Pourquoi tant de mystère autour du Dieu personnel de chaque homme ?
Retour vers sommaire des articles « Réflexions et Études »
Parmi les raisons que l'on peut évoquer, on songe aux suivantes :
- le caractère sacré de la présence en nous-mêmes de cette réalité divine : il ne s'agirait pas de « jeter les perles aux pourceaux 1 », pour que cet enseignement soit profané, exploité par des gurus sans scrupules, ou récupéré d'une manière ou d'une autre,
- le caractère très métaphysique de tout ce qu'est révélé de ce Père Solaire, son origine, son intervention, son rôle dans notre évolution spirituelle : le public a une constante tendance à matérialiser les choses les plus sublimes, et a été entretenu par l'Église dogmatique dans ce même sens. Peu entraîné à philosopher, et à chercher la signification des symboles religieux, ce public aurait tôt fait d'identifier notre « Dieu personnel » à un aspect ou un autre du Dieu anthropomorphe, ou de prendre notre Père Solaire pour un Ange Gardien classique, selon la norme chrétienne, délégué par Dieu pour nous accompagner au long de notre vie, en nous conseillant si possible, et en s'affligeant de nos péchés...
- le caractère extrêmement exigeant des rapports qui nous unissent à notre Dieu intérieur, dès lors que nous songeons à faire alliance avec lui.
Essayons d'examiner de plus près ce qu'impliquent ces rapports, et notre position en tant que personnalité terrestre.
La Théosophie parle souvent des Maîtres de Sagesse, et du chemin qui peut nous conduire à Eux, si nous nous sentons portés à unir nos efforts à ceux de nos Aînés. Mais d'aucuns diraient qu'il n'y a pas d'urgence à nous engager sur ce chemin. « Vivons honnêtement notre vie et ce sera déjà bien ; les Maîtres sont loin ... ».
Par contre, si on se pénètre profondément de ce que nous découvrons sur notre Dieu intérieur, et devenons convaincus de la vérité de cet enseignement majeur de la Théosophie occulte, on serait tenté de dire : il n'y a plus d'échappatoire ! Ce Père n'est pas « loin » : il est là, tout près. Bien plus : ici, à l'intérieur, dans la partie la plus intime de mon être. Pas moyen de l'oublier, pas moyen de faire comme s'il n'était pas là. Pas moyen de faire n'importe quoi, même des choses peu recommandables...
À ce train, on serait condamné à une sorte d'obsession, comme celle qui a, dit-on, tourmenté Caïn, partout poursuivi par l'œil vengeur de Dieu. Mais notre Père Solaire n'est pas une « personnalité » comme la nôtre : Karma se chargera de corriger nos erreurs. Sa présence en nous a quelque chose d'exigeant, parce que notre destinée divine est exigeante : il est là pour que nous parcourions ensemble tout le chemin jusqu'au bout.
Pas moyen d'oublier le caractère sacré — solennel — du lien profond qui nous force à faire route ensemble, et des devoirs qui nous incombent pour rendre fructueuse notre alliance, moins éprouvant pour lui son sacrifice.
Il a été question plus haut de la « dévotion unique », « exclusive ». C'est l'un des aspects les plus exigeants qu'il faut souligner. « Dévotion exclusive » au Dieu intérieur implique ce qu'a dit Jésus :
« On ne peut servir deux Maîtres ».
Ce qui promet tous les déchirements possibles pour celui qui se ferait intégralement l'allié de son Père Solaire, ou chercherait authentiquement à le devenir.
Le plus souvent, on use d'un peu de « diplomatie » avec soi-même : on peut nourrir un bel idéal... mais, parfois, on fait volontiers un « petit compromis » avec l'idéal — « il faut bien vivre sur terre aussi... ». Est-ce là la « dévotion exclusive » dont on parlerait d'abondance avec des amis ?
C'est à chacun de régler ce genre de problème, mais, tôt ou tard, on n'y échappera pas à la nécessité de cette constante disponibilité à son idéal... 2
C'est la méditation permanente vers laquelle il faudrait tendre.
On pense bien que cette méditation sera favorisée si on se met « en condition », en pensant de façon répétée, et profonde, à l'alliance qui nous associe au Divin Père, et en « vouant » certains moments de la journée à la « méditation — élévation — rencontre avec notre Dieu ».
Certaines écoles recommandent cette pratique le matin et le soir (ce que fait aussi Judge dans ses Lettres qui m'ont aidé), en accompagnant la méditation d'un mantram évocateur du Divin, comme AUM. On mesure le caractère sacré d'une telle démarche.
