Mythe de Yama et Yami dans le Rig-Véda

 (Article de Monsieur Robert Beer, que nous remercions pour nous autoriser à publier la traduction de son article « Yama – Yami » de son site Internet : https://www.tibetanart.com )

Sommaire: Article « Yama et Yami » (Robert Beer) —  Article « Chitragupta » (Robert Beer) — Extrait du Glossaire Théosophique « Yama » — Liens complémentaires

Yama et Yami

Le Rig-Veda, signifie la « science suprême ». C’est le premier des quatre Veda, les textes sacrés Indo-Aryens de l’ancienne tradition Indienne. Il date probablement de plus de 1.500 ans avant J.C. Les versets de ce texte, le plus anciens de toutes les Écritures sacrées, donne l’origine des grands dieux Védiques, et en particulier de Yama et Yami, qui furent les deux premiers humains mortels à naître en ce monde. Ce couple primordial de jumeaux naquit de l’union de Surya, le Dieu Solaire, et de sa femme Sanjna, la « Conscience [Spirituelle] ». À l’origine Yama, nom védique masculin, signifiait le « couple », et il prit plus tard le sens de « celui qui restreint », ou plus précisément « celui qui est restreint ». Le nom féminin de Yami, qui dans son sens courant signifie une « sœur », fût avec le temps personnifiée en Yamuna, le nom d’une des grandes déesses de fleuves en Inde. 

Les jumeaux Yama et Yami, issus du sein de Sanjna, naquirent dans le jardin des délices terrestre, comme Adam et Ève, dans la légende de la Genèse. Dans ce paradis naturel le temps semblait arrêté ; il faisait toujours jour, il n’y avait qu’une saison semblable à un printemps, et le soleil brillait sans cesse tandis que la lune et les étoiles demeuraient dissimulées par la brillante lumière. Les fleurs parfumées ne flétrissaient jamais, les arbres portaient toujours des fruits délicieux en abondance, les oiseaux chantaient mélodieusement, et toutes les créatures terrestres vivaient en harmonie les unes avec les autres. Yama et Yami vivaient ensemble, en harmonie, et, tandis qu’ils grandissaient, leur amour réciproque s’épanouissait. Cependant les sentiments de Yama étaient retenus et différents et de ceux de sa sœur Yami, qui souhaitait s’unir incestueusement à lui.   

Le texte du Rig-Veda est très explicite sur ces demandes de Yami, quand elle dit : « Le désir pour Yama m’envahit, et j’aspire à m’allonger contre lui et partager sa couche. Je ferais tout ce qu’une femme peut faire pour son mari. Soyons unis rapidement, comme les deux roues d’un charriot ».   

À quoi Yama répondit : « Les sentinelles des dieux, qui rôdent autour de nous, sont vigilants, et ne ferment jamais les yeux. Unis-toi à un autre que moi, et soit fidèle dans cette union, comme les deux roues d’un chariot. Les temps viendront où frères et sœurs accompliront des actes qui ne sont pas permis dans une famille. Mais il n’en sera pas ainsi avec moi, qui suis trop scrupuleux ! Cherche un autre mari que moi, et fait de ton bras un oreiller pour ton époux. »

Yami répliqua alors : « Y a-t-il un frère dont la sœur n’a pas d’époux ? Sera-t-elle une sœur quand la fin arrivera ? Par amour accepte ces paroles que je prononce, viens contre moi et serre-moi fortement dans tes bras. » 

À ceci Yama répond : « Je ne serrerais pas mes bras contre toi. Ils considèrent que c’est un péché d’attirer à soi sa sœur. Sois heureuse avec un autre que moi, car ton frère, aux bons sentiments, n’a pas d’autre désir. »

« Hélas, Yama, tu es un faible, » repris Yami, « en toi je ne trouve ni trace de cœur, ou d’esprit. Une autre femme t’embrassera comme un reptile s’accrochant à un arbre. »

« Trouve un autre que moi pour t’embrasser, Yami, » réplica Yama. « Permet à un autre de te dévoiler, même s’il est comme à un reptile encerclant un arbre. Conquiert son cœur et fait en sorte qu’il partage tes rêves, et il fera avec toi une alliance bénie. » 

