Le génie (article d'H.P. Blavatsky)
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Le Génie (1)
« Génie ! Don du ciel, lumière divine !
Parmi quels dangers es-tu condamné à luire ?
Souvent la faiblesse du corps entrave ta force,
Tempère ta vigueur et arrête ta course ;
Et les nerfs ébranlés te forcent à contenir
Tes efforts les plus nobles, pour combattre la douleur
Ou le besoin, ce triste visiteur ! ... » ― Crabbe.
Parmi les nombreux problèmes qu'il reste encore à résoudre dans le Mystère du Mental, se trouve la question importante du Génie. D'où vient, et qu'est-ce que le génie, quelle est sa raison d'être, les causes de son extrême rareté ? Est-il vraiment « un don du Ciel » Et dans l'affirmative, pourquoi de tels dons conférés à un individu et, par ailleurs, un manque d'intelligence ou même l'idiotie affligeant un autre ? Seul un matérialiste peut concevoir l'apparition d'hommes et de femmes de génie comme un simple accident, le résultat d'un hasard aveugle, ou de causes uniquement physiques. Comme un auteur le faisait remarquer avec raison, il ne reste alors que cette alternative: s'accorder avec celui qui croit en un dieu personnel pour « rapporter l'apparition de chaque individu séparé, à un acte spécial de la volonté divine et de l'énergie créatrice divine», ou «reconnaître, dans la lignée complète de ces individus, l'action puissante de quelque volonté s'exprimant dans une loi éternelle et inviolable ».
Le génie, comme Coleridge l'a défini, est certainement – au moins scion toute apparence extérieure – « la faculté de croître » ; toutefois, pour l'intuition intérieure de l'homme, il reste à savoir si c'est le génie – une aptitude anormale du mental – qui se développe et croît, ou bien le cerveau physique, son véhicule, qui devient, par quelque processus mystérieux, plus apte à recevoir et à manifester de l'intérieur vers l'extérieur la nature divine innée de la sur-âme humaine. Peut-être, dans leur sagesse non sophistiquée, les philosophes anciens étaient-ils plus près de la vérité que nos prétendus sages modernes lorsqu'ils douaient l'homme d'une divinité tutélaire, d'un Esprit qu'ils appelaient genius. La manifestation de la substance de cette entité, sans parler de son essence – notez bien la distinction, cher lecteur, – et de leur double présence en une personne, dépend de l'organisme de cette personne. Comme disait Shakespeare en parlant du génie des grands hommes – ce que nous percevons de sa substance «n'est pas d'ici-bas » –
« Car ce que vous voyez n'est que le plus petit fragment...
Et si tout l'édifice se dressait ici,
Il serait d'une telle puissance et spacieuse envergure,
Que votre toit ne suffirait pas à l'abriter...»
C’est précisément ce qu'enseigne la philosophie ésotérique. La flamme du génie n'est pas allumée par la main d'un Dieu anthropomorphe, mais par celle de son propre Esprit. Il est de la nature même de l'Entité Spirituelle, ou de notre Ego, de tisser sans cesse de nouvelles trames de vie dans la chaîne des réincarnations tendue sur le métier du temps, depuis les débuts jusqu'aux fins du Grand Cycle de vie (2). C'est cette nature qui s'affirme plus fortement dans la personnalité du génie que chez l'homme ordinaire; et ce que nous appelons les « manifestations du génie chez une personne» ne sont que les efforts plus ou moins couronnés de succès de cet ÉGO pour s'affirmer sur le plan extérieur de sa forme objective – l'homme d'argile – dans la vie journalière prosaïque de ce dernier.
Les EGO d'un Newton, d'un Eschyle, d'un Shakespeare sont de la même essence et substance que les Ego d'un rustre, d'un ignorant, d'un sot ou même d'un idiot, et l'affirmation des génies qui les animent dépend de l'organisation physiologique et matérielle de l'homme physique. Aucun Ego n'est différent d'un autre Ego dans son essence et sa nature originelles et primitives. Ce qui fait d'un mortel un grand homme, et d'un autre une personne vulgaire et stupide c'est, comme nous l'avons déjà dit, la qualité et la constitution de l'enveloppe physique, et la capacité ou l'incapacité du cerveau et du corps à transmettre et à exprimer la lumière de l'homme Intérieur réel, et cette aptitude ou inaptitude est, à son tour, le résultat de Karma. Ou, pour employer une autre comparaison, l'homme physique est l'instrument de musique et l'Égo, l'artiste musicien. La potentialité de la mélodie parfaite réside dans l'instrument, et aucune virtuosité du musicien ne peut faire jaillir une harmonie sans faute d'un instrument brisé ou mal conditionné. L'harmonie dépend de la fidélité avec laquelle se transmet par la parole ou l'action, sur le plan objectif, la pensée divine silencieuse, enfouie au cœur même de la nature subjective ou intérieure de l'homme.
