Réflexion sur la rencontre « face à face » avec le Maître intérieur

LMI 7 accueil 1bLa réflexion sur la rencontre « face à face » avec le Maître intérieur est le thème de l’écrit de Jean-Louis Siémons que nous présentons ci-dessous. Ce « face à face » relève de la discipline théurgique telle qu’elle était pratiquée dans le passé au cours initiations véritables, sérieuses et très hautes. Si cette rencontre ne pourra se faire très probablement que dans un lointain futur il semble utile d’en étudier le sens caché. Il faudra incarner la condition spirituelle requise, procéder à une complète purification de notre nature intérieure, cultiver une motivation pure, un altruisme universel et éprouver une compassion pour toute l’humanité et la nature. 

« Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ; lorsque je suis devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant. Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière obscure, mais alors nous verrons face à face ; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu. »Bible, 1 Corinthiens, 13, 11-12.

La Voix du Silence, [d’H.P. Blavatsky] (Traité III, pp. 67-8) propose ces mots mystérieux : « Car, ô disciple, avant d'avoir été mis en état de rencontrer ton lnstructeur face à face, ton MAÎTRE lumière à lumière, que te fut-il dit ? »

Bien sûr, ce MAÎTRE peut être identifié à Âlaya, [l’Âme Universelle] évoqué un peu plus bas (p. 68) : « Nombreux sont les instructeurs, unique est le MAÎTRE-l'ÂME (1), Âlaya, l’Âme Universelle. »

LMI 7 5Mais ne s'agirait-il pas du rayon particulier de cette « Âme Universelle », qui devrait servir de « guide », d'Instructeur particulier, pour l'âme du disciple ?

En 1888, H.P. Blavatsky avait déjà employé cette curieuse expression « face à face », dans un article de Lucifer reproduit dans l'ouvrage Raja Yoga ou Occultisme (publié par Textes Théosophiques en 1983) sous le titre « L'Occultisme pratique ». Voir p. 36 : 

« Avant qu'il soit permis au disciple d'étudier « face à face », il devra avoir acquis une connaissance préliminaire dans un groupe choisi d'autres upasaka (disciples) laïques, dont le nombre deva être impair. »

[« Face à face » signifie ici une étude indépendante ou séparée des autres, lorsque le disciple reçoit son instruction face à face avec lui-même (son Soi Divin supérieur) ou avec son Gourou. C'est alors seulement que chacun reçoit son dû en matière d'enseignement, selon l'usage qu'il a fait de sa connaissance. Ceci ne peut se produire que vers la fin du cycle d'instruction.]

Ici, « l'Instructeur » est identifié au « Soi divin supérieur ». Curieusement, l'idée de ce « face à face » se trouvait déjà exprimée dans un passage d'Isis Dévoilée (2). Parlant de l'entraînement spirituel des jeunes « fakirs » (mot qu'elle traduisit plus tard comme « disciples », ou « chélas »), Mme Blavatsky évoqua la première (et « dernière ») initiation du débutant, avec ces mots :

« C'est en présence de son instructeur, son Gourou, et juste avant que le Vatou-Fakir [Disciple] soit envoyé dans le monde des vivants avec sa baguette de bambou à sept nœuds pour toute protection, qu’il est mis, soudain, face à face avec la PRÉSENCE inconnue. Il la voit, et se prosterne aux pieds de la forme qui s'évanouit devant lui. Mais on ne lui confie point le grand secret de son évocation car, celui-là c'est le Mystère suprême de la syllabe sainte. Le AUM renferme l'évocation de la triade Védique, la Trimurti de Brahma, Vichnou, Shiva, suivant les Orientalistes. Elle renferme, à notre avis, l'évocation de quelque chose de plus réel et de plus objectif que cette trinité abstraite. »

« C'est la trinité de l'homme, lui-même, en voie de devenir immortel par l'union solennelle de son triple Soi intime (3) - le corps grossier, extérieur, l'enveloppe n'étant même pas prise en considération dans cette trinité. C'est lorsque cette trinité, anticipant sur l'union triomphante, au-delà des portes de la mort corporelle, devient pendant quelques secondes une UNITÉ, que le candidat est autorisé, au moment de l'initiation, à contempler son soi futur. »

Rapprochez ici l'expression « soi futur » du « Soi Divin Supérieur » de la citation précédente.

C'est ainsi que nous devons l'interpréter dans, le Desatir persan, en parlant du « Resplendissant » ; chez les philosophes-initiés grecs, avec l'Augoéïdès – la « divine vision dont le siège est la lumière pure », lumineuse par elle-même ; et dans Porphyre lorsqu’il dit que Plotin fut réuni à son « dieu » quatre fois durant sa vie (4) ; et ainsi de suite.

On doit noter encore le mot Augoéïdès, qui revient plusieurs fois dans Isis Dévoilée [d’H.P. Blavatsky] pour désigner le « Soi lumineux, ou notre Ego Supérieur » - en réalité, le rayonnement divin lumineux qui manifeste la Présence de cet Ego (5).