Pendant le sommeil, l'« Ego tout divin », hors de sa geôle, se trouve élevé sur son plan naturel, divin. Selon Judge, il n'y a pas d'Antahkarana fonctionnel pendant le sommeil du corps. Ce n'est pas « nous » qui allons en sushupti (le sommeil profond, sans rêve), c'est le divin Père. Mais au réveil, le lien d'Antahkarana se rétablit : c'est l'occasion pour la personnalité de l'affirmer, plus fortement que la veille si possible, en renforçant son alliance, avec son cœur et son mental, tout en cherchant à recevoir la « rosée céleste » venant du Père, que rien n'a limité dans le temps de la nuit. Si le méditant se présente au Père comme « Homme Nouveau » (ce qui peut être plus facile le matin, peu après le réveil), l'échange spirituel entre le Père et le Fils est facilité !
Le soir, avant de rendre sa liberté au Père, il convient que le Fils affirme encore son alliance (ou son désir de la renforcer). Le contact possible, grâce à la méditation, accompagnée de l'évocation mantramique doit avoir de salutaires conséquences. Comme on l'a vu au début, se présenter au Père avec ce qui serait « immortalisable » en nous, favorise la création d'un lien permanent (« immortel ») de conscience entre la personnalité et son alter ego supérieur.
Cette construction commence dans la sphère (ou l'aura) personnelle, par de fortes pensées, jointes à un fort désir, de rejoindre le Père « où qu'il se trouve », pour communier avec lui et rapporter de ce contact sagesse et énergie pour progresser sur la voie de l'incarnation du Divin.
On se souvient de l'effet possible d'une telle aspiration (même chez un être qui n'est pas un disciple volontaire) dans la fameuse lettre du Maître K.H. adressée à Sinnett (Lettre XLV, février 1882).
Le caractère exigeant du lien Père-Fils, pratiquement indissoluble (sauf cas très rares), apparaîtra encore dans la pratique de la vie journalière.
Devenir « des foyers de lumière dans le monde 3 » selon le mot de St Paul (Épitre aux Philippiens 2, 15), avec l'aide de la lumière du Père, n'est pas une petite affaire. Le mot d'ordre est : Fraternité, ou compassion agissante. Ou encore : une intelligente dévotion à la cause de l'Humanité (pour paraphraser une expression de Robert Crosbie).
On ne peut servir deux Maîtres. On ne peut être Frère pour l'un et étranger pour l'autre.
Il y a un Père Solaire dans le cœur de chacun des êtres humains que nous rencontrons. L'ensemble de ces Pères forme une « Légion » des Mânasaputra attachés au sort de l'humanité — une Légion unie, même si on pouvait y distinguer une hiérarchie septuple (liée aux 7 Rayons du Logos) ; c-à-d ce qui fait de cette humanité une véritable famille, soudée par la Fraternité de fait.
Être frère avec chacun peut être très exigeant :
- Le mari (ou l'épouse) peut-il adopter l'attitude intérieure du Frère, sans rompre le lien du mariage ? Être frère, tout en répondant à l'attente légitime du conjoint ? Tout en servant le seul Maître intérieur ?
- Le père peut-il être Frère avec l'enfant, tout en veillant aux besoins légitimes de l'enfant — servir les besoins normaux de l'enfant, tout en servant le seul Maître intérieur, en reconnaissant la présence d'un même Maître chez l'enfant ?
- etc., etc...
On revient toujours à cette nécessité d'accomplir le devoir, le svadharma tel qu'il se présente — « l'action qui plaît à Īśvara » — tout en renonçant d'avance au fruit de l'action.
Une démarche exigeante : aimer les êtres chers (et les autres) sans attendre d'être payé en retour :
- aimer ses enfants sans espérer qu'ils vous aiment,
- aimer les hommes, les femmes, en servant le Divin qui est en soi, et en eux, sans attendre qu'ils vous aiment, qu'ils vous remercient, etc.
Cela peut paraître terrifiant ; mais n'est-ce pas la loi pour tous les Maîtres qui forment le Mur Gardien ?
« Volontairement condamné à vivre à travers les Kalpa futurs, loin des regards et de la reconnaissance des hommes, assujetti comme une pierre entre les autres pierres sans nombre qui forment le « Mur Gardien », tel est ton avenir si tu passes la septième Porte » 4.
N'y a-t-il pas une certaine analogie entre ce « mur qui abrite le genre humain depuis que l'homme est homme » et la Légion des Kumāra dont fait partie notre « Dieu personnel » ?