L'homme physique peut – pour poursuivre notre comparaison – être un Stradivarius d'une valeur inestimable, ou un violon bon marché et fêlé, ou encore un instrument médiocre entre les deux, dans les mains du Paganini qui l'anime.
Toutes les nations anciennes connaissaient ce fait. Mais bien que toutes aient eu leurs Mystères et leurs Hiérophantes, toutes ne pouvaient être également instruites dans la grande doctrine métaphysique; et tandis que quelques élus recevaient ces vérités à leur initiation, il n'était permis aux masses de les approcher qu'avec une extrême précaution et dans la stricte limite des faits. « Du TOUT DIVIN procéda Amun, la Sagesse Divine... ne la donne pas à ceux qui n'en sont pas dignes », dit un Livre d'Hermès. Paul, le « sage Maître-Constructeur (3) (1. Corinthiens, III, 10) ne fait que répéter Thoth-Hermès lorsqu'il dit aux Corinthiens : « Nous parlons de Sagesse parmi ceux qui sont parfaits (les initiés)... la Sagesse divine dans un MYSTÈRE, vraiment la Sagesse cachée. » (I ibid. II, 7).
Cependant, encore de nos jours, les Anciens sont accusés de blasphème et de fétichisme à cause de leur « culte des héros ». Mais les historiens modernes ont-ils jamais compris la cause d'un tel « culte » ? Nous ne le croyons pas. Autrement, ils seraient les premiers à reconnaître que ce qui était « adoré », ou plutôt ce à quoi on rendait les honneurs n'était ni l'homme d'argile ni la personnalité – Le Héros, ou le Saint un tel – ce qui est encore l'habitude dans l'Église Romaine qui béatifie le corps plutôt que l'âme, mais bien le divin Esprit emprisonné, le « dieu » exilé à l'intérieur de cette personnalité. Qui, dans le monde profane, se rend compte que même la majorité des magistrats (les Archontes d'Athènes, traduits à tort dans la Bible par le mot « Princes ») – dont la fonction officielle consistait à préparer la cité pour de telles processions, ignoraient la vraie signification du prétendu « culte » ?
Vraiment, Paul avait raison de dire : « nous parlons sagesse... non pas la sagesse de ce monde... qu'aucun des Archontes de ce monde (profane) ne connaissait », mais la sagesse cachée des MYSTÈRES. Car, une fois encore, comme l'implique l'Épître de l'Apôtre, la langue des initiés, et leurs secrets, aucun profane, pas même un « Archonte » ou un gouverneur en dehors de l'enceinte des Mystères sacrés, ne les connaît; personne « sinon l'Esprit de l'homme (l'Ego) qui est en lui. » (I ibid. v. II).
Si l'on traduisait correctement, dans l'Esprit où ils furent écrits, les chapitres II et III des Corinthiens (même la lettre morte en est défigurée) le monde pourrait recevoir d'étranges révélations. Entre autres choses, il y trouverait une clef expliquant de nombreux rites de l'ancien Paganisme, restés obscurs jusqu'à ce jour, par exemple le mystère de ce même culte des Héros. Et il saurait que si les rues de la cité qui honorait un tel homme étaient jonchées de roses pour le passage du Héros du jour, si chaque citoyen était prié de saluer avec respect celui qu'on fêtait, et si le prêtre et le poète rivalisaient de zèle pour immortaliser le nom du héros après sa mort, la philosophie occulte en explique la raison.
« Voyez » dit-elle, « dans chaque manifestation du génie – quand il s'unit à la vertu – dans le guerrier ou le barde, dans le grand peintre, l'artiste, l'homme d'État ou de Science, planant bien haut au-dessus de la masse vulgaire, la présence indéniable de l'exilé céleste, l'Ego divin dont tu es le geôlier, ô homme matériel ! » Ainsi, ce que nous appelons déification s'appliquait au Dieu immortel intérieur, et non aux murs inertes du tabernacle humain qui le renferme. Et ce culte était rendu en reconnaissance silencieuse et tacite des efforts faits par le captif divin qui, dans les circonstances les plus adverses de l'incarnation, réussissait quand même à se manifester.