Ses avances ayant été refusées, Yami erra loi de son frère, mais quand elle revint plus tard elle le trouva gisant immobile sous un arbre ; Yama semblait dormir. Elle murmura son nom, et doucement le secoua, mais Yama ne réagissait pas. Elle l’appelle à nouveau en élevant la voix et le secoue fortement, mais Yama reste immobile. Alors elle se rend compte que son corps est froid, et qu’il ne respire plus. Soudain, elle réalise qu’il ne vit plus et qu’elle est maintenant complètement seule dans le monde. Cette révélation terrible glace le cœur de Yami dont le désespoir est sans borne. Ses larmes grossissent et s’écoulent de ses yeux au point de former un fleuve (le fleuve Yamuna), qui commence à inonder la terre. Tandis que le soleil brille sans cesse et la journée dure à jamais, le grand chagrin de Yami semble éternel, ni pouvoir diminuer. Le monde résonne de ses lamentations, en écho à la profondeur de son immense désespoir.  

C’est en vain que les dieux tentent de réconforter Yami, en prenant des apparences visibles et en essayant de la consoler physiquement, mais les seules paroles qu’elle peut prononcer sont : « Yama est mort aujourd’hui ! Yama est mort aujourd’hui ». De manière répétée, ils essayent de la raisonner et de lui expliquer l’aspect transitoire de la vie ; comment tout ce qui est né doit inévitablement mourir, et comment toutes les souffrances et tous les souvenirs s’estompent avec le temps. Chaque fois, elle ne cessait de répéter : « Yama est mort aujourd’hui ! Yama est mort aujourd’hui ! »

Alors, les dieux se réunirent en conclave et comprirent que la souffrance de Yami ne pourrait cesser tant qu’elle vivrait dans un temps immuable. En effet, dans ce paradis terrestre la journée ne cessait pas, il n’y avait ni hier ni demain. Pour commencer à soulager sa souffrance les dieux pensèrent qu’il faudrait en premier qu’il y ait un intervalle égal entre la nuit et le jour, et qu’ainsi l’aujourd’hui pourrait finir et un demain commencer. Ainsi les grands dieux védiques de la Terre et du Ciel firent usage de leurs pouvoirs créatifs en obligèrent le soleil à se coucher à l’ouest de l’horizon et se lever à l’est. Pendant l’intervalle nocturne la lune et les étoiles firent leur première apparition à la surface noire et veloutée de la voûte céleste, obligeant les oiseaux et les créatures de l’air et de la terre à chercher le repos et tomber dans le profond abîme du sommeil. Comme eux, Yami dormit pour la première fois.  Elle se réveilla à l’aube ayant pris conscience que Yama était mort la veille, et elle se dit en elle-même : « Pourquoi Yama devait mourir hier ! » Le crépuscule et l’aube suivant elle se dit : « Pourquoi Yama est mort avant-hier ! »

Les jours et les saisons passaient, la douleur de Yami commença à faiblir, par l’effet du cycle des jours. Maintenant ces intervalles nocturnes coupaient ses jours, et la douleur de la perte de son frère s’estompa progressivement, ainsi que le souvenir de leur tendre et brève existence commune. Yami fut la première mortelle à découvrir la vraie nature de l’existence, et quand la mémoire de cette douleur lui revenait au réveil, elle l’acceptait et c’est ainsi qu’elle devint plus sage.

Yama, cependant, suivit une destinée différente. Ayant été le premier homme à naître, il fut aussi le premier à mourir. Le Rig-Veda le révèle clairement. Il fut le premier être humain à : « trouver par lui-même qu’il y avait un chemin de retour ». Car Yama, « le restreint », n’eut pas peur de mourir, car il avait acquis la maîtrise de tous ses sens et grâce à ses valeurs morales, il quitta ce monde sans laisser de traces karmiques ou des péchés. Ainsi, Yama devint le premier être humain, ou « l’ancêtre », à découvrir les secrets ineffables de la vie, de la mort, et les lois cosmiques qui gouvernent l’existence. Ayant fait de l’expérience de la mort, un moyen d’accéder à l’immortalité, il atteint le statut divin d’un dieu à part entière, devenant ainsi le « Seigneur de la mort » ou le « Seigneur des morts », avec en plus le titre de Dharmajara, « Roi du Dharma, » ou de la droiture.

Voici deux citations du Rig-Véda, Le livre des hymnes (traduction A. Langlois, 1870 – BNF Gallica (Section VII, Lecture VI, Hymne IX « Aux Pitris – Tishis : Yama ») :

7. (Ô trépassé), viens ici, viens par les voies antiques où nos pères ont passé avant nous. Regarde ces deux rois, Yama et le divin Varouna, qui se réjouissent de notre Swadhâ [Swadhâ est une espèce d'offrande].