Il faut maintenant remonter encore dans l'histoire pour consulter l'œuvre d'un « auteur mystique authentique » (selon Mme Blavatsky), sir Bulwer Lytton (1803-1873). Dans Zanoni (un ouvrage paru à Londres en 1853), est mis en scène un homme expert en « magie divine », capable de consulter son « instructeur divin », en le faisant apparaître, pour le conduire dans sa démarche initiatique. Zanoni le nomme, avec ferveur : « Mon âme, être lumineux ! Sublime Augoéïdès ! ». Avec cette précision de l'auteur : « Αυγοειδείς (= Augoéïdès), mot de prédilection des platoniciens mystiques » (p. 99).

Cependant, au cours du livre, les épreuves se sont accumulées, et font obstacle à tout progrès. D'où le besoin de consulter à nouveau le Maître, que Zanoni appelle du nom d’Adonaï (nom hébreu signifiant précisément Maître, Seigneur, équivalent du sanskrit Ishvara. Ainsi (chapitre IX, pp. 281-2), après une belle citation du De Mysteriis [Les Mystères d’Égypte] de Jamblique (VIII 7), l'auteur nous met dans le secret de l'invocation :

« Adon-Ai ! parais, parais, parais !

« Dans la grotte solitaire où retentissaient autrefois les oracles des dieux, surgit, au milieu des ombres fantastiques des rochers, une colonne gigantesque et lumineuse, rayonnante et mouvante. Elle ressemblait à cette écume étincelante qu'une fontaine semble exhaler sous un ciel étoilé. Le rayonnement éclaira les stalactites, les anfractuosités, les voûtes, et répandit une lueur pâle et tremblante sur les traits de Zanoni. 

« Fils de la Lumière éternelle, dit Zanoni, toi qui, peu à peu, tout au long des générations, m'as dispensé la connaissance, toi auprès de qui j'ai si largement puisé cette sagesse ineffable et inépuisable, toi, enfin, qui, semblable à moi, autant que le permettent nos natures différentes, as été pendant des siècles mon génie familier et mon ami, réponds-moi, guide-moi. »

On note au passage l'expression « génie familier » (traduction du grec δαίμον ― Daïmon, ou Daemon, cher aux Néo-platoniciens, comme Jamblique).

Que va-t-on voir apparaître dans cette « colonne lumineuse » ? Une « image humaine », qui traduit sans doute l’identité particulière de l'entité divine qui prend ici l'apparence d'une forme pour se manifester. Ce ne peut être Âlaya, ou le Soi Divin cosmique, mais son « émissaire », ou son « Ange », attaché à la destinée divine d'une âme humaine individuelle.

« De la colonne lumineuse sortit une apparition d'une gloire indicible. Elle avait le visage d'un homme dans tout l'éclat de la première jeunesse, mais avec une solennelle expression d'éternité et de sagesse immuable ; une lumière analogue au rayonnement des étoiles circulait dans ses veines transparentes et son corps était circonscrit par un halo lumineux qui ondulait en étincelles mobiles à travers les flots de son éblouissante chevelure. »

Comme on peut le penser, la « forme merveilleuse » est, en réalité, celle que perçoit Zanoni, dans sa psyché éblouie, qui façonne la Présence divine à l'aide des traits les plus étonnants dont elle dispose, pour se représenter son Maître, qui l'accompagne sur son sentier spirituel, « depuis des siècles », comme on l'a vu. En fait, cette apparition est une « image », une image qui a un message important :

« Les bras croisés sur sa poitrine, l’image se tenait à quelques pas de Zanoni, et murmurait d'une voix douce et voilée :

« Mes conseils t'étaient doux autrefois ; chaque nuit, ton âme pouvait suivre le vol de mes ailes à travers les splendeurs paisibles de l'Infini. Mais, maintenant, tu t'es de nouveau enchaîné à la terre par les liens les plus forts ; l'attraction de la glaise est plus puissante que les sympathies qui rendaient dociles à tes enchantements les Fils de la Lumière céleste. La derrière fois que ton âme écouta ma voix, les sens troublaient déjà ton intelligence et tes visions. Je viens à toi une dernière fois. Mais le pouvoir que tu possèdes de m'évoquer s'évanouit déjà, comme le rayon de soleil s'en va de la vague quand le vent pousse les nuages sur l’Océan.

« Hélas ! répondit Zanoni tristement, je ne connais que trop bien les conditions par lesquelles ta présence donnait autrefois la joie à mon existence. Je sais que la source de notre sagesse réside dans l'indifférence aux choses de ce monde. Le miroir de l'âme ne peut refléter à la fois le ciel et la terre : l'image de l'un s'efface de sa surface tandis que l'autre s'imprime en ses profondeurs. »

Ici, comme on le devine, Zanoni est pris par « l'attraction de la terre », qui le détourne du ciel : il a un grand amour pour une femme qu'il désire préserver de dangers qui la menacent, et la rendre heureuse.

Le romancier n'échappe pas au besoin de donner une couleur humaine à son livre qui restera admirable jusqu'au bout. L'essentiel reste pour nous sa façon d'évoquer la rencontre, « face à face » avec un Maître intérieur, divin.