L'occultisme n'enseigne donc rien de nouveau en affirmant l'axiome philosophique que nous venons d'énoncer. Amplifiant la proposition métaphysique générale, l'occultisme la complète simplement en expliquant certains détails. Il enseigne, par exemple, que la présence dans l'homme de divers pouvoirs créateurs appelés collectivement génie, n'est pas due à un hasard aveugle, ni à des qualités innées transmises par hérédité, bien que ce qui est connu sous le nom d'atavisme puisse souvent renforcer ces facultés, mais à une accumulation d'expériences individuelles antérieures de l'Ego, au cours de sa vie ou de ses vies précédentes. Car, bien qu'étant omniscient dans son essence et sa nature, cet Ego requiert encore les expériences que lui fournit la terre sur le plan objectif, par l'intermédiaire de ses personnalités, afin de leur appliquer les fruits de cette omniscience abstraite. Et, ajoute notre philosophie, la culture de certaines aptitudes au cours d'une longue suite d'incarnations passées doit finalement aboutir, dans une vie, à l'épanouissement d'un génie, dans l'une ou l'autre direction.
Le Grand Génie, par conséquent, lorsqu'il est véritable et inné, et non simplement un développement anormal de l'intellect humain, ne peut jamais copier ou condescendre à imiter; il est toujours original, sui generis dans ses impulsions et réalisations créatrices. Semblables à ces lis indiens géants qui jaillissent des crevasses et des fissures s'ouvrant aux flancs des roches nues qui semblent toucher le ciel, sur les plateaux les plus élevés des Monts Nilgiri, le vrai Génie ne requiert que l'occasion pour se manifester et fleurir aux yeux de tous, dans le sol le plus aride, car on ne peut jamais se méprendre sur sa présence. L'on pourrait dire, pour employer un dicton populaire, que le génie comme le crime, se fait jour tôt ou tard, et plus longtemps il aura été dissimulé et contenu, plus puissant sera le flot de lumière que produira son expression soudaine. D'autre part, le génie artificiel, que l'on confond si souvent avec le premier, et qui n'est en vérité que le résultat d'une longue étude et d'un long entraînement, ne sera jamais rien d'autre qu'une lampe brûlant en dehors du portail du temple ; elle peut jeter une longue traînée de lumière sur la route, mais elle laisse l'intérieur du bâtiment dans l'obscurité. Et, comme chaque faculté et chaque propriété est double dans la Nature, c'est-à-dire que chacune peut servir à deux fins: le bien comme le mal, le génie artificiel ne tarde pas à se trahir. Né du chaos des sensations terrestres, des facultés de perception et de mémoire finie, ce génie restera toujours l'esclave du corps; et ce corps par suite du peu de crédit qu'on peut lui accorder, et de la tendance naturelle de la matière à la confusion, ne manquera pas de rejeter le plus grand soi-disant génie dans son élément primordial qui est le chaos, ou le mal sur terre.
Ainsi, entre le vrai génie et l'artificiel, l'un né de la lumière de l'Ego immortel, l'autre du feu follet fugitif de l'intellect terrestre ou purement humain, et de l'âme animale, existe un gouffre qui ne peut être franchi que par celui qui aspire toujours plus haut, qui ne perd jamais de vue, même au plus profond de la matière, cette étoile-guide : l'Âme Divine avec le mental uni à elle, ou ce que nous appelons Buddhi-Manas [Âme Divine et Mental]. Ce vrai génie ne requiert pas de culture comme le précédent. Les paroles du poète qui affirme que la lampe du génie,
« Si elle n'est pas abritée, nettoyée et alimentée avec soin
S'éteint bientôt, ou se consume en lançant des éclairs passagers, »
ne s'appliquent qu'au génie artificiel, le fruit de la culture et d'une acuité purement intellectuelle. Ce n’est pas la lumière directe des Manasaputra, les « Fils de Sagesse », car le vrai génie, allumé à la flamme de notre nature supérieure, ou de l'EGO, ne peut mourir. C'est pourquoi il est si rare. Lavater a calculé que « la proportion du génie (en général) par rapport au vulgaire est comme d'un sur un million ; mais que le génie sans tyrannie ni prétention, qui juge les faibles avec équité, les supérieurs avec humanité, les égaux avec justice, se rencontre dans la proportion d'un sur dix millions ». Ceci est vraiment intéressant, quoi que ce ne soit pas flatteur pour la nature humaine, si, par « génie », Lavater n'avait en vue que l'intellect humain supérieur, développé par la culture, « abrité, nettoyé et alimenté », et non le génie comme nous l'entendons. En outre, un tel génie est toujours susceptible de faire tomber dans les extrêmes de la joie ou de la misère celui en qui cette lumière artificielle du mental terrestre se manifeste. Semblable aux bons et aux mauvais génies d'autrefois, le génie humain qui, d'une manière si appropriée, porte le même nom qu'eux, prend son malheureux possesseur par la main, et le conduit un jour à l'apothéose du renom, de la fortune et de la gloire, pour le plonger le lendemain dans un abîme de honte, de désespoir et souvent de crime.