Finalement, parmi toutes les réflexions que peut suggérer la grande « Bonne Nouvelle » apportée par La Doctrine Secrète, puis La Voix du Silence, sur l'existence en nous de ce pôle divin vivant, une question se pose avec acuité :
Pourrait-on se passer de l'aide des Maîtres de Sagesse incarnés pour élever notre conscience humaine jusqu'au niveau de l'Ego divin et communier avec lui, en gagnant l'immortalité que cette métamorphose confèrerait ?
Réponse difficile à exprimer, vu que nous ne savons pas bien ce qu'exigerait une telle communion, et si de réelles possibilités existent, pour les « hommes de bonne volonté » que nous pouvons être, dans la suite des incarnations qui nous attendent.
Disons (peut-être) qu'un long chemin d'approche s'ouvre à chacun, et peut être parcouru — et a été parcouru déjà, sans doute, par plus d'un être humain. C'est le cas assurément des génies authentiques. Voir les informations données par H.P. Blavatsky à ce sujet.
Sur le long terme, c'est la « destinée divine », qui est réservée à tous les humains ; et l'aide des Maîtres, offerte à la collectivité, doit intervenir très efficacement pour aider à cette réalisation au fil des Cycles et des Rondes à venir ; mais cette métamorphose devra nécessairement résulter des efforts individuels de chaque pèlerin.
La question sur les possibilités, pour le court terme, mérite réflexion.
Déjà, à l'heure de notre mort, la rencontre de la conscience personnelle avec l'« Être de Lumière » est une réalité. Une telle « rencontre» serait-elle possible en dehors du contexte de la fin de la vie ? Peut-être dans la vie intérieure d'un mystique, recherchant ardemment le contact avec le Dieu intérieur, ou d'un méditant entraîné ?
Mais s'il s'agit vraiment d'autre chose que d'une rencontre fortuite, ou occasionnelle, l'aide d'un Maître incarné devient une nécessité absolue, comme l'a affirmé Mme Blavatsky.
Déjà, dans ses Lettres, Judge recommandait, pour atteindre le « Soi Supérieur », de « chercher le pont — les Maîtres » (p. 112). En effet, qui mieux qu'eux connaît la voie qui conduit à ce Dieu intérieur, et les obstacles qui l'encombrent. Ce qui n'invite pas à abandonner l'idée de l'alliance nécessaire avec ce « Krishna intime » qui, assurément, ne répondra pas positivement s'il ne ressent pas la chaleur et l'appel de la bhakti exclusive.
Il se trouve, faut-il le rappeler, que les efforts nécessaires pour écarter les obstacles, et tracer la voie qui s'élève vers le Père Solaire, sont identiques à ceux qu'exigent le service d'un Maître incarné. C'est pourquoi, dans la pratique, « nul effort n'est jamais perdu » pour le disciple qui sert l'Humanité à travers le Maître.
Sur la voie abrupte de l'occultiste, qui parcourt l'approche directissime vers le Divin, l'aide du Maître incarné est plus que jamais indispensable. La voie passe par une série d'initiations, et d'épreuves, où le disciple chemine sur une trace balisée : le Maître connaît les objectifs à atteindre tout au long du trajet, et les moyens à mettre en œuvre pour « ouvrir les Portails », ou chasser les Gardiens qui y veillent jalousement.
On doit ici lire ce que Mme Blavatsky doit particulièrement à son Maître, pour les transformations radicales qu'il a permises en elle, non seulement pour qu'elle s'affranchisse de sa médiumnité incontrôlée, mais aussi pour que son « Soi intérieur » s'éveille, et devienne un « être conscient ».
Finalement, il faut essayer de se représenter tout ce que recèle d'extraordinaire la confession faite par Mme Blavatsky à Franz Hartmann, qui vient ici en conclusion de l'étude qui précède :
« C'est un Sauveur
Celui qui vous conduit à trouver
Le Maître en vous-même » 5.
1. Allusion à l'Évangile de Matthieu, 7, 6. [retour texte]
2. Cf. Bhagavad-Gîtâ, VIII, v. 7. [retour texte]
3. En grec : phôstérès én kosmô. [retour texte]
4. La Voix du Silence, III, 89-90. [retour texte]
5. Extrait d'une lettre publiée plus tard par W.Q. Judge (dans la revue The Path, vol. X, mars 1896, p. 367) – F. Hartmann y trouvait encore cette importante remarque : « cela fait dix ans déjà que j'enseigne le Maître intérieur – le Dieu intérieur – et je n'ai jamais représenté nos Maîtres comme des Sauveurs, dans le sens des chrétiens. ». [retour texte]
Retour Sommaire « Réflexions et Études »