Bien sûr, rien ne doit être pris à la lettre dans ces belles pages de l'auteur ; mais on est sensible à son intention de faire passer un message, à propos d'une expérience spirituelle, qui peut avoir lieu, ici, sur cette terre.

Zanoni, « le disciple », n'a-t-il pas été « mis en état de rencontrer son instructeur, face à face, son MAÎTRE, lumière à lumière » … ?

Tous ces mots sont dans la Voix du Silence ; on les a tous retrouvés dans l’extrait cité du livre, Zanoni, bien antérieur à cette Voix du Silence.

Madame Blavatsky n'a pas copié Bulwer-Lytton. Il doit y avoir une source de connaissance, et d'inspiration, commune, pour évoquer l'expérience mystique de tout être humain, engagé sur la voie de la découverte du Maître intérieur et de l'Union avec lui ― dans la lumière divine de la Sur-Âme Universelle ― Âlaya.

Notes

(1) - Le, MAÎTRE - l'Âme [en anglais : the « MASTER-SOUL »] est Âlaya, l'Âme Universelle ou Âtman, dont chaque homme possède en lui-même un rayon avec lequel il est sensé pouvoir s'identifier, et dans lequel il devra s'absorber.

(2) - Dans l'original anglais de 1877 (vol. II, pp.114-115) et dans la traduction française Adyar, vol.  II, pp.154-155.

(3) - Le corps humain, son vêtement de peau est, par lui-même une masse inerte de matière ; seul, le corps vivant et sensible, au-dedans de l'homme doit être considéré comme son véritable corps, et c'est celui-là qui, avec l'âme-source ou corps astral pur, en contact direct avec l'esprit immortel, constitue la trinité humaine [le sens de l’expression « son triple SOI » renvoi à l’union de la conscience du Mystique ou Yogi avec les Trois Hypostases Divines].

(4) - Voir La Vie de Plotin par Porphyre [Plotini vita, ch. XXIII, in J.A. Fabricius, Bibliotheca Graeca, 1705-28].

(5) - Voir le Glossaire Théosophique (éd. Adyar) :

Augoeides (grec) = Bulwer-Lytton l'appelle le "Soi Lumineux" ou notre Ego Supérieur. Mais l'occultisme en fait quelque chose qui en est distinct. C'est un mystère. L'Augoeidès est le rayonnement divin lumineux de l'Ego qui, lorsqu'il est incarné, n'est que son ombre – si pur soit-il déjà. C'est expliqué avec les Amshaspends et leurs Ferouers.

Amesha Spentas : (zende), Amshaspends. Les six anges, ou Forces divines personnifiées comme dieux, qui servent Ahura Mazda qui en est la synthèse et le septième. Ce groupe des Amshaspends est un des prototypes des "Sept Esprits" des Catholiques romains, ou Anges, avec Michel pour chef, ou l'Armée Céleste : les "Sept Anges de la Présence". Ce sont les Constructeurs, les Gouverneurs du Monde des Gnostiques (Cosmocratores) et ils sont identiques aux Sept Prajâpatis, aux Sephiroth, etc...

Farvarshi (pehlvi), Fravashi (vieux perse) et Farvardin (persan). L'Esprit absolu et sa contrepartie spirituelle dans l'homme. La Fravashi est le cinquième des éléments dont est composé l'homme. Elle est une substance divine qui retourne à sa source, et l'âme ne survit qu'à la faveur d'une fusion intime avec elle. Le terme fut francisé en Férouer par Anquetil-Duperron, traducteur du Zend-Avesta. Dans la cabale les Yooq-Nah sont l’Ombre de la Lumière éternelle. Les "Anges de la Présence" ou archanges. Identiques aux Farvarshi du Vendidâd et autres ouvrages zoroastriens.

Karshvara (zende). Les "sept terres" (notre chaîne septénaire) que régissent les Amesha Spenta, les Archanges ou Dhyân-Chohans des Parsis. Les sept terres, dont une seule, savoir, Hvanirata – notre terre – est connue des mortels. Les Terres (ésotériquement), ou sept divisions (exotériquement), sont notre propre chaîne planétaire comme il est dit dans le Bouddhisme Esotérique et la Doctrine Secrète. La doctrine est exposée nettement dans le Fargard XIX, 39, du Vendidâd.

Prajapatis (sanskrit). Progéniteurs : les donneurs de vie pour tout ce qui existe sur cette Terre. Ils sont sept et puis dix – correspondant aux sept et dix sephiroth de la Cabale, aux Amesha-Spentas Mazdéens, etc... Brahmâ, le créateur, est appelé Prajâpati en tant que synthèse des Seigneurs de l'Être.

Zumyad Yasht (zende) ou Zamyad Yaht comme certains l'épellent. Un des fragments mazdéens conservés. Il traite de questions métaphysiques et des êtres, spécialement des Amshaspends ou les Amesha Spenta – les Dhyân Chohans des livres de l'Avesta.