Mais, comme, selon le grand Physiognomiste, il y a dans notre monde plus de génies de la première espèce que de la seconde, du fait que, comme l'enseigne l'Occultisme, il est plus aisé, pour la personnalité avec ses sens physiques perçants et ses tatwas [principes dans la Nature, ou les sept catégories principales d’éléments subtils – cinq sont exotériques et deux ésotériques – le Samkhya énumère 25 tatwas], de graviter vers le quaternaire inférieur que de s'élever vers sa triade – la philosophie moderne, très habile à traiter de cette forme inférieure du génie, ne connaît rien de sa forme supérieure – celle qu'on rencontre « une fois sur dix millions d'êtres ». Il est donc tout naturel que les meilleurs auteurs modernes, confondant les deux, n'aient pu réussir à définir le vrai génie. Comme conséquence, nous lisons et nous entendons raconter sans cesse, beaucoup de choses qui, pour l'Occultiste, paraissent tout à fait paradoxales. « Le génie a besoin d'être cultivé », dit l'un ; « le génie est vain et pédant » déclare un autre ; tandis qu'à son tour un troisième ne définit la lumière divine que pour la rapetisser sur le lit de Procruste de sa propre étroitesse d'esprit. Il parle, par exemple de la grande excentricité du génie, et, l'alliant généralement à une « constitution apte à s'enflammer », nous le montre même « en proie à toutes les passions, mais rarement raffiné de goût ! » (Lord Kaimes). Il est inutile de discuter avec de telles personnes, ou de leur dire que le grand génie original éteint l'intellectualité humaine la plus éblouissante, comme le soleil éclipse la clarté d'un feu en plein champ; qu'il n'est jamais excentrique, bien qu'il soit toujours sui generis; et qu'aucun homme doué de vrai génie ne pourra jamais se livrer à ses passions physiques animales. Selon le point de vue d'un humble Occultiste, seuls de nobles personnages altruistes, comme Bouddha ou Jésus et leurs quelques rares disciples immédiats, ont le droit d'être considérés, dans notre cycle historique, comme des GÉNIES pleinement développés.
C'est pourquoi le vrai génie a vraiment peu de chance, en cet âge d'attachement aux conventions, d'hypocrisie et de servilité, d'être reconnu à sa juste valeur. A mesure que le monde croît en civilisation, il développe un égoïsme farouche, et lapide ses vrais prophètes et génies au bénéfice de leurs ombres grimaçantes. Seules les masses houleuses et ignorantes, qui forment le grand cœur du peuple, sont capables de percevoir intuitivement une véritable « grande âme », pleine d'amour divin pour l'humanité, de compassion céleste pour l'homme souffrant. C'est pourquoi le peuple seul est encore capable de reconnaître un génie, car, sans ces qualités, nul homme n'a le droit de porter ce nom. On ne peut trouver aucun génie actuellement, ni dans l'Église ni dans l'Etat, et ceci est prouvé par leur propre aveu. Il y a beau temps, semble-t-il, qu'au XIIIe siècle, le « Docteur Angélique » rabrouait le Pape Innocent IV qui, en se vantant des millions qu'il avait amassés par la vente des absolutions et des indulgences, faisait remarquer à St Thomas d'Aquin que « l'âge était passé où l'Église pouvait dire : « D'argent et d'or je n'ai point ! » – « C'est vrai », fut la réponse immédiate, « mais l'âge où l'Église pouvait dire au paralytique : Lève-toi et marche, est également passé ». Et cependant depuis lors, et bien longtemps avant, l'Église et l'État n'ont pas cessé de crucifier à chaque instant leur Maître idéal. Tandis que chaque État chrétien, avec ses lois et ses coutumes, enfreint chacun des commandements donné dans le Sermon sur la Montagne, l'Église chrétienne justifie et approuve cette attitude par la voix de ses propres Évêques qui proclament, en se désolant, qu’« un État Chrétien est impossible basé sur des principes chrétiens ». Il s'ensuit qu'aucun mode de vie selon le Christ (ou le Bouddha) n'est possible dans les États civilisés.