8. Viens avec les Pitris [Pères], avec Yama, sur ce siège élevé que dresse la Piété. Tu as dépouillé toute impureté ; entre dans cette demeure, et revêts-toi d’un corps brillant.

Dans la cosmologie bouddhique le Ciel de Yama se situe au troisième degré des « Six Ciels du Monde du désir », qui sont : 1/ le Ciel des Quatre Grands Rois, 2/ Le Ciel d’Indra et des Trente-trois Divinités (sanskrit Trayastrimsa), 3/ le Ciel de Yama, 4/ le Ciel « de la sanctification » de Tushita, 5/ le Ciel des Dieux qui sont dans la joie de la Création, 6/ le Ciel du Roi-Démon, et des forces qui règnent sur toutes les autres créations, en particulier le monde du désir.  

Dans le poème épique du Mahabarata le Ciel de Yama est ainsi résumé (v. Vana Parva et Sabha Parva) :

« Il n’y fait ni trop chaud, ni trop froid, la vie s’y déroule sans souffrance et la vieillesse ne cause ni fragilité, ni fatigue, ni mauvais sentiments. Il n’y a ni faim, ni soif, et l’on y trouve tout ce qu’on cherche. Les fruits y sont délicieux, les fleurs parfumées, les eaux rafraichissantes et réconfortantes ; et de belles servantes dansent sur les accords des musiciens célestes, et les rires se mêlent aux musiques célestes. »

« La demeure de Yama faite par le charpentier divin Tvashtri, étincelle, comme de l’or poli, d’une lumière égale à celle du soleil. Là les serviteurs du Seigneur du Dharma fixent la durée de vie des mortels. Les Grand Sages (Rishis) et les ancêtres veillent et honorent Yama, le « Dieu des Pères » (Pitris). Sanctifié par leur sainteté, leurs corps rayonnants revêtus d’habits blancs comme les cygnes, ornés de bracelets précieux, de boucles dorées, de guirlandes de fleurs exquises aux parfums délicats, faisaient que cette demeure était perpétuellement plaisante et hautement bénie. Là des centaines de milliers de saints êtres adoraient Yama, l’illustre Dieu des Pitris. »   [Retour sommaire]     

Chitragupta

Les textes sacrés Védiques précisent que les âmes humaines sont jugées après la mort pour les actions physiques, les paroles et attitudes mentales qu’elles ont développé au cours de leurs vies. Le Seigneur de la Mort, Yama Dharmaraja, avait la tâche de présider à ces jugements posthumes, aidé de ses servants et messagers, connus sous le nom de yamdhutis. Mais le grand nombre d’âmes qui passaient devant Yama l’épuisait et il pouvait parfois se tromper sur leur identité, et mal juger. Quand Brahmâ appris cela il ordonna à Yama d’établir des annales plus précises des actes de chacun, à quoi Yama répliqua : « Mon Seigneur, comment pourrais-je seul gérer les archives des actes de chaque être né dans les quatre-vingt-quatre centaines de milliers de différents domaines des rois mondes ? »         

En entendant cela Brahmâ entra en profonde et longue méditation, et, quand il rouvrit les yeux, il vit l’image d’un homme tenant dans ses mains un stylo en roseau et un encrier d’encre rouge. « Vous avez été créé de mon corps (kaya) » déclara Brahmâ : et vos enfants seront des kayastas (scribes). Conçu de mon mental (chitra) et en secret (gupta), et vous serez appelé Chitragupta ».

Yama, ses messagers, et Chitragupta, le « gardien du secret », sont aperçus, par les Hindous, les Jaïns et les Sikhs, dans leurs expériences proches de la mort (N.D.E.). Le scribe Chitragupta, gardien-des-annales, tient le livre ou le registre de chaque vie humaine individuelle. Ce registre est si fiable, qu’il permet d’éviter toute erreur de jugement de Yama, et sont renvoyés sur terre tous ceux dont la vie n’a pas atteint son juste terme.

