétisme très pur. Elles sont utilisées par les Hindous lors de leurs Pûjâ (culte). Ces pierres comportent un petit orifice, au travers duquel on peut deux lignes spirales se chevauchant l'une l'autre, et réunies en leur milieu

[26] Ceci fait référence aux dix incarnations de Mahâ Vishnu, le Logos, en tant que Poisson, Tortue, Sanglier, Homme-Lion, Vamana (Nain), Parashurâma, Râma, Krishna, Buddha et Kalki, dont les neuf premières se sont déjà produites.

[27] Les arguments de l'auteur dans ce chapitre sur le culte des idoles balaieront toutes les notions erronées de certaines personnes qui accusent les Hindous d'idolâtrie.

[28] Il ne s'agit pas d'Îshvara dans son quatrième état (évoqué par T. Subba Row), l'auteur ne prenant pas cet état en considération dans son ouvrage.

[29] Un genre de Lakshana, ou d'usage secondaire d'un mot, par lequel il perd en partie, et retient en partie, sa signification originelle.

[30] Kûtastha (littéralement, 'celui qui reste fixe') est défini ainsi dans la Sarrasaropanishad : « Kûtastha est celui qui anime sans exception le mental de toutes les créatures, de Brahma à la fourmi, qui est l'Âtmâ, le siège de sâkshi (le témoin) du mental de toutes les créatures, et qui brille par lui-même. »

[31] [Voir note n°35].

[32] Les trois sortes de souffrance sont adhiâtmika, adhidaivika et adhibautika, i.e., du corps, des deva et des animaux, soit (1) la maladie, relative au corps grossier ; (2) les passions, etc., relatives au Corps Subtil ; (3) avidyâ, etc., relative au corps causal.

[33] Ce linga sharîra ne devrait pas être confondu avec le deuxième principe de la classification septuple théosophique, car il n'en est pas question ici. Le linga sharîra dont il s'agit ici représente le corps subtil, à savoir le quatrième principe, et la partie inférieure du cinquième [principe de la classification théosophique].

[34] Il est appelé ugapat (conjoint), car Âtmâ, l'esprit, est voilé par la matière, lorsqu'il s'y joint.

[35] Les dix-sept organes, tels qu'ils sont énumérés ensuite - les cinq organes des sens, les cinq organes d'action, les cinq prâna, plus manas et buddhi. On démontre que ces organes continuent de fonctionner dans l'état de rêve [voir le tableau en page 3].

[36] Les sièges de manas et de buddhi sont, selon les Upanishad, exactement les inverses de ceux indiqués ici par le présent auteur. Buddhi fait ici partie du mental inférieur, et ne devrait pas être confondu avec le sixième principe de la classification septuple.

[37] [La copie est parfaitement claire !] - EDS

[38] Les Hindous croient que le Hamsa est capable, séparer l'eau du lait. Il ne peut s'agir du cygne actuel, mais d'une espèce de cygne aujourd'hui disparue. (Ce cygne symbolise le Manas Supérieur, qui fait la distinction entre la sagesse et l'illusion. – EDS.)

[39] Ces affirmations se fondent bien entendu sur la croyance en la réincarnation, une théorie axiomatique pour les Hindous.

[40] [Mot écrit saloktâ dans le texte anglais].

[41] Il s'agit des quatre moyens exposés au deuxième chapitre du présent ouvrage, lesquels rendent les disciples aptes à fouler le sentier.

[42] Tattva-Jñâna est la Sagesse Spirituelle obtenue au moyen de la discrimination entre les Tattvas, les forces primaires de la nature.

[43] Après avoir été initié, le disciple est né de nouveau, et le guru est donc son père.

[44] Vasta [ou vastu ?] est traduit par substance, qui devrait être comprise dans son sens littéral, étant celle en dessous de laquelle se trouve le substratum de tout.

[45] Ici Kûtastha est appliqué à Brahm lui-même, du point de vue de l'homme, et non du cosmos.

[46] Les quatre vicissitudes mentionnées en Sanskrit sont Âtmâshraya, Anyonyâshraya, Chackrâpatti et Anavasthâ.

[47] Il y a six degrés dans l'ascétisme, à savoir Behutaka, Kutichaka, Hamsa, Paramahamsa, Turiyâtita et Avadhâta.