Ainsi ; l'occultiste, pour qui le « vrai génie est synonyme de mental infini et existant par lui-même », reflété plus ou moins fidèlement par l'homme, ne parvient pas à trouver quoi que ce soit qui approche de la réalité dans les définitions modernes du mot: génie. À son tour, l'interprétation ésotérique et théosophique du terme ne manquera pas d'être accueillie avec dérision. L'idée même que chaque homme, en qui réside une « âme », est le véhicule du génie, paraîtra suprêmement ridicule, même aux croyants, tandis que les matérialistes s'en moqueront comme d'une « grossière superstition ». Quant au sentiment populaire – le seul relativement correct, parce que purement intuitif, – on n'en tiendra même pas compte. La même épithète élastique et pratique de « superstition » servira une fois de plus, à expliquer pourquoi il n'y eut jamais de génie universellement reconnu, d'une espèce ou d'une autre, sans qu'un certain nombre de contes et de légendes étranges, fantastiques, et souvent surnaturels, s'attachent à un personnage aussi unique, en le suivant dans chacun de ses faits et gestes, et lui survivant même. Pourtant ce sont les simples seuls, c'est-à-dire les masses soi-disant sans instruction, qui sont capables de sentir – précisément par suite de cette absence de raisonnement sophistiqué en eux – la présence de quelque chose de plus que l'enveloppe de chair et les attributs mentaux, dans les personnages exceptionnels et sortant de l'ordinaire qu'ils rencontrent sur leur chemin. Et en se sentant en présence de ce qui ne se révèle jamais chez l'énorme majorité des gens, de ce qui reste incompréhensible pour leur mental prosaïque, ils ressentent le même respect sacré qu'éprouvaient autrefois les masses populaires, lorsque leur imagination souvent plus juste que la raison cultivée, faisait de leurs héros des dieux, enseignant :
... « Aux faibles à se plier, aux fiers à se courber
Devant des pouvoirs invisibles et plus puissants qu'eux-mêmes ».
Ceci s'appelle maintenant de la SUPERSTITION...
Mais qu'est-ce que la superstition ? Il est vrai que nous craignons ce que nous ne pouvons clairement nous expliquer. Comme les enfants dans le noir, nous sommes tous portés – les gens instruits aussi bien que les ignorants – à peupler l'obscurité de fantômes dus à notre propre imagination ; mais ces « fantômes » ne prouvent pas du tout que 1'« obscurité » – qui n'est qu'un autre terme pour désigner l'invisible et le non-vu – soit réellement vide de toute Présence, à l'exception de la nôtre. De sorte que, s'il est vrai que la « superstition », sous sa forme exagérée, et en tant que croyance aux choses au-dessus et au-delà de nos sens physiques, est un incube étrange, elle constitue également et néanmoins un modeste aveu de l'existence dans l'univers, et autour de nous, de choses que nous ignorons totalement. Dans ce sens, la « superstition » devient un sentiment non déraisonnable d'étonnement et de crainte, mêlé d'admiration et de respect, ou de peur, selon ce que nous dicte notre intuition. Et c'est bien plus raisonnable que de répéter avec les prétendus sages trop savants, qu'il n'y a rien, « absolument rien dans cette obscurité » ; et qu'il ne peut rien y avoir, puisque, eux-mêmes, n'ont rien pu y découvrir.
Eppur si muove ! Il n'y a pas de fumée sans feu; pas de vapeur sans eau. Notre affirmation repose sur une vérité axiomatique éternelle : nihil sine causa. Le génie et la souffrance imméritée prouvent l'Égo immortel et la Réincarnation dans notre monde. Quant au reste, c'est-à-dire, les reproches et la dérision que rencontrent de telles doctrines théosophiques, Fielding – une sorte de génie à sa façon aussi – y a répondu pour nous, il y a plus d'un siècle. Il n'exprima jamais une plus grande vérité que le jour où il écrivit : « Si la superstition fait un sot de l'homme, le SCEPTICISME LE REND FOU ».
Notes
(1) Cet article écrit par H. P. Blavatsky fut publié pour la première fois dans la revue Lucifer de novembre 1889. Cet article est disponible en Cahier Théosophique n°106 édité par Textes Théosophiques. [retour texte]
(2) La durée d'un Manvantara complet [le cycle qui dure tout le temps d’un univers] est composé [de sept cycles plus petits appelés] les Sept Rondes. [retour texte]
(3) Un terme absolument théurgique, maçonnique et occulte. Paul, en l'employant, se révèle un Initié ayant le droit d'initier les autres. [retour texte]
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