Ces récits confortent les cas relatés en occident de personnes qui reviennent à la vie, et disent avoir été renvoyées par un être cher décédé ou un être de lumière.  [Retour sommaire]

Glossaire Théosophique (éd. Adyar)

YAMA (sanskrit). La troisième race-racine personnifiée en occultisme. Dans le Panthéon indien, Yama est le sujet d'un mythe qui a deux versions distinctes. Dans les Védas il est le dieu des morts, un Pluton ou un Minos, chez qui habitent les ombres des défunts (les Kâmarûpas en Kâmaloka). Un hymne parle de Yama comme du premier homme qui mourut, et le premier qui s'en alla au monde de béatitude (Devakhan). Ceci, parce que Yama est l'incarnation de la race qui fut la première à être dotée de la conscience (Manas), pareilles à une comète enflammée ou sans laquelle il ne pouvait y avoir ni Ciel ni Hadès. On représente Yama comme le fils de Vivasvat (le Soleil). Il avait une sœur jumelle nommée Yamî, qui le pressait toujours, selon un autre hymne, de la prendre pour femme, afin de perpétuer l'espèce. Ce qui vient d'être dit possède une signification symbolique très suggestive, qui est expliquée en occultisme. Comme le Dr. Muir le remarque à juste titre, le Rig Veda – la plus grande autorité sur les mythes primitifs qui fait résonner la note tonique originale des thèmes qui sont sous-jacents à toutes les variations suivantes – ne montre nulle part Yama "comme ayant fait quoi que ce soit pour le châtiment du méchant". Comme roi et juge des morts, en un mot un Pluton, Yama est une création bien plus tardive. On doit étudier le vrai caractère de Yama-Yamî entièrement dans plus d'un hymne et d'un poème épique, et recueillir les divers récits éparpillés dans des douzaines d'anciens ouvrages. Ensuite on obtiendra une unanimité des affirmations allégoriques qui, trouvera-t-on, corroborent et justifient l'enseignement ésotérique que Yama-Yamî est le symbole du Manas double dans une de ses significations mystiques. Par exemple, Yama-Yamî est toujours représenté de couleur verte et habillé de rouge, et comme habitant un palais de cuivre et de fer. Les étudiants de l'occultisme connaissent ceux des « principes » humains, auxquels doivent être appliquées les couleurs verte et rouge, et par correspondance le fer et le cuivre. Le "double-gouverneur" – une épithète de Yama-Yamî – est regardé dans les enseignements exotériques des Bouddhistes chinois comme représentant à la fois le juge et le criminel, celui qui réprime ses propres actions mauvaises et le malfaiteur lui-même. Dans les poèmes épiques hindous, Yama-Yamî est le jumeau du Soleil (la divinité) par Samjnâ (la conscience spirituelle) ; mais tandis que Yama est le "seigneur du jour" aryen, apparaissant comme le symbole de l'esprit en Orient, Yamî est la reine de la nuit (obscurité et ignorance) "qui ouvre aux mortels le sentier d'Occident" – l'emblème du mal et de la matière. Dans les Purânas, Yama a beaucoup d'épouses (beaucoup de Yamîs) qui le forcent à habiter dans le monde inférieur (Pâtâla, Myalba, etc..., etc...) ; et une allégorie le représente avec le pied levé, poussant du pied Chhâyâ, la servante de son père (le corps astral de sa mère, Samjnâ, un aspect métaphysique de Buddhi ou Alaya). Comme les Écritures hindoues le déclarent, lorsqu'une âme quitte sa forme mortelle, elle se rend en sa demeure dans les régions inférieures (Kâma-loka ou Hadès). Une fois-là, l'Archiviste, le messager karmique appelé Chitragupta (clarté cachée ou dissimulée), lit à haute voix son histoire dans le Grand Registre, là où, durant la vie de l'être humain, chaque acte et chaque pensée sont imprimés d'une manière indélébile – et, selon la sentence prononcée, l'âme, ou monte vers la demeure des Pitris (Devakhan, la « demeure des dieux », état intermédiaire entre deux vies terrestres dans lequel l'Ego – l'Atma-Buddhi-Manas ou la Trinité faite Une – entre après la séparation d'avec le kâma rûpa et la désintégration des principes inférieurs utilisés sur terre), ou descend vers l' "enfer" (Kâma-loka), ou naît à nouveau sur terre dans une autre forme humaine. L'étudiant de la philosophie ésotérique reconnaîtra aisément la portée de ces allégories.  [Retour sommaire]

Liens complémentaires

Robert Beer Online Art Gallery - Yama & Yami : https://www.tibetanart.com

Yama Yami Samvada (यम यमि सम्वादः): site https://dharmawiki.org/

Wikipédia: Yama

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